Qu’est-ce que la recherche de provenance ?
La recherche de provenance vise à documenter le parcours des œuvres depuis leur création jusqu’à leur localisation actuelle. Elle prend particulièrement en compte quatre problématiques de recherche : spoliations entre 1933 et 1945, restes humains, biens issus de contextes coloniaux et trafic illicite (vol, pillage archéologique, faux et contrefaçon). Améliorer la connaissance de l’histoire des collections publiques est un enjeu d’autant plus important que le musée est une institution en laquelle les citoyens placent leur confiance.
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Recherche en provenance et histoire de l’art : des objectifs différenciés
Si la notion de provenance est apparue au XVIIIe siècle avec la création des catalogues de collections (premier catalogue de la collection royale en 1729) et l’apparition du marché de l’art, elle a connu des évolutions récentes notables.
La recherche classique sur l’histoire des œuvres ou des collections a un objectif scientifique et patrimonial, centré sur l’esthétique, la production, l’histoire de la réception de l’œuvre, l’histoire du goût et sur l’intérêt de l’œuvre pour les collections. S’y sont ajoutées de manière de plus en plus pressante des garanties en matière d’authenticité, d’originalité et de valeur. La recherche classique en histoire de l’art porte sur toutes les informations qui peuvent renforcer la valeur artistique, historique ou d’usage des biens culturels : elle peut donc assumer d’être sélective.
La recherche de provenance vise à reconstituer la succession de l’ensemble des détenteurs et propriétaires d’un bien culturel, de sa création à aujourd’hui, et les étapes de sa circulation. Elle poursuit un objectif différent de la recherche sur l’histoire classique des collections mais complémentaire : juridique (la sécurisation de la propriété s’avérant un enjeu croissant) et éthique (l’absence de transparence étant beaucoup moins tolérée face aux questionnements sociétaux). Elle est donc centrée sur des aspects qui nécessitent des compétences techniques particulières (méthodologie pour déterminer l’origine ou les changements de propriétés, connaissance du marché de l’art, maîtrise de la recherche en généalogie). Elle consigne les traces historiques mais aussi leur absence : omissions comme actions sont susceptibles d’affecter la valeur juridique et éthique voire la légitimité de la propriété publique. Elle vise donc à l’exhaustivité, même si elle y parvient rarement, dans la reconstitution de la chaîne de propriété. Elle permet, pour les acquisitions, de sécuriser le processus ; pour les collections permanentes, de faire œuvre de vérité et de transparence sur les acquisitions passées et de prévenir les risques réputationnel et juridique, en rendant possible, le cas échéant, la restitution de biens entrés de manière illicite ou illégitime dans les collections publiques.
Des préalables indispensables en histoire de l’art
Avant de commencer à étudier les questions spécifiques à la provenance d’un bien, il est indispensable de faire d’abord un état des lieux de la recherche sur le bien dans le domaine concerné (histoire de l’art, archéologie, ethnologie, etc.) et de s’intéresser à la matérialité de l’objet (étude du revers de l’œuvre, recherche de marques ou d’étiquettes, etc.) (Voir Vademecum des recherches de provenance, partie 2).
Toute recherche doit commencer par la consultation des catalogues raisonnés (ressource du site Musées sur les catalogues raisonnés numériques d’artistes, bibliothèque de l'INHA …) qui peuvent donner des éléments de provenance. Il est cependant nécessaire d’être vigilant aux changements d’attributions ou de titres qui peuvent induire en erreur.
Il est également nécessaire de déterminer si l’œuvre a pu passer en vente publique, grâce aux catalogues de ventes, notamment ceux qui ont été numérisés. Les catalogues sont parfois annotés et peuvent alors apporter des informations précieuses sur les acheteurs et les vendeurs, ainsi que sur les montants des transactions. Les procès-verbaux de ces ventes permettent de connaître le nom des acheteurs. Ils sont conservés aux archives départementales, et donc aux archives de Paris pour l’Hôtel Drouot, par exemple (voir les fonds signalés sur Resprovmus).
Toute recherche d’ensemble sur un fonds ou une collection suppose un certain nombre de prérequis, il est nécessaire de s’appuyer sur les éléments suivants :
• Une trame sur l’histoire institutionnelle (qui retrace les grands moments d’assemblement ou de fusion, de dispersion, de succession des institutions et du personnel, les logiques de constitution des collections, et les liens avec les sociétés savantes – versements, dépôts, etc.) ;
• Une note sur l’histoire des inventaires, nécessitant souvent de vérifier la présence d’inventaires anciens dans les fonds concernant le musée aux archives municipales ;
• La numérisation des registres d’inventaire et, si les collections ont circulé entre les musées d’une même ville, ou entre plusieurs musées nationaux, rassembler et mutualiser les numérisations ;
• Une cartographie des archives et de la documentation concernant les collections. Si elles ont été dispersées entre différentes structures (archives municipales ou nationales, musées…), leur rassemblement facilitera le dépouillement ;
• La mise en place des conditions permettant un examen matériel des biens considérés : les marques, étiquettes, numéros, revers des tableaux, etc., doivent être facilement accessibles.
