1.Les sujets
A la fin du dix-septième siècle, l’Académie impose la hiérarchie des genres
, qui sera maintenue sous une forme plus ou moins abâtardie jusqu’au troisième quart du dix-neuvième siècle. Au sommet de cette hiérarchie se trouve la peinture d’histoire, ou grand genre, qui représente des figures héroïques. Puis viennent le portrait, ensuite la scène de genre, ou "petit genre", qui montre des sujets intimes ou légers, suivis par le paysage, et enfin la nature morte.
La peinture d’histoire, qui s’inspire souvent de sujets de l’Antiquité, oblige à représenter des figures nues. Or, on considère alors que, pour une femme, il serait malséant de peindre un nu.
Quant au paysage, il nécessite d’étudier "sur nature". Les vêtements féminins ne sont pas du tout adaptés aux longues marches en forêt ou en plein champs. De plus, une femme a l’obligation d’être chaperonnée, ce qui ne facilite pas les choses.
Restent donc, pour les femmes, natures mortes, portraits et scènes de genre. A partir du dix-huitième siècle, la mode est aux intérieurs confortables et de taille relativement réduite. La peinture d’histoire, souvent monumentale, y trouve difficilement sa place. En revanche, portraits, natures mortes ou scènes de genre s’intègrent heureusement dans ces intérieurs, qu’ils appartiennent à la noblesse où à une bourgeoisie aisée. Les femmes vont porter chacun de ces thèmes à un très haut niveau de qualité et, de cette limitation, elles vont faire un atout.
Nature morte
Parce qu’elle a souvent un sens symbolique (la fragilité des choses, la fugacité de la vie…) la nature morte – ou vanité - est un sujet de prédilection des peintres et des collectionneurs protestants. De confession protestante, Louyse Moillon va porter la style de nature morte dépouillée et silencieuse jusqu’à un remarquable degré de perfection. A château de Versailles, Madeleine de Boullogne (1646-1710) peint les attributs de la guerre.
Au siècle suivant, Anne Vallayer-Coster illustre à la fois les préoccupations esthétiques et scientifiques de l’époque des Lumières.
Au cours du dix-neuvième siècle, de nombreuses artistes exposent au Salon des natures mortes flatteuses et décoratives, prétextes à représenter avec précision de grandes variétés de fleurs ou de fruits. En 1890, le critique Gustave Geffroy (1855-1926) écrit :l’exposition des femmes-artistes […] ressemble à une exposition d’horticulture.
Les femmes impressionnistes, Marie Bracquemond, Mary Cassatt et Berthe Morisot, refusent de se laisser enfermer dans cette tradition qui limite le potentiel des artistes. Elles ne traitent qu’exceptionnellement la nature morte, et le plus souvent dans des portraits.
Au début du vingtième siècle, Georgette Agutte (1867-1922) pose sur ce thème un regard nouveau, avec une froide objectivité, tandis que d’autres artistes témoignent de l’engouement pour le Japon.
Pour les photographes, la nature morte, qu’elle soit réalisée à des fins esthétiques ou documentaires, va constituer un exercice sur les formes et la lumière.
Portrait
C’est le domaine où les femmes s’imposent au cours des siècles, et quelle que soit la technique : miniature, peinture, estampe, dessin, pastel, sculpture, photographie, que le portrait soit réalisé à des fins privées ou qu’il s’agisse d’effigies officielles, que le personnage représenté soit encore bien vivant ou que le portrait soit rétrospectif.
Si, au cours des siècles, le style des artistes évolue, certaines règles perdurent. Une représentation officielle est souvent théâtrale. L’environnement, qui a valeur de symbole, est aussi important que le personnage représenté. Certaines artistes parviennent à surmonter ces contraintes et donnent de leur modèle une image pleine d’humanité. Beaucoup de femmes excellent à représenter leurs modèles sans fard. Ces portraits nous touchent d’autant plus qu’ils montrent le sujet surpris dans son intimité, ou de manière inattendue. Ceci amène le portrait à la frontière de la scène de genre.
A la fin du dix-neuvième siècle, certaines portraitistes, soucieuses de traduire la personnalité de leur modèle, se concentrent sur le visage ainsi que sur une attitude caractéristique, réduisant autant que possible les éléments secondaires. D’autres, au contraire, utilisent la représentation de l’environnement de manière complémentaire, dans la mesure où il contribue à caractériser une personnalité. Certaines vont représenter un type, physique ou métier.
Du dix-septième siècle au vingtième siècle, beaucoup de femmes artistes pratiqueront l’autoportrait. Moment d’intimité ou exercice d’introspection dénué de concessions, il est aussi une manière d’affirmer son statut d’artiste, en affichant les attributs de son métier.
Scène de genre
Méprisée au dix-septième siècle, car jugée triviale, la scène de genre va connaître un succès croissant au cours des siècles suivants. Les hommes apportent souvent une dimension superficielle ou grivoise, à ce monde qu’ils connaissent peu, puisqu’il est réservé aux femmes. Une femme "comme il faut", en effet, ne peut fréquenter certains lieux : cafés, cirques… Son univers se concentre donc sur son intérieur, sa toilette, ses enfants, ses relations, ses animaux domestiques, ses activités (lecture, ouvrages de dames...), son jardin. Une femme est autorisée à se rendre au théâtre et, bien entendu, aux offices religieux. Elle peut voyager, y compris dans des pays lointains et puiser son inspiration dans cette expérience inhabituelle.
