En 2025, dans le prolongement du succès de "Impressionnisme 2024", le musée d’Orsay initie un projet fédérateur et ambitieux : faire dialoguer l’art avec les enjeux climatiques et la biodiversité. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de l’opération nationale "100 œuvres qui racontent le climat". Cent chefs-d’œuvre – peintures, sculptures, photographies, dessins – sont ainsi prêtés à 31 musées partenaires dans 12 régions françaises, suscitant une dynamique collective entre artistes, climatologues, philosophes et citoyens autour de la transition écologique.
En Île-de-France, seuls trois musées départementaux, le musée départemental des Peintres de Barbizon, le musée départemental de la Seine-et-Marne et le musée départemental Stéphane Mallarmé, ont été retenus et conjuguent leurs voix pour accueillir huit œuvres majeures du musée d’Orsay. Ces trois expositions - "Paysages & paysans", "Charbon forever ?", "Entre fleuve et fleurs" - tracent ainsi un parcours singulier, au croisement de l’art, de la nature et de la mémoire vivante des paysages. Ces musées jouent un rôle essentiel en proposant un récit original, ancré dans le territoire francilien. Ils prolongent cette ambition nationale par une médiation sensible, poétique et engagée, permettant à chacun d’interroger sa propre relation au vivant. Ce dialogue entre art et écologie se prolonge également au musée d’Orsay, à Paris, à travers un parcours thématique dans les collections permanentes, approfondissant cette exploration d’un passé artistique éclairant notre présent.
"Paysages & paysans"
À Barbizon, village mythique où s’inventa la peinture de plein air et où s’enracina une conscience écologique pionnière, le musée rend hommage à ceux qui ont vu, avant tout le monde, la fragilité du vivant. Au cœur de la forêt de Fontainebleau, Barbizon incarne une révolution silencieuse de la peinture. Là, au XIXe siècle, des artistes se détournent de l’académisme pour peindre la nature en vérité. Ils font du paysage non plus un simple décor, mais un sujet en soi, chargé d’émotion, de mémoire, d’équilibre. C’est cette tradition vivante que le musée des Peintres de Barbizon interroge aujourd’hui à travers l’exposition "Paysages & paysans", qui conjugue regard artistique, conscience écologique et observation du monde rural.
Un dialogue entre œuvres du XIXe siècle et créations contemporaines
Le renouvellement de l’accrochage fait dialoguer chefs-d’œuvre du XIXe siècle et expressions contemporaines autour de la figure du paysan, du territoire agricole et de la forêt comme lieu à la fois habité, travaillé, traversé.
À travers "La Clairière dans la haute futaie" de Théodore Rousseau, c’est l’engagement d’un artiste pour la préservation de la forêt de Fontainebleau qui s’impose, face à la modernité triomphante et à ses assauts d’asphalte. Son tableau, d’un réalisme vibrant, évoque tout à la fois l’héritage de la peinture anglaise, l’essor des chemins pavés et bitumés, la présence grandissante des voies de circulation, et la place fragile de l’homme dans un monde qu’il transforme. En contrepoint, la photographie "Le Pavé de Chailly" de Claire Tenu offre une lecture contemporaine des mutations du paysage. Le chemin forestier y devient trace, mémoire, fracture. L’image saisit, en creux, la tension entre permanence végétale et empreinte humaine. "La Moisson" de Charles-François Daubigny nous invite à la contemplation d’une campagne lumineuse, baignée de chaleur. Son traitement de la lumière, sa touche libre annoncent l’émergence de l’impressionnisme. Mais au-delà de la forme, l’œuvre rend compte des bouleversements agricoles de son époque : la coexistence du labeur manuel et de la mécanisation naissante, le rôle du travail saisonnier, la continuité menacée des savoirs paysans. Ces thématiques trouvent un écho dans les paysages d’Eugène Lavieille, qui capturent l’alternance des saisons.
Regards croisés sur le monde rural
Enfin, l’exposition ouvre un espace dédié au travail de Constant Famin, figure méconnue mais essentielle de la photographie documentaire en forêt de Fontainebleau. À mi-chemin entre document ethnographique et œuvre d’art, ses clichés témoignent d’un regard humble et direct sur les paysans de son temps.
Ce regard est prolongé par les œuvres de Nina Ferrer-Gleize, dont les textes et images questionnent avec acuité l’importance du corps dans le travail agricole, les gestes répétés, les outils, les tensions entre tradition et mutation technologique. L’exposition "Paysages & paysans" n’invite pas seulement à voir, elle appelle à ressentir la lente transformation d’un monde rural, à écouter ce que les œuvres nous disent de la terre et de ce qu’il nous appartient aujourd’hui de préserver. Jusqu'au 14 juillet 2025, Musée des Peintres de Barbizon
Constant-Alexandre Famin, A. Foncelle Paysan fauchant, vers 1870, épreuve sur papier albuminé à partir d'un négatif verre, contrecollée sur cartonH. 16,2 ; L. 12 cm (H. 35 ; L. 26,5 cm) autre dimension H. 35 ; L. 26,5cm. Collection Musée d'Orsay. Achat, 1983 © photo : Musée d'Orsay, dist. GransPalaisRmn / Patrice Schmidt
"Charbon forever ?"