Ces éléments rendent possible la réalisation d’un état des lieux des collections visant à évaluer les priorités de recherche en fonction des problématiques (spoliations 1933-1945, restes humains, biens issus de contextes coloniaux…). Ce travail peut nécessiter l’appel à des spécialistes ou à des chercheurs indépendants pour évaluer les points d’attention propres à vos collections. La feuille de route qui en sera issue aidera à prioriser les recherches à mener sur des œuvres précises.
Vérifiez si vous disposez des moyens nécessaires, en interne et/ou en externe. Dans la négative, revoyez les objectifs de manière pragmatique, le cas échéant en étalant les travaux dans le temps.
Quatre grandes problématiques
Spoliations entre 1933 et 1945
Les « spoliations entre 1933 et 1945 » désignent le vol et la dépossession d’apparence légale mis en œuvre dans le cadre de la législation établie par le régime nazi ou, en France, le régime de Vichy, ainsi que les ventes forcées intervenues pendant la période.
La loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 est destinée à faciliter la restitution d’objets d’art, œuvres ou livres présents dans les collections publiques qui se révéleraient spoliés au cours de cette période. La loi, complétée par le décret d’application n° 2024-11 du 5 janvier 2024 qui refonde également la CIVS, crée ainsi, dans le code du Patrimoine, une dérogation encadrée au principe d'inaliénabilité des collections publiques : la décision de restitution est désormais prise par le propriétaire public – par décret du Premier ministre ou par acte de l’organe délibérant de la collectivité territoriale, après avis de la Commission pour la restitution des biens et l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites. La CIVS se prononce sur la base des recherches effectuées par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) du ministère de la Culture, chargée d’établir les faits de spoliation en lien avec les musées et bibliothèques concernés. Lorsque la spoliation est reconnue par la CIVS, la restitution de l’œuvre s’impose – mais d’autres modalités de réparation peuvent être définies en accord avec les propriétaires légitimes.
Pour la première fois, l’ensemble des biens présents dans les collections publiques françaises qui ont pu faire l’objet d’une spoliation est concerné, quel que soit le lieu de la spoliation dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, selon les termes de la loi, « par l’Allemagne nazie, par les autorités des territoires que celle-ci a occupés, contrôlés ou influencés et par l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 ».
L’identification des biens culturels spoliés dans ce contexte et entrés dans les collections publiques, et leur restitution à leurs légitimes propriétaires, est un impératif pour les institutions publiques. Ces œuvres doivent désormais être mieux repérées parmi les acquisitions réalisées depuis 1933 et jusqu’à aujourd’hui et leur provenance doit être clarifiée pour qu’elles puissent retrouver dans les plus brefs délais leurs légitimes propriétaires.
Lorsqu’ils sont identifiés dans les établissements publics, les biens spoliés doivent être restitués à leurs propriétaires légitimes : les ayants droit du propriétaire spolié.
Pour les œuvres « Musées nationaux récupération » (MNR), déposées dans plus de 170 Musées de France, les musées doivent en outre les exposer et les mettre en valeur de façon spécifique. La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 met à disposition des musées différents outils (texte de présentation des œuvres MNR, modèles de cartels, indications pour la transmission des photographies afin d’alimenter la base Rose-Valland (MNR-Jeu de Paume), etc.).
Au sein du ministère de la Culture (Secrétariat général, Service des affaires juridiques et internationales), la Mission de Recherche et de Restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) est chargée de piloter et d’animer la politique publique de recherche, de réparation et de mémoire des spoliations de biens culturels.
La M2RS répond à toute question de la part de descendants de familles spoliées, chercheurs, musées, bibliothèques, marchands, maisons de vente, etc. Pour contacter la M2RS : contact.m2rs@culture.gouv.fr
Restes humains
Par « restes humains » on désigne, dans les musées et collections publiques patrimoniales (y compris les dépôts) :
• Les vestiges matériels constitués en tout ou en partie, transformés ou non transformés, de matériel biologique humain ;
• Anthropologiquement définis comme issus de l’espèce Homo sapiens (ils ne comprennent pas les vestiges d’autres représentants du genre Homo, considérés comme disparus et relevant de la paléontologie).
Pour mémoire, le droit français interdit l’achat de restes humains. Les acquisitions à titre gratuit (dons, legs), sont légales mais déconseillées dès lors que la provenance des restes humains n’est pas parfaitement documentée.
