4.Les artistes femmes et les institutions
Morceaux de réception
En France, l’Académie royale de peinture et de sculpture va s’imposer, jusqu’à réserver la plupart des commandes royales à ses membres. Pour devenir Académicien, et être agréé, le postulant doit présenter un morceau de réception. L’Académie s’ouvrant aux femmes à partir de 1663, elles aussi soumettent un morceau de réception.
Copistes
Il est communément admis que la femme est précise et méticuleuse. En outre, elle est, dit-on, par nature, vouée à la reproduction. Aussi va-t-on longtemps limiter son travail à celui de copiste. Comme l’atteste Henry James (1843-1916) dans L’Américain (1877), il s’agit, pour beaucoup de femmes, d’une source de revenus. A partir de la Restauration, de nombreuses artistes femmes recevront, telle Marie Bracquemond, des commandes de copies. Il s’agit généralement de copies des portraits officiels du roi ou de la reine, puis de l’empereur ou de l’impératrice. La demande est forte, car ces copies sont destinées à divers établissements civils de province : mairies, tribunaux… Ces travaux n’ont d’autre mérite que d’être alimentaires.
Les artistes femmes reçoivent aussi des commandes de copies d’après des tableaux religieux du Louvre, celles-ci destinées à être déposées dans des églises de province. Dans la mesure où il s’agit souvent d’œuvres célèbres de maîtres anciens, le travail de copiste présente alors un plus grand intérêt.
Productions « mineures »
L’éventail est alors un accessoire indispensable à toute femme élégante, et quelles que soient les circonstances : sorties théâtrales, bals, deuils, et même décor d’appartement. Les impressionnistes vont s’intéresser au décor d’éventails, notamment grâce à l’influence de l’art japonais. Toutefois, cette production est traditionnellement réservée à des femmes, ainsi que l’évoque Émile Zola (1840-1902) dans L‘Œuvre (1886) : « sa mère, qui était Parisienne, avait vécu là-bas, en province, ménageant sa maigre pension, travaillant, peignant des éventails, pour achever d’élever sa fille ».
Carrières
La prestigieuse carrière de Rosa Bonheur est l’arbre qui cache la forêt. L’Etat lui achète en 1849 Labourage nivernais pour 3.000 francs, montant beaucoup plus élevé que la plupart des acquisitions de cette époque. Un tableau est alors payé entre 1.000 et 1.500 francs dans la plupart des cas, et de 200 à 800 francs quand il s'agit d'une femme. Cinq ans plus tard, l’État achète La Fenaison en Auvergne pour la somme considérable de... 20.000 francs ! Napoléon III paiera le même montant, en 1863, pour acquérir la Naissance de Vénus d'Alexandre Cabanel (1823-1889).
Le succès fulgurant de Virginie Demont-Breton est tout aussi rarissime, pour une femme. Elle débute au Salon en 1880 et obtient la médaille de 3e classe dès 1881, celle de 2e classe l’année suivante et devient "hors concours" en 1883. Chevalier de la Légion d’honneur en 1894, elle est nommée officier en 1914. Son mari, Adrien Demont (1851-1928), débute au Salon en 1875 et sera "hors concours" un an avant sa femme. Il devient chevalier de la Légion d’honneur trois ans avant sa femme, mais sa carrière honorifique s’arrête-là.
La carrière de Victoria Dubourg est beaucoup plus représentative de celle de la plupart des femmes artistes. V. Dubourg expose au Salon à partir de 1869. Elle n’obtiendra une mention honorable que vingt-cinq ans plus tard, en 1894. En 11895, on lui décerne enfin la médaille de 3e classe, dite "médaille des débutants" ; elle a cinquante-cinq ans ! Pour la Légion d’honneur, il lui faut attendre vingt-cinq ans de plus. Son mari, Henri Fantin-Latour (1836-1904), qui débute au Salon cinq ans avant elle, obtient la médaille de 3e classe dès 1870, soit vingt-cinq ans avant son épouse, et la Légion d’honneur en 1879, soit quarante-et-un ans avant sa femme. L’État commande des copies à V. Dubourg. En 1869, la copie des Pèlerins à Emmaüs, « d’après Titien », lui est payé 800 francs. Pour une œuvre originale, Fleurs et fruits, elle reçoit 500 francs en 1872.
Il y a parfois d’étonnants raccourcis. Ainsi, Clémentine Hélène Dufau obtient une médaille de 2e classe au Salon de 1902 et la commande de décorations murales pour la Sorbonne trois ans plus tard.
