Débutée en avril 2025, la sauvegarde de l'église Saint-Martin de Doux, dans les Ardennes, a fait l'objet, le 11 juin 2025, d'une opération de levage et de dépose du clocher particulièrement technique et spectaculaire.
Cet édifice daté des XVe-XVIIe siècles, dont le clocher se déversait vers la nef et le chœur, était en état de péril. Il a été placé sous le régime de l'instance de classement au titre des monuments historiques, une procédure qui permet à l'État d'assurer la mise en œuvre des travaux d'urgence.
Comment s’est déroulée cette impressionnante opération ? Quelles sont les étapes clés. Yoan Malbranque, directeur de travaux chez Les métiers du bois, répond à nos questions.
Pourquoi êtes-vous intervenu en urgence ?
Yoan Malbranque. La flèche était en très mauvais état, sur sa demi-face, principalement à cause des infiltrations d'eau. Les enrayures (l'ensemble des pièces de charpentes horizontales qui portent le clocher) étaient défaillantes sur les six niveaux jusqu'à l'enrayure basse, qui de plus s’appuyait sur les voûtes et les fragilisaient. Le danger structurel était imminent. Nous avons estimé que le clocher n'aurait pas passé l'année 2025.
Avant de déposer le clocher, vous avez consolidé la structure, notamment avec l’utilisation du numérique. Comment avez-vous procédé ?
YM. Pour envoyer des équipes travailler sur l'édifice, il a fallu le sécuriser, et donc l'étayer. Dans un premier temps, nous avons scanné la totalité de l’édifice extérieur et intérieur, en haute définition, des scans d'exécution, très précis, qui ont permis de réaliser les plans de fabrication de l'ensemble des étayements.
Depuis mon bureau, j’ai pu me projeter à l'intérieur du chantier et décider, grâce aux données récoltées, à quel endroit il fallait étayer, vérifier ce qu’impliquait de le faire à cet endroit-là, si la déformation n’était pas plus importante que prévue par exemple. Grâce à cet outil vous disposez d'une synthèse de votre chantier et pouvez également vérifier l'état des pièces de bois.
La mise en place de la méthodologie a pris deux semaines environ. Après cette étape, le lancement du chantier a été très rapide, un mois environ, réduisant considérablement le temps que les équipes ont passé sous les voûtes. Sans le numérique nous aurions mis au moins deux semaines, voire trois semaines de plus à sécuriser et nous aurions mis nos équipes en danger. L'entreprise a investi dans ce scanner l'année dernière et c'est la deuxième fois que la technique est utilisée pour la dépose d'un clocher. Nous savons faire sans, mais nous gagnons en rapidité et en sécurité.
Comment avez-vous procédé pour l'étape suivante, celle de l'étaiement ?
YM. Le clocher a été étayé au fur et à mesure. D'abord la partie basse, c’est à dire les voûtes, puis les niveaux supérieurs de la charpente et enfin le fût carré et le fût octogonal. La flèche était vraiment en très mauvais état, trois de ses faces étaient totalement découvertes et les bois de la base était très abîmés.
Le terrain de l'église était lui-même très instable, comment êtes-vous intervenu ?
YM. Il a fallu utiliser des nacelles de 40 mètres de haut, depuis le chemin en contrebas. Une opération délicate, au vu du terrain très accidenté autour de l’église. Nous avons eu des difficultés à trouver les engins adéquats pour pouvoir travailler en sécurité. Il a fallu utiliser une grosse grue, mais qui ne pouvait pas déplier ses patins au maximum, ce qui a nécessité de faire des notes de calcul spécifiques pour définir le poids qu’il était possible de lever à une telle distance, et adapter notre méthode de dépose en fonction.
Nous aurions pu choisir de tout déposer d'un coup, mais ce n'était pas possible à cause des problèmes de portée et de poids, il a donc été décidé de procéder en deux étapes, sur le clocher et sur le fût.
