Un chantier monumental
Une exceptionnelle voûte romane
La grande coupole qui couvre le chœur de la cathédrale de Strasbourg a été construite entre 1180 et 1200. De conception encore romane, cet ouvrage monumental appartient, avec la crypte et l’abside, à la première phase de la reconstruction de l’église, qui a duré près de 300 ans jusqu’à son achèvement au XVe siècle. Sa restauration, engagée en 2022 par la DRAC Grand Est, sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte en chef des monuments historiques Pierre-Yves Caillault, répond à la fois à une nécessité sanitaire et à un souci de valorisation.
Trois ans de travaux
L’opération de restauration, commencée en avril 2022, touche à sa fin.
Depuis le mois de janvier 2025, les spectaculaires échafaudages intérieurs, suspendus à 30 mètres au-dessus du chœur, ont été progressivement déposés. Il reste à apporter les dernières finitions, notamment dans les huit fenêtres de la coupole : depuis le 10 mars 2025, les entreprises procèdent à l’enduisage des ébrasements de fenêtres et à la pose des nouvelles verrières. Ces opérations, conduites au-dessus du vide, sont accompagnées par une équipe de cordistes professionnels.
Si le parti général de l'ancienne restauration de Gustave Klotz, architecte de la cathédrale de 1834 à 1888, a bien été respecté, avec la réouverture prévue de la tour de croisée à claire-voie, la coupole aura néanmoins changé sensiblement d’aspect, tant par sa couverture de plomb que par l’enduit clair qui surplombera le chœur à l’avenir.
Les dernières installations de chantier seront déposées début avril 2025, afin d’avoir entièrement libéré l’espace liturgique en vue des fêtes pascales. Les échafaudages extérieurs seront déposés d’ici l’été 2025.
Chantier 2022-2025
Maître d’ouvrage : direction régionale des affaires culturelles du Grand Est / ministère de la Culture
Coût global : 2 033 000 euros TTC
Financement 100 % État : DRAC Grand Est / ministère de la Culture
Maître d’œuvre (MOE) : Pierre-Yves Caillault, architecte en chef des monuments historiques
LOT 1 échafaudages : EUROPE ÉCHAFAUDAGE
LOT 2 laboratoire : Laboratoire BPE ECP
LOT 3 maçonnerie/pierre de taille : CHANZY-PARDOUX
LOT 4 décor peint : ARCOA
LOT 5 charpente/couverture : LE BRAS Frères
LOT 6 menuiserie : ROELLY BENTZINGER
LOT 7 vitrail/serrurerie : ATELIER ART VITRAIL
Sécurisation du chantier hors échafaudages : ACROMAX (cordistes)
Archéologie du bâti : mandataire Heike Hansen
Sécurité et protection de la santé (SPS) : Réalbati
En savoir plus
La fin du chantier dans la presse
Grands repères chronologiques de la cathédrale de Strasbourg
1180-1200 : construction du chœur de la cathédrale de Strasbourg, avec son abside circulaire et sa grande coupole romane au-dessus de la croisée du transept.
1870 : siège de Strasbourg par l’armée prussienne et destruction des toitures de la cathédrale dans l’incendie causé par les bombardements.
1876-1879 : construction de la tour néo-romane de la croisée par Gustave Klotz, architecte de l’Œuvre Notre-Dame (OND).
1944 : démolition de la tour Klotz par la chute d’une bombe alliée sur la cathédrale ; le trou provoqué dans la coupole romane est réparé dès 1948, mais la tour reste en ruines.
1988-1992 : restauration de la tour Klotz par Pierre Prunet, architecte en chef des monuments historiques (ACMH) et Jean-Richard Haeusser, architecte de l’OND.
2000-2009 : fermeture des baies de la tour Klotz et premières mesures conservatoires en vue de la restauration de la coupole par Christiane Schmuckle-Mollard, ACMH.
2022-2025 : restauration de la coupole romane, couverte d’une étanchéité en plomb, et réouverture des baies de la tour Klotz, sous la maîtrise d’œuvre de Pierre-Yves Caillault, ACMH.
