L'événement est d’envergure et, en tant que tel, il est à saluer ! Trop peu d'occasions comme celle-ci (ou comme celle que l'ONDA avait organisée le 1er décembre 2022) viennent donner la visibilité que les artistes ultra-marins méritent. Ce champ de la création contemporaine française prend en effet une ampleur plus considérable que celle d’une simple niche. Et il déploie sans complexe des relations ambitieuses avec les continents qui l’entourent.
L’idée d’un rendez-vous durable inscrit dans le calendrier de la saison culturelle fait donc son chemin, et c’est pour la promouvoir que la Friche la Belle de Mai, s’inscrivant dans l’esprit et la lettre du Pacte en faveur des artistes et de la culture ultramarine (voir encadré), a pris l’initiative d’organiser un tel rendez-vous, en fondant « Un Champ d’Îles » (en partenariat avec le FRAC Réunion, FRAEME, le centre d’art contemporain d’intérêt national Triangle-Astérides et le Réseau documents d'artistes.).
Au programme notamment, deux expositions, des performances et deux journées professionnelles qui promettent d’être passionnantes. Alban Corbier-Labasse, directeur général de la Friche la Belle de Mai, nous en dévoile les aspects les plus saillants. Entretien.
Pourquoi organiser à Marseille, à la Friche la Belle de Mai, cet événement « Un Champ d’Îles » ?
Les arts visuels ultra-marins font preuve d’un dynamisme fascinant. « Un champ d’îles » découle de cette envie de partager cela : il est grand temps de tout faire pour lever les freins qui s’opposent à la visibilité des artistes ultra-marins dans l’Hexagone, et ceci d’autant plus que leur notoriété dans des aires géographiques nouvelles, à l’international, s’est considérablement accentué ces dernières années.
Qu’est-ce que cet événement apporte de plus que l’ensemble des mesures de soutien du ministère de la Culture ?
En France, l’écrasante majorité des espaces dédiés à l’art contemporain sont dans l’Hexagone, si bien que la question de la mobilité des artistes ultra-marins est, du fait de la distance, une question sensible et bien identifiée, qui relève des politiques culturelles, comme d’autres encore (réduire toute rupture de continuité territoriale, construire une égalité des chances quant à la formation et à l’accès aux filières professionnelles, améliorer ou même constituer un maillage d’équipements culturels régionaux, sous-régionaux, ou encore régler la question de « l’octroi de mer », véritable barrière douanière qui freine la circulation des œuvres…).
Notre projet se situe sur un autre plan. Au-delà de ces problématiques, il faut remarquer que la pluralité des identités culturelles de ces artistes français des Outre-mer est un atout formidable, qu’il convient de mettre en valeur.
En quelques mots, comment caractériser cette singularité des artistes d’outre-mer ?
Ils sont assimilés à la scène française de l’art contemporain, tout en appartenant à des contextes géographiques et culturels très riches et très différents. Leur parcours artistique se nourrit d’autres histoires et d’autres géographies, en plus ou delà du récit national.
Depuis les Caraïbes, ils regardent tout le continent américain (Brésil, Colombie, Etats-Unis, Canada…). Depuis la Réunion ou depuis Mayotte, ils sont reliés à l’Inde et à l’Afrique (notamment l’Afrique du Sud qui comprend un véritable marché de l’art). Ces grands carrefours culturels, mais aussi géopolitiques, sont inspirants mais sont aussi des nouveaux marchés pour l’art contemporain. L’Ambassade de France aux Etats-Unis, avec la Villa Albertine, ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Parmi les artistes qu’elle invite, elle fait la part belle à ceux des territoires caribéens, qui apportent, par exemple, un point de vue différent sur les questions d’afro-descendance, par rapport à celui des Etats-Unis ou de la France hexagonale.
Peut-on parler d’une nouvelle époque, pour l’art contemporain d’outre-mer ?
En tous cas, notre projet a été accueilli avec enthousiasme par le ministère de la Culture et celui des Outre-mer. Il s’inscrit parfaitement dans le pacte de visibilité signé entre les deux ministères (voir encadré), qui ont été extrêmement réactifs et volontaires pour organiser ce temps fort, et sans lesquels nous ne serions pas allé jusqu’au bout.