Achats
La décision prise par la ville de Rouen d’acquérir une peinture de M. Fairchild MacMonnies mérite d’être saluée. Stéphane Mallarmé (1842-1898) parvient à faire acheter par l’État, en 1894, Jeune fille en toilette de bal, de Berthe Morisot. En 1893, le projet d’acquisition d’une œuvre de Mary Cassatt par le musée du Luxembourg se solde par un échec, pour des raisons administratives : le musée doit acheter directement à l’artiste, or l’œuvre appartient à Durand-Ruel. Cassatt offre au Luxembourg l’un de ses pastels, en 1897, tout comme Cecilia Beaux offrira Sita et Sarita, Femme au chat, en 1921. Henry Lapauze (1867-1925), conservateur du musée du Petit Palais, acquiert un pastel de M. Cassatt. Grâce aux excellentes relations qu’il entretient avec l’artiste, il obtiendra de cette dernière le don d’un tableau, puis, par voie de conséquence, d’autres dons, de proches de M. Cassatt.
En 1885, l’Etat avait acheté L'Entrée du jardin et La Matinée rose, d’Eva Gonzalès, lors de la vente posthume de l’artiste. Le tableau avait été aussitôt déposé au musée de Meaux. Il faudra attendre le don par Jean Guérard, le fils de l’artiste, d’Une loge aux Italiens, en 1927, pour qu’une œuvre significative d'Eva Gonzalès entre dans les collections nationales. Cette même année 1927, Blanche Hoschedé-Monet offre à l’État l’une de ses œuvres, Le jardin de Claude Monet à Giverny. Quatre ans plus tard, l’Etat lui achète Pivoines. Les deux tableaux sont en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen. C’est grâce à la générosité de Gustave Geffroy (1855-1926) que Marie Bracquemond entre dans les collections nationales. « Mlle de Boznanska » réitère les demandes d’acquisition, à deux reprises, en 1899, puis en 1902, sans succès. En 1904, l’État lui achète, pour la somme dérisoire de 500 francs, un Portrait de femme. En 1912, Portrait de jeune femme, peinture à l’huile, est payé 300 francs. En 1920, l'artiste renonce à vendre un tableau à l’État « qui lui propose une somme trop basse, elle propose un autre tableau pour 2.000 fr. ». L’Américaine Elisabeth Nourse reçoit, en 1910, pour son tableau Les Volets clos, 1.500 francs. Ce prix est conforme à celui des acquisitions habituelles faites par l’État, quand il s'agit d’artistes hommes. La britannique Beatrice How bénéficie de quatre acquisitions entre 1910 et 1914, deux pastels et deux peintures, chaque peinture payée 1.000 francs. La discrimination, quant aux prix, semble donc n'avoir plus lieu.
Médailles
En 1878, la plupart des femmes artistes doivent se contenter, selon la chroniqueuse de la Gazette des femmes, de « mentions honorables ». La situation évolue vers la fin des années 1880, y pour les femmes artistes étrangères. A l’exposition universelle de 1889, la Française Hélène Bertaux reçoit une médaille d’or, la Norvégienne Harriet Backer (1845-1932) une médaille d’argent, les Finlandaises Elin Kleopatra Danielson-Gambogi (1861-1919) et Helene Schjerfbeck (1862-1946) une médaille de bronze, tout comme la Française Amélie Beaury-Saurel. A l’exposition universelle de 1900, les Américaines Mary Fairchild MacMonnies et Cecilia Beaux reçoivent une médaille d’or, Ellen Emmet Rand (1875-1941) une médaille de bronze. Comme d’habitude, Rosa Bonheur a ouvert le bal en se voyant décerner une médaille d’or dès l’exposition universelle de 1855.
Si l’État achète peu, en revanche, dans le premier quart du vingtième siècle, il se montre beaucoup plus généreux pour ce qui concerne les médailles. Rosa Bonheur était devenue chevalier de la Légion d’honneur en 1865 (et officier en 1894), Virginie Demont-Breton chevalier en 1894 (et officier en 1914). Le mouvement s'accélère ensuite : Louise Breslau est chevalier en 1901, Mary Cassatt en 1904, Louise Abbema en 1906 et Olga Boznanska en 1912, Victoria Dubourg en 1920, Julia Beck est nommée officier d’académie en 1904, officier de l’Instruction publique en 1926 et chevalier de la Légion d’honneur en 1934.
Laurent Manoeuvre
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