Au cœur de la vallée du Petit-Morin, le musée de la Seine-et-Marne fête ses 30 ans en interrogeant la mémoire d’un matériau qui a façonné l’histoire industrielle autant qu’il alimente aujourd’hui les débats écologiques : le charbon. L’exposition "Charbon forever ?" propose une plongée à la fois historique, territoriale et critique dans l’univers de cette énergie fossile, en prenant appui sur un objet rare de ses collections : un panier de coltineur, identique à ceux représentés dans "Les Déchargeurs de charbon" de Claude Monet. Conservé dans les réserves du musée, ce panier en vannerie d’osier, autrefois utilisé pour charger le charbon sur les flûtes qui remontaient la Marne et l’Ourcq jusqu’à Paris, devient le point de départ d’un récit pluriel. L’œuvre de Monet, avec son atmosphère sombre et sa puissance visuelle, évoque les gestes, les corps et les pénibilités d’un monde en pleine transformation, rythmé par les besoins d’une industrie en plein essor. Autour de ce tableau, l’exposition déploie un panorama éclairant sur l’histoire énergétique du département, entre exploitations locales, innovations techniques et dépendances fossiles.
Du panier d’osier aux péniches : une mémoire en mouvement
À travers des exemples concrets – les usines à gaz de houille, qui ont fourni dès le XIXe siècle les premières formes d’électricité locale, ou encore la centrale thermique de Vernou-Montereau, inaugurée en 1964 et un temps la plus puissante de France – le visiteur découvre comment la Seine-et-Marne a été un maillon actif de cette épopée industrielle. L’exposition évoque également les charbonniers des forêts locales, artisans d’une économie du bois et du feu aujourd’hui oubliée, tout en abordant les pollutions induites par l’usage intensif du charbon et de ses dérivés. Enfin, la voie fluviale, essentielle au transport du charbon jusqu’à la capitale, rappelle le rôle discret mais fondamental des rivières dans cette économie énergétique. Le musée propose ainsi un regard complet sur un matériau au destin paradoxal : moteur du progrès autant que source de nuisances durables.
Charbon : entre héritage industriel et défis climatiques
Avec "Charbon forever ?", le musée de la Seine-et-Marne transforme un objet modeste en clé de lecture d’un système énergétique mondial. Il tisse un lien fort entre passé local et enjeux globaux, mémoire ouvrière et conscience écologique. Une exposition nécessaire, entre éclairage historique et questionnement contemporain. En filigrane : une question essentielle, lancinante – le charbon appartient-il vraiment au passé ? Ou demeure-t-il, à l’échelle planétaire, un foyer actif de bouleversements climatiques ? Jusqu'au 14 juillet 2025, Musée départemental de Seine-et-Marne,
Dans le cadre de l'exposition "Charbon forever ?", une conférence est organisée le dimanche 27 avril 2025 : "L'énergie du charbon, histoire d’une énergie fossile polluante" par Thomas LE ROUX.
Thomas Le Roux est chargé de recherches au CNRS, et travaille au sein du Centre de recherches historiques (UMR 8585 EHESS/CNRS) et en particulier de son équipe Groupe de recherches en histoire environnementale (Grhen). Ses recherches portent sur l’impact de l’industrialisation sur l’environnement aux 18e et 19e siècles : pollutions, risques, accidents et santé au travail, transformation des paysages, etc.
Réservation conseillée au 01 60 24 46 00 ou mdsm@departement77.fr
"Entre fleuve et fleurs"
C’est une exposition comme une respiration. Un hymne discret à la beauté des choses simples, des éléments familiers : un fleuve, un arbre, une fleur. Dans la maison où Stéphane Mallarmé vient chercher le calme, face à la forêt de Fontainebleau et au rythme fluide de la Seine, l’exposition "Entre fleuve et fleurs" puise dans les souvenirs du poète pour faire surgir une écologie de l’intime.
L’éveil d’un paysage intérieur
Autour du jardin de Valvins, entretenu par Mallarmé lui-même et devenu lieu d’expérimentation botanique et spirituelle, les œuvres prêtées par le musée d’Orsay forment un bouquet délicat. Berthe Morisot, venue en amie, y peint un moment suspendu. Une toile intimiste "Femmes au jardin", peinte lors d’une visite à la famille Mallarmé et récemment offerte par ses descendants, illustre avec une rare justesse l’atmosphère d’harmonie qui régnait alors en ce lieu. Odilon Redon, avec son "Vase de fleurs" (Pavot rouge), y glisse une note symboliste, tandis qu’Édouard Manet, dans "Branches de pivoines et sécateur", évoque une nature à la fois cultivée et contemplée. Le fleuve, élément central de cette exposition, est abordé à travers l’étude de Seurat pour "Une baignade à Asnières". L’eau, source de fraîcheur, de loisir, de liberté, est aussi un espace menacé : ses reflets deviennent brume, ses rives reculent. Ce glissement du regard, de la joie insouciante à l’alerte discrète, marque toute l’exposition.
Des photographies contemporaines signées Anne-Lise Broyer, lauréate du prix Niépce 2024, qui revisite le lieu avec une sensibilité contemporaine mélancolique, viennent prolonger cette atmosphère méditative. Poèmes, correspondances, objets personnels tissent un lien sensible entre les époques et rappellent que la nature est aussi un lieu d’écriture, d’amour et de transmission.
À Vulaines-sur-Seine, la poésie du lieu devient manifeste : la nature qu’a tant aimée Mallarmé nous parle encore – à condition de l’écouter. Du 2 mai au 14 juillet 2025 – Musée Stéphane Mallarmé, Vulaines-sur-Seine
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