Par ailleurs, le fait qu’un artiste martiniquais, Julien Creuzet, ait été choisi parallèlement pour représenter la France à la Biennale de Venise, a confirmé la pertinence de notre projet. Beaucoup de gens travaillent depuis longtemps à faire émerger ces artistes et c’est passionnant de vivre ces moments où l’on voit les choses bouger. On assiste à un petit bouleversement de la cartographie de l’art contemporain en France.
Alors, plus précisément, quel est l’objet de « Un champ d’îles » ?
« Un champ d'îles », c'est le titre d'un poème d'Édouard Glissant, que nous lui avons emprunté afin de mettre en avant cette forme singulière, l’archipel, qui évoque toute la richesse des Outre-mer.
En nous inspirant des rendez-vous que le spectacle vivant a su créer avec succès dans son domaine (festival Zébrures à Limoges, Théâtre de la Chapelle du Verbe incarné en Avignon, festival Mois Kreyol en Ile de France), nous nous sommes dit qu’il y avait de la place pour l’organisation d’un temps fort pour les artistes ultra-marins dans le champ de l’art contemporain.
Sans imaginer créer un rendez-vous récurrent, mais plutôt dans l’idée de susciter l’intérêt des professionnels et du public de l’Hexagone, nous avons tenté de donner avec FRAEME, Triangle-Astérides, le Réseau documents d'artistes et le FRAC Réunion, à travers expositions, tables-rondes et performances, un coup de projecteur sur les scènes caribéennes et indianocéaniques.
Ces expositions et performances seront assorties d’un « symposium » programmé sur deux journées…
C’est l’autre volet d’« Un champ d’îles », aussi important que l’autre : Loin ne veut pas dire petit. Un temps de rencontres imaginées par le Réseau documents d'artistes, conçues avec le concours d'un comité scientifique, et constituées d’intervenants presque tous issus de ces territoires, pour s’adresser, ici à Marseille à la Belle de Mai, à un public de l’Hexagone, professionnels de la culture et de l’art contemporain (réseau des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), des Centres d’art contemporain (CAC), des musées… mais aussi de galeristes, espérons-le), afin de sensibiliser ceux-ci (voire les enchanter) à la création ultra-marine.
Ces rencontres seront aussi un carrefour pour les artistes des différentes aires géographiques, puisqu’il s’agit aussi de donner à Marseille la possibilité de rapprocher les professionnels des Caraïbes de ceux de l’océan Indien, de croiser leurs expériences et problématiques, tout autant qu’avec ceux qui travaillent sur le territoire hexagonal.
Dans tous les cas, « loin ne veut pas dire petit » (pour reprendre le titre donné au symposium) et ces territoires archipéliques sont bel et bien en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’art, ou bien de proposer une autre histoire des arts, plus créole et moins disciplinaire.
Retrouver ici le programme du symposium Loin ne veut pas dire petit
Le pacte en faveur des artistes et de la culture ultramarine
Signé le 3 mars 2022, ce pacte s’articule autour d’engagements forts du ministère des Outre-mer et du ministère de la Culture pour accompagner les artistes ultramarins et assurer leur rayonnement au niveau national et dans chacune des zones régionales ultramarines avec notamment :
Le financement de 20 résidences d’artistes ultramarins dans l’Hexagone et en Outre-mer ;
Le soutien à la formation des étudiants et jeunes artistes ultramarins ;
Le financement de 1000 voyages aller/retour d’artistes ultramarins et d’associations culturelles ultramarines chaque année vers l’Hexagone ;
La contribution à la réalisation de 40 documentaires, films de fiction ou séries destinés aux chaînes de télévision et aux plateformes numériques ;
L’amélioration des conditions d’accès au dispositif « 1% artistique ».
Comprenant 10 mesures, ce pacte pour les artistes ultramarins offre un panel d’outils renforcés pour les artistes et professionnels de la culture. La dynamique engagée permet de donner une place jusqu’alors inédite à la culture et aux artistes ultramarins dans les 21 lieux et réseaux culturels signataires et partenaires du pacte : musées, conservatoires et médias nationaux.
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