Le cimetière du Montparnasse, appelé "cimetière du Sud" à l’origine, a été créé en 1824, en réponse à la politique napoléonienne de création de cimetières hors des murs de Paris, au début du XIXe, pour des raisons sanitaires et urbanistiques. Trois autres nécropoles voient ainsi le jour dans ce cadre aux côté du cimetière du Montparnasse : les cimetières du Père-Lachaise en 1804, de Passy en 1820 et de Montmartre en 1825. Il accueille de nombreuses célébrités et figures de l’histoire, ainsi que des œuvres d’art qui ornent plusieurs sépultures.
Une campagne de protection pour rendre ses lettres de noblesse à ce cimetière historique
Un seul tombeau était jusqu’alors protégé au titre des Monuments historiques, depuis 2010, celui de Tania Rachevskaïa, ornée de la célèbre sculpture Le Baiser de Constantin Brâncuși. Celle-ci témoigne de la richesse tant patrimoniale qu’artistique qui compose ce cimetière. On y trouve aussi un vestige remarquable, le moulin de la Charité, construit au XVIIe siècle par des religieux, classée en 1931. Aujourd’hui, ce sont donc sept monuments funéraires supplémentaires (six sépultures et un cénotaphe) qui sont classés en totalité par arrêté de la ministre de la Culture, apportant ainsi une reconnaissance patrimoniale à la hauteur de ce cimetière historique de Paris.
Cette campagne de protection, réalisée par le service de la Conservation régionale des Monuments historiques (CRMH) de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Île-de-France, est le résultat de deux démarches complémentaires : d’abord un premier repérage réalisé par la Ville de Paris, puis une série de reprises administratives de tombeaux présentant un intérêt patrimonial, qui a permis à la ville d’en devenir propriétaire, facilitant ainsi la mise en œuvre de cette campagne de protection. En effet, les monuments funéraires sont des biens privés, appartenant aux concessionnaires, puis à leurs ayants droit. Des décennies après, les propriétaires peuvent être difficiles à identifier, et/ou très nombreux, ce qui rend les campagnes de protection au titre des Monuments historiques difficiles, car l’avis du propriétaire doit être recueilli pour chaque proposition de protection.
Pauline CELLARD, chargée de protection à la DRAC Île-de-France, nous en parle :
"La Conservation régionale des Monuments historiques (CRMH) de la DRAC Île-de-France accorde une attention particulière à la protection du patrimoine funéraire francilien. Cette campagne de protection a été menée en lien avec la cellule Patrimoine du service des cimetières de la Ville de Paris qui conserve une précieuse documentation sur les monuments funéraires des cimetières parisiens et qui effectue un patient travail de repérage de ceux qui présentent un intérêt patrimonial.
Les monuments funaires sont particulièrement stimulants à étudier car ils convoquent de multiples disciplines : l’histoire de la sculpture, de l’architecture, du vitrail, de la ferronnerie, l’histoire du droit funéraire, l’histoire des cimetières. Nous devons rechercher les archives des sculpteurs, des architectes, parfois des marbriers, pour reconstituer l’histoire des monuments. Il s’agit aussi d’étudier les liens entre architecte et commanditaire, parfois entre maître et élèves, lorsque ces derniers commandent ou dessinent le tombeau de leur professeur. L’analyse iconographique est toujours intéressante : que décide-t-on de représenter pour honorer la mémoire d’un défunt ? Comment résumer une vie entière, une carrière ? Les tombeaux du cimetière du Montparnasse récemment classés au titre des Monuments historiques offrent des réponses variées et originales à ces questionnements. Les voyages de Dumont d’Urville sont illustrés autour du monument, nous obligeant à tourner autour, comme le défunt qui parcourait le globe de son vivant, la carrière de chirurgien de Jacques Lisfranc est résumée en deux bas-reliefs évocateurs, l’âme de Baudelaire est évoquée à travers la sculpture symboliste de José de Charmoy.
Cette campagne de protection offre l’occasion de rappeler l’intérêt patrimonial des monuments funéraires, qui présentent l’avantage d’être accessibles à tous, gratuitement, au gré des promenades dans les cimetières, conçus pour certains comme de véritables parcs.
La DRAC a récemment engagé un nouveau volet de l’étude du patrimoine funéraire. La CRMH penche en effet sur les tombeaux conçus par Hector Guimard en Île-de-France, pan moins connu de son œuvre."
