La cathédrale Saint-Étienne de Metz accueille de nouveaux vitraux, créés par l’artiste coréenne de renommée internationale Kimsooja, qui prennent place dans les baies du triforium du bras sud du transept. Kimsooja propose une œuvre abstraite conçue comme une expérience sensible reposant sur la couleur et les variations lumineuses au cours de la journée et des saisons. Les vitraux ont été réalisés en collaboration avec le maître-verrier français Pierre-Alain Parot, en alliant verre soufflé et verre dichroïque.
Cette commande publique artistique d’une œuvre pérenne a été initiée par le ministère de la Culture. Ce projet conduit par la Direction régionale des affaires culturelles du Grand Est, en relation étroite avec le clergé affectataire de la cathédrale, a été pensé comme un temps fort des célébrations du huitième centenaire de l’édifice gothique.
Il s’inscrit également dans une lignée de projet engagée dès 2010, de réalisations du XXIe siècle confiées à des artistes contemporains.
Dans le Grand Est, des cathédrales prestigieuses ont précédemment bénéficié de la création de nouveaux vitraux, comme ceux d’Imi Knoebel à Reims et de Véronique Elléna à Strasbourg. Une dynamique de création s’était déjà illustrée à la cathédrale Saint-Étienne de Metz, dans un monument historique classé intégrant des éléments anciens et contemporains, avec l’intervention de l’artiste-designer suisse Mathias Bonetti, qui conçut un nouveau mobilier liturgique dès 2006.
Outre les vitraux de Kimsooja, une nouvelle signalétique a aussi été conçue, à l’occasion du huitième centenaire de la cathédrale, par le studio La Nouvelle Étiquette en collaboration avec Jacob Lorentz du studio Generique Design.
La commande publique et le soutien à la commande publique concrétisent la volonté de l’État, ministère de la Culture, associé à des partenaires multiples (collectivités territoriales, établissements publics ou partenaires privés) de diffuser la création
contemporaine, d’enrichir notre cadre de vie et le patrimoine national, par la présence d’œuvres en dehors des institutions dédiées à l’art contemporain. Ce soutien à la création du ministère de la Culture répond aux enjeux de l’élargissement des publics de l’art contemporain et de l’encouragement des artistes à créer des œuvres inédites et exceptionnelles.
Une œuvre tout en lumière et transparence
Le projet original de Kimsooja, intitulé To Breathe*, axé sur la lumière et la transparence, a été validé par le comité de pilotage de la commande publique et la commission nationale de l’architecture et du patrimoine. Les vitraux contemporains
losangés réalisés par l’atelier Parot dialoguent et s’harmonisent avec les nombreux et remarquables vitraux existants, tout en respectant le caractère cultuel de l’édifice.
S’inscrivant dans la tradition de l’art du vitrail, l ‘œuvre de Kimsooja combine la lumière colorée des verres soufflés traditionnels avec la lumière réfléchissante des verres contemporains dichroïques issus de l’industrie. La « lanterne du Bon Dieu »** se
voit parfaitement mise en valeur grâce à un spectre de couleurs évoluant au gré de la lumière.
Fidèle aux objectifs de la commande publique, cette opération prise en charge par le ministère de la Culture (l’État étant propriétaire de la cathédrale), favorisera la rencontre du plus grand nombre, habitants, amoureux du patrimoine et visiteurs avec la création contemporaine qui vient animer et magnifier les monuments.
* Respirer
** La cathédrale Saint-Étienne doit son surnom de « lanterne du bon Dieu » à ses 6500 m² de vitraux, qui font d’elle l’un des édifices les plus vitrés du monde chrétien.
Un film autour la création de l'œuvre de Kimsooja, diffusé sur Moselle TV
Samedi 17 septembre 2022 à 22h et dimanche 18 septembre à 17h
« La Lanterne du Bon Dieu » de Gilles Coudert et Damien Faure
Avec la voix de Charles Berling - (52 min. / 2022)
Le film nous raconte cette incroyable aventure historique, humaine, spirituelle et artistique.
© a.p.r.e.s production / aaa production / Moselle TV - Avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée et le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles du Grand Est.
Kimsooja, une artiste de renommée internationale
Kimsooja, née en 1957 à Daegu en Corée du Sud, est une artiste pluridisciplinaire connue internationalement. Sa pratique artistique se compose de performances, de films, de photographies et d’installations, créés à partir de textiles, de lumières et de sons.
