Berthe Morisot (Bourges, 1841 – Paris, 1895)
Par sa mère, Berthe descend de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Elle a deux sœurs, Yves (1838-1893) et Edma (1839-1921). Elle sera très proche de cette dernière. Son père étant préfet, l’enfance de B. Morisot est quelque peu itinérante : Limoges, Caen, Rennes. Il sera révoqué pour des raisons politiques en 1852. La famille Morisot s’installe alors à Paris, où les trois sœurs reçoivent une éducation soignée. A partir de 1855, Edma et Berthe reçoivent des leçons de dessin de Geoffroy-Alphonse Chocarne (1797-1857) puis de Joseph-Benoît Guichard (1806-1880), lequel discerne vite que les deux sœurs ont un talent bien supérieur à celui que l’on attend habituellement des jeunes filles de bonne famille. En 1860-1861, les deux sœurs travaillent avec Corot et en 1863 avec d’Achille Oudinot (1820-1891), qui leur présente Charles-François Daubigny (1817-1878) et Honoré Daumier (1809-1879). A partir de 1864, les sœurs Morisot exposent au Salon, comme élèves de Guichard et Oudinot. La famille Morisot passe l’été 1864 dans la propriété du peintre Léon Riesener (1803-1878), descendant de l’ébéniste Jean-Henri Riesener (1734-1806) et proche d’Eugène Delacroix (1796-1863). B. Morisot recopie les annotations de Riesener sur la lumière. Elle restera très proche de la fille du peintre, Louise, dont elle peindra le portrait. Riesener lui présentera Marcello, avec qui elle sera liée. Le salon des Morisot est fréquenté par Jules Ferry (1832-1893), Carolus-Duran (1837-1817), Alfred Stevens (1823-1906) et plus tard par Puvis de Chavannes (1824-1898). Ferry et Puvis auront l’un et l’autre des velléités d’épouser Berthe, qui refusera. En 1868, Berthe et Edma font la connaissance d’Edouard Manet (1832-1883), par l’intermédiaire d’Henri Fantin-Latour (1836-1904). B. Morisot pose pour le Balcon (Paris, musée d'Orsay). Jusqu’en 1874, Manet prendra à plusieurs reprises B. Morisot pour modèle. En 1869, le mariage d’Edma avec un officier de marine met fin à la carrière de peintre de celle-ci.
A partir de 1874, B. Morisot abandonne le Salon. Elle participera désormais à toutes les expositions impressionnistes, de 1874 à 1886 (à l’exception de celle de 1879, la naissance de sa fille ne lui ayant pas permis de travailler). En 1874, elle épouse Eugène Manet (1833-1892), frère du peintre. Si ses amis l’appellent désormais « Madame Eugène Manet », elle continue de signer Berthe Morisot. Eugène fera tout pour encourager la carrière artistique de sa femme, organisant et finançant notamment plusieurs expositions du groupe impressionniste. Les critiques la comparent souvent à Mary Cassatt, opposant son style fluide et léger à celui plus « viril » de l’Américaine. Huysmans (1848-1907) en est sans doute l’exemple le plus représentatif : « Mlle Cassatt a cependant une curiosité, un attrait spécial, car un fouetté de nerfs féminins passe dans sa peinture plus équilibrée, plus paisible, plus savante, que celle de Mme Morisot », et : « Mme Morisot, une élève de M. Manet. Laissées à l’état d’esquisses, les œuvres exhibées par cette artiste sont un pimpant brouillis de blanc et de rose. C’est du Chaplin manétisé, avec en plus une turbulence de nerfs agités et tendus. Les femmes que Mme Morisot nous montre en toilette fleurent le new mown hay [parfum populaire] et la frangipane ; le bas de soie se devine sous ses robes bâties par des couturiers en renom. Une élégance mondaine s’échappe, capiteuse, de ces ébauches morbides, de ces surprenantes improvisations que l’épithète d’hystérisées qualifierait justement, peut-être ». Et lorsque le très influent critique du Figaro, Albert Wolff (1835-1891), écrit en 1876, à propos de la deuxième exposition impressionniste :« Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire », on aura le plus grand mal à empêcher Eugène Manet de provoquer le journaliste en duel.
B. Morisot est une personnalité assez secrète. Henri de Régnier (1864-1936) parlera de sa « singularité énigmatique » : « une expression de mélancolie taciturne et une sauvagerie farouche […] Elle apparaissait hautaine et distante dans une sorte de réserve infiniment intimidante qu’elle ne rompait que par de rares paroles, mais sa froideur dégageait un charme auquel on ne pouvait rester indifférent […] une sorte de timidité hautaine la faisait se tenir à l’écart de toute réclame. Elle n’était pas de celles qui aiment à se mettre en avant. Elle pratiquait son art avec discrétion, acceptait l’estime, l’admiration due à son talent, mais ne faisait rien pour les provoquer. Berthe Morisot était toute en retrait ». Si elle n’a pas milité ouvertement pour le droit des femmes, sa carrière indépendante, son admiration pour la personnalité de Marie Bashkirtseff, une remarque dans son journal intime, en 1872 (« Je lis Darwin ; ce n’est guère une lecture de femme et encore moins de fille ; ce que j’y vois le plus clairement, c’est que mon état est insoutenable à tous les points de vue »), montrent qu’elle avait pleinement conscience de la difficulté, à son époque, d’être femme et artiste.
En 1878, elle donne naissance à une fille, Julie, qui va devenir l’une de ses principales sources d’inspiration. Le salon Manet réunit régulièrement Renoir, Mallarmé, Degas (1834-1917), et plus épisodiquement Monet. En 1892, la mort de son mari la laisse désemparée. L’amitié de Mallarmé et du « camarade » Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) lui est alors d’une grande aide. Mallarmé avoue : « Auprès de Mme Manet, je me fais l’effet d’un rustre et d’une brute ». B. Morisot meurt brutalement de la grippe. Apprenant cette nouvelle, Renoir dira : « J’avais le sentiment d’être tout seul dans un désert ». En 1896, Mallarmé, Degas, Renoir et Monet organisent une exposition rétrospective de ses œuvres à la galerie Durand-Ruel. Mallarmé écrit la préface du catalogue.
Les femmes sont les grandes oubliées du legs Caillebotte, en 1894. Pas plus Mary Cassatt que Berthe Morisot et Marie Bracquemond ne sont présentes dans sa collection. En 1894, à l’initiative de Mallarmé, l’Etat l’achète à Théodore Duret, un ami de Manet, Jeune femme en toilette de bal (1879), première œuvre de B. Morisot à entrer dans les collections nationales. La générosité d’Antonin Personnaz (1854-1936) en fera entrer deux autres. En 1997, les héritiers de B. Morisot donneront un fonds important de peintures, pastels et dessins de l’artiste, et de Renoir, au musée Marmottan-Monet.En 2019, le musée d'Orsay à Paris organise une rétrospective B. Morisot.
Laurent Manoeuvre
Sélection d'oeuvres de Berthe Morisot sur la base Joconde Pop
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