La liste des sept monuments funéraires classés au titre des monuments historiques :
La chapelle funéraire de la famille de Montault est l’un des premiers exemples de chapelles funéraires néo-gothiques des cimetières parisiens. Édifiée par Jean-Charles Danjoy, alors au début de sa carrière, le monument se distingue par la qualité d'exécution de ses ornements sculptés et par la finesse des pentures de porte exécutées par Pierre-François-Marie Boulanger, auteur, entre autres des pentures de Notre-Dame de Paris.
Son architecte Simon-Claude Constant-Dufeux convoque de nombreuses références historiques qui inscrivent le monument dans une riche tradition antique (les Égyptiens, les Grecs, les Étrusques, les Romains). L’usage affirmé de la polychromie ne manqua pas de choquer ses contemporains, celle-ci a largement disparu aujourd’hui. La figuration des principaux voyages de Dumont d’Urville autour du monument en fait une "tombe parlante".
Ce tombeau est un exemple précoce de monument funéraire mettant en scène le défunt dans ses activités professionnelles (deux bas-reliefs). Ces sculptures sont l’œuvre d’un artiste reconnu, Carle Elshoecht, et ont été fondues par Eck et Durand. De plus, la grille qui entoure le tombeau, constituée de tibias et de crânes, a été exceptionnellement conservée, les éléments de ferronnerie ancienne ayant disparu de nombreuses sépultures.
Cette sépulture, l’une des plus ancienne du cimetière, rappelle par son programme sculpté d’une grande richesse iconographique certains des écrits les plus importants du défunt. Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy est l’un des premiers défenseurs du patrimoine. Il souhaitait en son temps que les cimetières, qui venaient d’apparaître dans leur forme moderne, deviennent des musées d’art et d’histoire.
Le tombeau de Constant-Dufeux constitue un parfait exemple de "tombe parlante" d’une grande richesse iconographique. C’est un des rares monuments funéraires privés édifié par Victor Ruprich-Robert, architecte en chef des Monument historiques.
Cette sépulture est représentative des solutions originales élaborées par Jean Boussard pour concevoir des monuments funéraires. Jean Boussard, architecte, était très actif dans le domaine funéraire, et désirait traiter chaque tombeau comme une création unique. Le monument construit en pierre de Soignies, qui renvoie à l’origine belge des Schelfhaut, est de type "tombe parlante", dont la forme évoque la vie des défunts, et illustre également la collaboration entre l’architecte et le marbrier Céli-Hénaut, dont le travail de sculpture est d’une grande maîtrise.
Le cénotaphe de Baudelaire est une œuvre singulière, probablement la plus marquante de la brève carrière du sculpteur José de Charmoy. Cet artiste s’est illustré en réalisant des monuments commémoratifs et funéraires dans un style singulier, marqué par le symbolisme, qui n’a pas toujours attiré les faveurs de ses contemporains mais qui a su séduire la critique qui voyait dans ces œuvres l’expression de la modernité.
Le cimetière du Montparnasse, un écrin mémoriel et artistique de Paris
Il est moins réputé que le cimetière du Père-Lachaise et pourtant il n’a que 20 ans de moins et accueille en son sein de nombreuses personnalités connues, ainsi que des œuvres d’art.
Situé dans le 14e arrondissement, le cimetière s’étend sur 19 hectares. Plusieurs personnes illustres y sont enterrées, comme l’explorateur et scientifique Jules Sébastien César Dumont-d’Urville, les femmes et hommes de lettres Charles Baudelaire, Marguerite Duras, Eugène Ionesco, Guy de Maupassant, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, des artistes de toutes disciplines tels que Juliette Gréco, César Franck, Serge Gainsbourg, Georges Wolinski, Mireille Darc, Jacques Demy, Gérard Barthélémy, mais aussi des personnalités politiques telles que Simone Veil, Pierre-Joseph Proudhon ou encore Jacques Chirac, sans oublier Alfred Dreyfus, pour ne citer qu’eux.
De même, de nombreux monuments funéraires sont ornés de sculptures, véritables œuvres d’art. On peut retrouver parmi celles-ci des œuvres de Niki de Saint Phalle avec L’Oiseau sur la tombe de Jean-Jacques Goetzman et Le chat de Ricardo sur la tombe de Ricardo Menon, mais aussi les sculptures d’Étienne Pirot sur la tombe du géographe Antoine Haumont (1935-2016), de L’Oiseau de Denis Mondineu sur la tombe du peintre Gérard Barthélémy (1937-2022), et celles Le prophète de Léopold Kretz (1907-1990) et de Cicero Dias (1937-2003) sur les propres sépultures de ces deux sculpteurs. On notera que le tombeau de César Franck, une des rares œuvres de Gaston Redon, architecte français et frère du peintre Odilon, est orné d’un bronze de Rodin.
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