Certaines artistes vont tenter de se libérer de ce carcan, représentant des scènes de rues, ou montrant le revers de ce monde édulcoré.
Paysage
Jusqu’au début du dix-neuvième siècle, le paysage est conçu comme une recomposition idéale de la réalité, l’Italie étant considérée comme la source de toute inspiration. Les paysagistes sont alors peu nombreux, le paysage étant situé très bas dans la hiérarchie des genres. Les femmes paysagistes sont plus rares encore. Même si le paysage est recomposé dans l’atelier, il doit être préparé par des études exécutées sur le motif. Ceci implique le transport d’un matériel lourd et encombrant, dans des lieux pittoresques mais difficilement accessibles, a fortiori quand on est une femme, obligée de porter des vêtements inadaptés à ces exercices et de se faire accompagner en cas de rencontres dangereuses (les routes sont encore semées de bandits). L’une des premières, Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1790-1870) va braver toutes ces difficultés et voyager à travers la France (Bretagne, Forêt de Fontainebleau, Pyrénées) et l’Europe (Allemagne, Italie). Ce qui ne l’empêche pas de peindre Paris vu du cimetière du Père-Lachaise. Elle rapporte de ses voyages de remarquables paysages qu’elle exposera pendant la première moitié du dix-neuvième siècle. La finesse de ses études atmosphériques annonce l’école de Barbizon.
La véritable pionnière, dans le domaine du paysage objectif tel qu’il va s’imposer au dix-neuvième siècle, est Rosa Bonheur. Elle obtient l’autorisation de porter le pantalon, pour être plus libre de travailler. Elle peut ainsi réaliser des études de paysages, qu’elle utilise ensuite dans ses tableaux à sujets animaliers. L’objectivité de ses études, et leur qualité lumineuse, font d’elle une paysagiste dont l’importance a été sous-estimée. Autre femme émancipée, George Sand (1804-1876), qui, à l’inverse, rêve le paysage.
Fille d’un peintre comblé d’honneur, Henriette Gudin (1825-1890) est sans doute la première femme peintre de marines.
L’intérêt que les impressionnistes portent au paysage est lié à la lumière particulière d’un lieu. Peu sensibles au pittoresque, elles apprécient l’atmosphère commune des environs de Paris. D’autres artistes restent fidèles à un vision plus traditionnelle du paysage. Jeanne Amen (1863-1923) associe des représentations végétales à des paysages silencieux, parfois nostalgiques.
A l’aube du vingtième siècle, apparaissent des femmes artistes voyageuses, voire exploratrices, dans les Alpes, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, en Arctique…
Le plus souvent peint, le paysage peut aussi être dessiné, gravé, sur céramique ou photographié. Facile à transporter, l’aquarelle s’avère un medium idéal pour les paysagistes.
Nu
Même s’il existe quelques exemples au dix-septième et au dix-huitième siècles, le nu, féminin ou masculin, est l’une des grandes conquêtes des femmes artistes à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, en peinture comme en sculpture, sous forme d’étude académique ou uniquement à des fins esthétiques, parfois en utilisant un prétexte mythologique ou poétique.
Sujets historiques
Comme le remarque Madame de Genlis, vers 1780 : « Un peintre veut-il instruire sa fille dans son art, il n’aura jamais le projet d’en faire un peintre d’histoire : il lui répétera bien qu’elle ne doit prétendre qu’au genre du portrait, de la miniature ou des fleurs. C’est ainsi qu’il la décourage, et qu’il éteint en elle le feu de l’imagination. Elle ne peindra que des roses : elle était née peut-être pour peindre les héros ! ». Avec le tumulte des campagnes napoléoniennes, la peinture prend une odeur de poudre et de mort. Dans ce contexte brutal, quelques femmes artistes donnent de la vie une vision sensible et déjà romantique. Puis écrivains et peintres revisitent l’histoire, dont ils représentent les épisodes de manière haute en couleurs ou parfois très édulcorée. La Guerre d’indépendance grecque (1821-1832), pour laquelle l’Europe s’enflamme, inspire également des artistes femmes. A cette époque où triomphe le romantisme, l’inspiration littéraire joue un rôle considérable. Vers la fin du siècle, l’inspiration musicale sera aussi très présente. Arrive ensuite le réalisme. La scène historique témoigne alors d’une actualité dramatique. Virginie Demont-Breton va hausser cette actualité au niveau du symbole, donnant de la vie du pêcheur une vision épique et souvent dramatique. A la fin du siècle, la peinture d’histoire prend une dimension symbolique et moralisatrice, représentant les maux dont souffre la société.
La plupart de ces œuvres, qui affichent une ambition tant intellectuelle qu’artistique, ont été présentées au Salon.
Laurent Manoeuvre
Partager la page