La loi cadre n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 - et son décret n° 2024-632 du 28 juin 2024 – relative à la restitution de restes humains de personnes étrangères décédées après 1500 appartenant aux collections publiques vise à mieux répondre aux demandes d’États qui souhaitent légitimement rendre l’hommage dû à leurs morts et organise la possibilité de restitution dans cet objectif exclusif. La loi intègre dans le code du Patrimoine une possible dérogation, strictement encadrée, au principe d'inaliénabilité des collections publiques (« La sortie du domaine public est réalisée exclusivement pour permettre la restitution de restes humains à un État à des fins funéraires. », art. L. 115-5, code du Patrimoine). Elle prévoit une procédure et une méthodologie claires ainsi qu’une information continue du Parlement. Elle institue le recours, chaque fois que nécessaire, à un comité scientifique bilatéral chargé de travailler à l’identification des restes humains concernés, qui est une des conditions de la restitution.
Seuls les restes humains postérieurs à l’année 1500 sont concernés par la loi sur les restitutions.
Les principes de respect et de dignité entraînent une nécessaire prise en compte des représentations culturelles des groupes humains dont ces restes sont issus.
Le contexte de décès et le contexte de collecte peuvent chacun comporter un non-respect de la volonté des défunts et de leurs descendants, ainsi que des normes sociales, des coutumes, des conventions, voire des lois de la société concernée.
Biens issus de contextes coloniaux
Les musées français sont appelés à renforcer les moyens mis en place pour la documentation de l’histoire des biens issus de contextes coloniaux. L’existence d’un contexte colonial ne signifie pas que l’acquisition de l’objet est illégale ou qu’une restitution est nécessairement à envisager. Elle implique en revanche d’être particulièrement attentif au contexte culturel historique et juridique. Il convient de garder à l’esprit que l’éventail des contextes est varié et que la recherche vise donc à documenter au mieux les processus d’appropriation et de négociation à l’échelle historique et locale.
Quel que soit le contexte de la recherche, il est capital d’établir des contacts avec les chercheurs et les professionnels du patrimoine des pays d’origine, de se référer à des collections similaires dans d’autres musées en France ou à l’étranger et de s’appuyer sur les réseaux compétents qui peuvent fournir une expertise spécialisée pour une meilleure compréhension des objets.
Dans l’attente d’une troisième loi cadre concernant la restitution de biens culturels, il n’existe pas de véhicule juridique permettant de déroger au principe d’inaliénabilité du code du Patrimoine. Seules des lois d’espèce peuvent le permettre (Lois d'espèces de 2020 pour le Sénégal et le Bénin ou celle déposée en novembre 2024 pour la Côte d'Ivoire). Le cadre juridique national demeure donc celui de la domanialité publique et du code du Patrimoine.
Trafic illicite
Par trafic illicite, on entend l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, visant à tirer un profit matériel ou financier en violation des règles de droit applicables dans le pays source ou dans le pays de conservation.
Les objets illicitement trafiqués peuvent avoir été volés à leur précédent propriétaire, ou bien ont été pillés : ils peuvent n’avoir jamais été inventoriés.
Les acteurs de ce domaine appartiennent par définition à un contexte d’activités marquées par l’opacité. Une vigilance particulière doit être portée aux personnes ayant eu l’occasion de travailler dans des pays étrangers en temps de crise et d’instabilité. Ces informations sont souvent connues par les spécialistes, chacun dans leur domaine.
Par ailleurs, le risque de falsification des documents, susceptibles d’attester d’une provenance sans tache des objets s’accroît, ce qui doit conduire également à une vigilance accrue sur les éléments fournis à l’appui d’un projet d’acquisition par le vendeur pour essayer de détecter des incohérences ou anachronismes qui trahiraient une provenance illégale.
Déontologie
Les responsables de collection doivent :
1 - Effectuer des recherches de provenance en priorité sur les projets d’acquisition et les collections concernées par les quatre problématiques de recherche décrites
2 - S'abstenir d'acquérir des biens
- dont la provenance n'est pas ou mal documentée et pour lesquels des signaux pointent une des quatre problématiques évoquées ci-dessus.
- ayant un historique lacunaire sans avoir vérifié un certain nombre de mots-clés dans les bases de référence sur les spoliations ou les vols ; avoir fourni un relevé précis de ces recherches comme des lacunes subsistantes.
- pour lesquels des indices pointent une suspicion d’appartenance à la domanialité publique française ou étrangère.
3 - Permettre l’accessibilité de l’information sous toute forme pertinente, en publiant ou rendant public ce qu'ils savent sur les objets de leurs collections (notamment sur POP, la plateforme ouverte du patrimoine, (Participer à Joconde, catalogue collectif des collections des musées de France).
4 - Vis-à-vis des éventuelles victimes et de leurs ayants droit, aborder dans un esprit de collaboration, de concertation, de transparence, de respect et de confidentialité tous les aspects de l'acquisition, de la gestion et de l’histoire de biens concernés.
5 - Dans le cas particulier des restes humains, les musées doivent prendre en compte les questions d’éthique et de dignité humaine spécifiques, notamment le respect dû aux défunts et à leurs descendants, mais aussi les besoins de la recherche.
Pour en savoir plus, voir le Vademecum des recherches de provenance (publication à venir).
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