Kimsooja interroge les conditions d’existence tout en abordant des questions liées à l’esthétique, la culture, la politique et l’environnement. Avec son principe du non-faire, lequel tire son origine d’investigations conceptuelles et structurelles sur la performance à travers les notions de mobilité et d’immobilité, Kimsooja renverse le statut de l’artiste en tant qu’acteur prédominant. L’œuvre de Kimsooja nous invite à questionner notre existence, le monde, les épreuves majeures auxquelles nous faisons face actuellement.
Les œuvres de Kimsooja ont été exposées dans de nombreux musées et biennales à travers le monde depuis les années 1990.
Ses liens avec la France sont étroits. Ses œuvres ont été présentées lors d’expositions monographiques ou à l’occasion de commandes dans des musées et centres d’art comme le Magasin à Grenoble (1997), le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, le Musée d’art contemporain de Lyon (2003), le Musée d’art moderne de Saint-Etienne (2012), le Centre Pompidou - Metz (2015) ou encore à Poitiers lors de la création d’un parcours d’art contemporain dans la ville intitulé « Traversée/Kimsooja » (2019-2020).
Kimsooja a enseigné à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (2008-2009) et a été nommée chevalier de l’ordre des arts et des lettres par le ministère de la Culture (2017).
L’actualité de Kimsooja est dense en ce mois de septembre 2022. Elle a participé à la Koréa International Art Fair (KIAF) et son œuvre sera présentée à la Fondation Boghossian – Villa Empain à Bruxelles.
Entretien avec Kimsooja
Conduit par Franck Bauchard, conseiller pour les arts visuels à la DRAC Grand Est
La première fois que vous êtes venue à Metz c’était en 2015, à l’invitation d’Emma Lavigne, pour la réalisation d’une installation monumentale et immersive au Centre Pompidou-Metz qu’elle dirigeait alors, dans le cadre de l’année de la Corée en France.
Avec « To breathe » vous avez procédé à une métamorphose de l’espace à travers un usage du spectre lumineux et un sens transformé de la verticalité et de l’horizontalité. En 2018, le ministère de la Culture vous a commandé la réalisation d’une création de vitraux d’envergure pour la cathédrale de Metz, qui constitue en quelque sorte un nouveau développement du projet « To breathe ».
Quels ont été les défis propres à la réalisation de cette œuvre dans la cathédrale? Comment avez- vous conçu ce projet de vitraux ?
Tout d’abord la commande du ministère de la Culture en vue de la réalisation de 16 baies de nouveaux vitraux pour le XXIe siècle à côté des vitraux existants, qui figurent parmi les plus remarquables d’Europe constitue un grand honneur pour moi. Être capable de créer quelque chose de nouveau pouvant s’harmoniser avec les vitraux existants et l’atmosphère de la cathédrale relevait du défi.
Après avoir effectué plusieurs visites et étudié des tonalités et méthodes possibles, il m’est apparu nécessaire de trouver une nouvelle manière de réaliser des vitraux plutôt que d’utiliser des techniques traditionnelles. A l’origine j’envisageais de trouver une manière d’utiliser du polymère composite, un matériau déjà choisi pour la réalisation d’une de mes installations sculpturales en 2014, « A Needlle Woman - Galaxy was
a Memory, Earth is a souvenir » en collaboration avec le laboratoire de Nano de l’Université de Cornell dirigé par le professeur Ulrich Wiesner. C’était dans le cadre de la biennale de Cornell dont le curateur était Stéphanie Owens sur le thème des « Cosmologies intimes : l’esthétique de l’échelle à une époque de nanotechnologie ».
Le processus d’expérimentation a révélé que s’il était beau et fascinant de voir les nano verres de très près, cette technique n’aurait pas permis d’apprécier la délicatesse des couleurs et des reflets, les baies étant situées en hauteur. Par ailleurs ce matériau est nouveau et son évolution au fil du temps est inconnue ce qui est un motif de préoccupation pour les conseillers scientifiques. J’ai dû rechercher une alternative conciliant la modernité du matériau et sa « longévité ».
On retrouve dans les verres dichroïques un spectre comparable de couleurs iridescentes qui dépend de la position du visiteur et de la direction et de l’intensité de la lumière qui traverse les fenêtres. J’ai dû également trouver une solution pouvant combiner le spectre de couleurs avec des verres anciens faits à la main, composer un couple de verre dans chacun des losanges. Ainsi je pouvais conserver des verres existants faits à la main et des verres dichroïques dont la lueur réfléchit le soleil en fonction des déplacements des spectateurs sur le plan horizontal et vertical.
