1.Le Denkmalarchiv : inventorier, conserver, populariser
À la fin du XIXe siècle, lors de l’annexion de l’Alsace et de la Moselle, l'administration allemande a créé un service du patrimoine qui avait notamment pour mission de documenter le patrimoine régional. Très tôt, une collection iconographique a été constituée, le Denkmalarchiv.
En 1871 lorsque les territoires d’Alsace et de Moselle sont annexés, Strasbourg devient la capitale du Reischsland Elsass-Lothringen, une région administrative du nouvel Empire allemand.
L’administration prussienne va s’intéresser au patrimoine local, en particulier la conservation des monuments anciens. En 1901, elle nomme Felix Wolff, conservateur berlinois, à cette tâche.
Ce dernier, qui avait déjà séjourné en Alsace pour étudier l’abbatiale de Marmoutier, organise un service de la Conservation des monuments et sites historiques en Alsace-Lorraine – le Denkmalpflege.
L'origine du Fonds
En parallèle, à la création du Denkmalpflege, la Commission pour la protection des Monuments historiques demande la constitution d’archives. Selon les recommandations des congrès des conservateurs allemands, F. Wolff s’emploie à inventorier, conserver et populariser le patrimoine régional. Pour répondre à ce triple objectif, il créé notamment le Denkmalarchiv, les archives du Denkmalpflege.
Ce service d’archives des Monuments historiques, promu au rang de modèle dans toute l’Allemagne, est accessible au public dès 1902 dans une aile du palais Rohan où une salle de lecture et de travail est mise à disposition à cet effet par la ville de Strasbourg. Une exposition montrant la collection y est également organisée en 1905.
A compter de l’annexion et jusqu’en 1918, l’administration allemande poursuit le classement des monuments historiques qui avait été instauré en Alsace depuis 1840. F. Wolff souhaite réaliser un inventaire exhaustif des monuments d’Alsace-Lorraine et en 1903, il publie une liste supplémentaire d’immeubles présentant un intérêt historique ou artistique mais non classés MH dans son manuel de conservation. L’ensemble de la collection du Denkmalarchiv a pour but de documenter le patrimoine régional bâti et mobilier ainsi que de pouvoir comparer l’état actuel du monument à son état antérieur. A la fois documentation patrimoniale et outil de travail pour les architectes du Denkmalpflege, ces archives deviennent un instrument indispensable pour œuvrer à la préservation des monuments d’Alsace et de Moselle.
Constitution et richesses du Denkmalarchiv
Dans un ouvrage publié en 1909, F. Wolff décrit précisément le fonds et son mode de constitution. Des crédits importants sont dédiés chaque année, pour un montant de 3000 marks, réévalué par la suite à 4500 marks. Des copies des dossiers des monuments classés d’Alsace sont réalisées aux Archives de la Commission des Beaux-Arts à Paris et différents dépôts alimenteront le fonds, provenant notamment de l’Universität und Landesbibliothek de Strasbourg ainsi que celui de plusieurs fonds privés tels que la collection personnelle de l’architecte Charles Winkler (dessins et photographies) ou encore les archives du conservateur Franz Xaver Kraus.
Outre une politique d’acquisition de documents originaux anciens, la réalisation de vastes campagnes photographiques et de nombreux relevés et dessins réalisés sur tout le territoire par les architectes et conservateurs successifs des Monuments historiques complète la richesse du fonds.
En 1909, F. Wolff dénombre « 5260 dessins, 5100 photographies, 122 moulages en plâtre, 920 plaques photographiques, 1620 livres et 11 150 avis d'experts et négociations ». Il fixe les règles d’usage et de consultation et décrit également son mode de classement, organisé par aires géographiques.
Le Denkmalarchiv conserve de nombreux croquis, dessins, lithographies, ou encore aquarelles d’artistes dont F. Wolff louera la grande qualité. Parmi eux, des aquarelles d’Emmanuel Frédéric Imlin (1782-1831), des œuvres du Colmarien Jacques Rothmuller (1804-1862) et de Charles Perrin (1811-apr.1868).
L’aquarelliste et illustrateur français Louis Laurent-Atthalin (1818-1893) produit particulièrement autour de Colmar et notamment à Ottrott et Ribeauvillé. On dénombre encore quantité de croquis et dessins de Karl Weysser (1833-1904), un artiste allemand spécialisé dans l’architecture et la peinture de paysage.
Le Denkmalarchiv à Strasbourg
Les documents relatifs à la ville de Strasbourg sont extrêmement nombreux, montrant ainsi la vie des édifices emblématiques et l’architecture remarquable de la ville. Les planches photographiques classées par rue documentent en image son évolution urbaine ainsi que ses destructions liées notamment aux conflits armés.
Parmi ces documents, le fonds présente actuellement 302 relevés architecturaux du palais du Rhin, ancien palais impérial, et seulement 18 tirages argentiques. Il se révèle particulièrement riche concernant certains édifices de la ville. On peut distinguer les documents relatifs au palais Rohan (397 relevés architecturaux et plans et 455 tirages photographiques, croquis et dessins), la bibliothèque nationale universitaire (188 relevés architecturaux et plans et 4 tirages photographiques), ou à la cathédrale Notre-Dame (345 relevés architecturaux et plans et 917 tirages photographiques, croquis, dessins).