Les cathédrales du Grand Est : monuments État
Parmi les 27 monuments du Grand Est appartenant à l’État gérés par le ministère de la Culture figurent neuf cathédrales de la région (ainsi que le domaine national du Palais du Rhin). Les services de la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est en assurent l'entretien (suivi par les unités départementales de l'architecture et du patrimoine) et la restauration (sous la responsabilité de la conservation régionale des monuments historiques).
La coupole de la cathédrale de Strasbourg : de sa construction à la fin du XIIe siècle à sa restauration au XXIe siècle
Une architecture romane du XIIe siècle
Culminant à 37 mètres au-dessus du chœur, la coupole de la croisée est la voûte la plus élevée de l’intérieur de la cathédrale et l’une des plus anciennes de l’édifice. Sa structure remonte à la fin du XIIe siècle, lorsque l’évêque Henri de Hunebourg entreprit de rebâtir entièrement la cathédrale sur ses anciennes fondations, en commençant par l’est.
Conçue suivant les principes de l’architecture romane, la coupole se présente sous la forme d’une voûte octogonale en arc-de-cloître, haute de 8,75 mètres et large de 15 mètres, divisée en huit pans par de puissantes nervures de grès se rejoignant dans une clef annulaire percée d’un oculus. Chaque pan est percé d’une petite fenêtre cintrée, qui prend le jour à travers les reins de la voûte au niveau d’une galerie de colonnettes, dite galerie naine. Au niveau inférieur, sous une corniche de pierre ornée de billettes, quatre trompes ou portions de voûtes en surplomb, également bâties en brique sous trois voussures de pierre, rachètent les angles du plan carré de la croisée. L’ensemble de ces ouvrages est parvenu jusqu’à notre époque dans un état de grande intégrité structurelle, mais présentait, avant travaux, un aspect dégradé : les briques non enduites laissaient apparaître d’importantes efflorescences salines et provoquaient régulièrement de petites chutes de matériaux. Même s’il n’y avait pas de péril, une restauration s’imposait pour remédier aux causes de dégradation, assainir les maçonneries et remettre en valeur la croisée romane.
Une histoire mouvementée depuis le Moyen Âge
L’architecture extérieure de la croisée est certainement la partie de la cathédrale de Strasbourg qui a connu le plus d’accidents et de transformations au cours des siècles. Cette histoire mouvementée explique en partie l’état de la coupole au XXIe siècle. On ignore quelle couverture protégeait originellement la croisée, à l’époque romane, mais sans doute s’agissait-il d’une toiture pyramidale, directement posée sur l’entablement de la galerie naine. À la suite d’un incendie, vraisemblablement celui attesté en 1298, la toiture romane disparut et fut remplacée au début du XIVe siècle par une structure plus complexe, surnommée la « mitre » gothique en raison de sa ressemblance avec la coiffe épiscopale. Elle était composée de huit petites toitures à deux versants couvertes de plomb, rayonnant autour d’une flèche centrale et aboutissant à huit pignons de pierre ornés de remplages. En 1759, un nouvel incendie des charpentes conduisit à la construction d’un grand comble brisé couvert de cuivre au-dessus de la coupole, suivant un projet donné par Jacques-François Blondel, et cette toiture à la française disparut à son tour dans l’embrasement causé par les bombardements prussiens en 1870.
La construction de la tour Klotz au XIXe siècle et les phases de restauration de la coupole
De 1876 à 1879, Gustave Klotz, architecte de l’Œuvre Notre-Dame, a dirigé la construction d’une tour néo-romane de son invention, fausse tour-lanterne percée de seize baies ogivales qui laissaient pour la première fois apparaître l’émergence de la coupole au-dessus de la galerie naine.
Ainsi, le dernier état connu de la coupole résulte principalement des travaux de restauration entrepris par Klotz au cours du XIXe siècle. Dès les années 1847-1848, l’architecte avait obtenu l’autorisation de purger tous les enduits et badigeons qui recouvraient les maçonneries médiévales à l’intérieur de la cathédrale et c’est alors sans doute que l’appareil de brique de la coupole et des quatre trompes d’angle de la croisée fut pioché et mis au jour, ne conservant presque aucune trace de son enduit d’origine.