Les nouveaux vitraux sont illuminés non seulement par l’intensité de la couleur liée à celle de la lumière du soleil mais aussi par le spectre lumineux singulier produit par chaque verre dichroïque. Je souhaite que chacun fasse l’expérience de ces différents spectres au fil de l’année, des saisons, de la journée, en fonction de la position du soleil.
Se faisant face dans l’aile Sud, les vitraux se réfléchissent entre eux. Quand la lumière traverse le côté Est de la cathédrale elle illumine le côté opposé en soirée et vice versa le matin, ce qui ajoute une dimension supplémentaire à cette expérience. J’ai essayé en même temps de donner une profondeur spatiale dans les baies qui apporte une luminosité plus légère que celle des vitraux classiques qui provient des formes et des couleurs.
Votre œuvre a représenté un défi technique. Comment avez-vous travaillé avec l’atelier Parot ?
A côté des enjeux proprement techniques, nous avons expérimenté deux matériaux tout au long du processus. La crise sanitaire a rendu impossibles les voyages en France et j’ai dû faire des tests dans mon studio à Séoul avec des boîtes lumineuses et des échantillons de matériaux. Cependant ce n’était pas aussi efficace que de travailler au sein de l’atelier où les espaces sont organisés de manière optimale, où l’on accède à des équipements ; et où il est possible de mobiliser les savoirs et l’expérience d’assistants, réagissant immédiatement aux essais proposés. On pouvait travailler à l’échelle adaptée.
Sans l’expertise de Pierre-Alain Parot, de son atelier et du soutien de toute l’équipe, il aurait été difficile d’imaginer le rendu à l’échelle, de comparer les baies entre elles, et de réaliser et d’assembler les losanges formés de couples de verre.
J’aurais simplement souhaité avoir plus de temps et de liberté pour rester en France, dans l’idéal une année entière, pour me consacrer uniquement à ce projet.
Comment voyez -vous le projet « To breathe » dans le développement de votre œuvre? Aura t-il un impact sur l’avenir de votre travail ?
Je pense que oui, grâce à la cathédrale et à tous les membres du comité du pilotage.
Je suis également curieuse de voir où ce nouveau chemin en relation à l’architecture et à la nature de la lumière va me mener.
J’ai beaucoup apprécié cette aventure extraordinaire qui rend humble et le privilège qui m’ a été octroyé.
L’emplacement retenu pour la création
Les vitraux créés par Kimsooja ornent les quatre baies du triforium du bras sud du transept de la cathédrale, en remplacement d’une vitrerie losangée récente, dépourvue de verres colorés et de faible qualité.
Le projet
L’artiste Kimsooja propose une œuvre abstraite conçue comme une expérience sensible reposant sur la couleur et les variations lumineuses au cours du temps. En référence au concept et à la pratique du non-faire, Kimsooja a choisi de conserver le motif des verres losangés, semblables à l’existant. Les couleurs des verres se réfèrent aux couleurs traditionnelles d’Obangsaek (spectre traditionnel des couleurs en Corée), représentant les directions et éléments cardinaux.
En collaboration avec le maître-verrier français Pierre-Alain Parot, Kimsooja a choisi une mise en œuvre reprenant des techniques traditionnelles. Les panneaux sont constitués de losanges formés de deux verres assemblés à l’aide d’un montage Tiffany. Des verres soufflés colorés et des verres dichroïques sont utilisés pour la création de ces losanges, qui sont assemblés à l’aide de plombs.
Les travaux d’accompagnement
Afin de mettre en place ces vitraux, les maçonneries et sculptures extérieures ont bénéficié d’une restauration sous la direction de Pierre Dufour, architecte en chef des monuments historiques.
Après la mise en place d’échafaudages, assurée par l’entreprise Europe Échafaudages, les travaux ont été réalisés par les entreprises Benoît Weber Qualité (maçonnerie) et Tollis (sculpture).
Les maçonneries ont été nettoyées par micro-gommage. L’ensemble des joints ont été piochés et refaits à l’aide d’un mortier à la chaux. Le remplage (ossature en pierre) des baies destinées à recevoir les vitraux a été restauré par la réalisation de greffes dans les zones lacunaires.
Une fois les vitraux mis en place, les calfeutrements (joints permettant l’étanchéité et la fixation des panneaux) ont été réalisés à l’aide d’un mortier traditionnel à la chaux.
Le décor sculpté a également fait l’objet d’une attention particulière. La fragilité et le fort encrassement de certains chapiteaux sculptés ont nécessité le recours à un nettoyage au laser.
Partager la page