Préalablement à la création de la Grande Percée, travaux d’urbanisme et de modernisation de la ville de Strasbourg réalisés à partir de 1911, F. Wolff dresse un inventaire des maisons insalubres et menacées de démolition. Un reportage photographique est réalisé pour répertorier tous les édifices présentant un intérêt artistique afin d’étayer les débats autour de la préservation du patrimoine.
Le Denkmalarchiv de Metz : quelques spécificités
En 1907, un décret officialise la création d’un Denkmalarchiv à Metz. Selon F. Wolff, les documents collectés jusqu’alors relatifs à la Moselle y sont transférés mais restent propriété du service de Strasbourg.
Le premier conservateur des MH nommé en 1892 à Metz est Paul Tornow, il est également architecte de la cathédrale jusqu’en 1906. Georg Wolfram, le successeur de P. Tornow à la tête du service, est aussi secrétaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine (SHAL) et directeur des Archives départementales. Puis Wilhelm Schmitz, architecte de la cathédrale, prend ensuite la direction des MH de 1909 à 1916.
La collection du Denkmalarchiv à Metz a été constituée au fil des fonctions de ces différents administrateurs aux multiples casquettes. Ainsi, en 1907 G. Wolfram acquière plusieurs dons photographiques faits à la SHAL au début du siècle pour les intégrer au Denkmalarchiv. De même les fonds d’archives du conservateur des MH et du service d’architecture de la cathédrale ont complété la collection.
De très importants travaux de restauration sont menés sur la cathédrale Saint-Étienne de Metz à partir de 1877 afin d’achever l’édifice comme un tout gothique. Menés par P. Tornow, ils conduisent à la réalisation d’une documentation photographique inédite sur l’édifice. Reliée en 21 volumes sous forme de planches légendées, parfois agrémentés de croquis ou de relevés aquarellés, cette campagne constitue une exception documentaire dans le Denkmalarchiv.
L’évolution du Denkmalarchiv
Au terme de la Première Guerre Mondiale, Robert Danis, architecte en chef des Monuments historiques, est nommé directeur des services d’Architecture et des Beaux-Arts d’Alsace et de Lorraine.
En 1920, le service et les archives sont installés au palais du Rhin, aujourd’hui siège de la DRAC Grand Est. Charles Schneegans alors assistant à la faculté des lettres à Strasbourg, reprend l’inventaire du patrimoine régional des MH et est chargé du Denkmalarchiv rebaptisé « Archives régionales d’architecture ». Il sera suivi de Paul Lechten dès 1923. Le développement de la collection se poursuit selon le modèle initial jusqu’à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale.
A Metz, Ernest Herpé, architecte et inspecteur des MH, dirigera le service d’Architecture et des Beaux-Arts (ex-Conservation des MH de Moselle) de 1920 à 1940. On apprend en 1920 que le fonds issu de la SHAL et acquis par G. Wolfram est versé aux Archives départementales de Moselle. Le reste du fonds, représentant plusieurs milliers de documents, est conservé dans son ensemble au moins jusque dans les années 1940.
Partiellement évacué en 1939 en Dordogne, le fonds est ensuite rapatrié à Strasbourg. Malgré la réorganisation de l’administration des Monuments historiques qui conduit à la scission physique du Denkmalarchiv en 1948 entre Strasbourg, Colmar et Metz, le fonds continue d’être enrichi par les nouvelles agences d’architecture départementales en charge de leur conservation.
Les derniers documents venus enrichir le fonds historique (relevés et tirages photographiques) datent de la fin des années 1980. Malgré les aléas de l’histoire, le Denkmalarchiv est aujourd’hui estimé à environ 60 000 documents iconographiques et photographiques. Par sa richesse, il constitue un fonds documentaire de référence pour l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme en Alsace et en Moselle.
A venir
2. le Denkmalarchiv aujourd’hui
et sa gestion par le Service de la documentation patrimoniale de la Drac Grand Est
Bibliographie
Annexe III. - Note sur le Denkmalarchiv. Instruction de tri et de conservation relative aux archives produites et reçues par les services départementaux de l’architecture et du patrimoine.
DAG/SDAFG/CDJA 2006/009 du 27 septembre 2006.
IGERSHEIM, F. (2013). Félix Wolff, conservateur des Monuments historiques d’Alsace. In Exposition “ Centenaire de la loi de 1913, Les Monuments historiques entre Allemagne et France“. DRAC Alsace. https://docpatdrac.hypotheses.org/jep-2013/jep2013-10-wolff
LEFORT, N. (2013). Patrimoine régional, administration nationale : la conservation des monuments historiques en Alsace de 1914 à 1964. [Thèse de doctorat, Université de Strasbourg].
STAHL M. (2017). Le Denkmalarchiv. In “ Le palais du Rhin : ancien palais impérial“, DRAC Grand Est, Ministère de la Culture, coll. Duo monuments-objets, Bernardswiller, I.D. L’Edition.
WOLFF, F. (1903). Handbuch der staatlichen Denkmalpflege in Elsass-Lothringen, Strasbourg, Karl J. Trübner.
WOLFF, F. (1909). Einrichtungen und Tätigkeit der staatlichen Denkmalpflege im Elsass in den Jahren 1899-1909, Strasbourg, Ludolf Beust.
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