Nous avons autour d’une vingtaine de dépose de clochers à notre actif, dont des structures de 20 à 25 tonnes. Ici, le clocher faisait 4 tonnes, ce qui n'est pas énorme, mais ce n'est pas tant le poids, qui fait la difficulté, que son état sanitaire. Il fallait le sécuriser correctement, et être certain que lorsque l’on tirerait dessus, il ne s'effondre pas sur lui-même, d’abord parce nos équipes seraient en dessous et autour avec les nacelles, et pour la pérennité du monument.
Il s’agissait de ne pas tirer trop fort avant de couper les dernières pièces, car on risquait un effet de bascule avec la grue, tout aussi dangereux. Il y une méthodologie à mettre en place, une réflexion importante à mener. Nous sommes ici sur une situation d'urgence, et il est nécessaire de réagir rapidement, mais de façon réfléchie.
Vient ensuite la partie délicate de l'intervention, lorsque vous tirez le clocher avec une grue : Comment est-elle préparée ?
YM. Nous faisons, en amont, une estimation du poids du cloche. Mais, les bois n'étant pas sains, il est difficile d'être certain que nous disposons vraiment de la bonne masse volumique. Par expérience, au poids déterminé, j'enlève 30% d'entrée de jeu. Lors de la dépose, on met en pression avec ces moins 30%. On regarde comment ça réagit. Dès que l’on constate un petit mouvement dans la structure, juste un tout petit soulèvement, on arrête, et on commence à découper.
Ici, les 8 poteaux (les arêtiers de chaque arrête de l'octogone) ont été découpés au fur et à mesure. Si tous les poteaux avaient été découpés en même temps, nous aurions eu un effet d'écrasement et on avait un risque de chute. Il s'agit de mettre en tension et de trouver le point d'équilibre, où on tire à la fois juste pour sous-tendre, mais sans que ça arrache.
Quand nous avons constaté que ça commençait à forcer un peu, on a rajouté 500 kilos et on a retiré au fur et à mesure. Au dernier poteau, on s'est rendu compte qu'on dépassait un petit peu le poids prévu. Il a fallu intervenir à la nacelle, car il y avait quelque chose qui bloquait et ensuite on a poursuivi l'opération. Si on avait fait le choix de ne pas revenir à la nacelle et de tirer une tonne de plus, il pouvait tomber, c'est ce qu'on appelle le phénomène de lancer.
La dernière partie délicate a été de poser la flèche au sol afin de la fixer sur des cales pour pouvoir la transporter à l'horizontal.
Le fût du clocher, la partie octogonale, a été déposé sur le même principe. Le fût carré, resté en place, sera couvert d'un parapluie pendant la restauration.
Quelle sera la prochaine étape ?
YM. Les éléments déposés vont être restaurés dans nos ateliers, puis remis en place à l'automne, mais avant la repose, nous devrons traiter sur place la basse carrée, la jupe et les parties basses.
Durée estimée des travaux : 6 mois (et 4 mois de tranche optionnelle n°2)
Montant des travaux prévisionnel : 1 415 941€ TTC
Financement : 100% État (Ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Grand Est)
Propriété : Commune de Doux
Maitrise d’ouvrage : DRAC Grand Est (à titre exceptionnel dans le cadre des dispositions de l'article L621-11 du Code du patrimoine)
Maîtrise d’œuvre : Eugène architectes (Charlotte Hubert Architecte en chef des monuments historiques)
CSPS : SOCOTEC
Les entreprises :
Entreprise MDB - Métiers du Bois (14760 Breteville-sur-Odon)
Entreprise Léon Noël (51730 Saint-Brice-Courcelles)
Entreprise Atelier ARCOA (92800 Puteaux)
Entreprise Coanus Couverture (51520 Saint-Martin-sur-le-Pré)
En savoir plus sur la restauration
Travaux d'urgence sur l'église Saint-Martin de Doux (Ardennes)
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