Après l’incendie de 1870, Klotz a inversement fait appliquer une épaisse couche de ciment sur l’extrados de la coupole, c’est-à-dire sa surface externe, pour la protéger des intempéries puisque la nouvelle tour de croisée était ouverte à claire-voie. Les dispositions mises en place par Klotz ont traversé le XXe siècle sans modification, malgré la chute d’une bombe alliée sur la croisée le 11 août 1944. La voûte, seulement transpercée par l’obus, ne s’est pas effondrée et a été réparée en 1948, ce qui a été l’occasion de précieux relevés structurels par Jean Rocard, architecte en chef des monuments historiques.
Après de longs débats sur son éventuelle démolition au profit d’une restitution de la « mitre » gothique, la tour Klotz a été restaurée quarante ans plus tard, de 1988 à 1992, par l’architecte en chef Pierre Prunet et l’architecte de la fondation de l’Œuvre Notre-Dame Jean-Richard Haeusser.
Travaux conservatoires à la fin du XXe siècle
À la fin du XXe siècle, la dégradation croissante de l’intrados de la coupole est constatée et motive provisoirement la pose de filets de sécurité au-dessus du chœur. Une première phase d’études et de travaux conservatoires a eu lieu entre 2000 et 2009, sous la direction de Mme Christiane Schmuckle-Mollart, architecte en chef des monuments historiques et architecte de l’Œuvre. L’objectif était de permettre l’assèchement des reins de la coupole, c’est-à-dire du massif de maçonnerie qui ceinture le départ de la voûte au niveau de la galerie naine, afin de freiner les migrations salines depuis le ciment présent sur l’extrados vers l’intrados en brique. Pour cela, plusieurs mesures ont été mises en œuvre : fermeture des baies de la tour Klotz par des menuiseries provisoires en forme de faux abat-son, décroûtage du ciment de l’extrados sur la hauteur d’un mètre pour ventiler la maçonnerie, enfin restauration de la galerie naine par la fondation de l’Œuvre Notre-Dame et pose d’un habillage de plomb ventilé sur sa corniche.
Quinze années ont ensuite été laissées pour permettre l’assèchement des maçonneries et la stabilisation des pathologies.
Au XXIe siècle une restauration d’envergure, intérieure et extérieure
En 2018, la DRAC Grand Est confie une étude de diagnostic à Pierre-Yves Caillault, ACMH successeur de Christiane Schmuckle-Mollard, en vue de la restauration de l’intrados. Pour la réaliser, un échafaudage en encorbellement a été posé sur la fenêtre sud-ouest de la coupole, ce qui a permis l’examen visuel direct et les premiers prélèvements pour analyse en laboratoire, avec l’aide de cordistes. Sur cette base, le parti de restauration et l’avant-projet de travaux sont validés par le service de la conservation régionale des monuments historiques en mai 2021, et les marchés de travaux sont contractés en fin d’année avec les entreprises Europe Échafaudages (lot 1 échafaudages), BPE-ECP (lot 2 laboratoire), Chanzy-Pardoux (lot 3 maçonnerie-pierre de taille), ARCOA (lot 4 décors peints), Le Bras frères (lot 5 couverture), Roelly-Bentzinger et Burger (lot 6 menuiserie) et Atelier Art vitrail (lot 7 vitrail et serrurerie).
Lancé en janvier 2022, le chantier a commencé par la remise en cause du parti de montage des échafaudages, initialement prévus sur pieds. Les investigations menées en décembre 2021 par l’Œuvre Notre-Dame dans le sol du chœur et les voûtes de la crypte ayant confirmé l’incertitude qui pesait sur leur capacité à porter une structure aussi lourde, il a été décidé de procéder au montage d’un échafaudage entièrement suspendu depuis les fenêtres de la galerie naine. Une plateforme technique a d’abord été posée au-dessus du bras sud du transept, où les matériels ont pu être entreposés et acheminés pour être assemblés dans la coupole par des cordistes. Ainsi le chœur a pu conserver son mobilier et sa fonction liturgique pendant toute la durée du chantier.
Une fois l’échafaudage réceptionné en septembre 2022, la phase de purge et d’analyse de l’existant a pu commencer. Sur l’extrados, l’appareillage de brique de la coupole a d’abord été entièrement dégagé de la gangue de ciment qui la recouvrait, ce qui a conduit au retrait de plus de 40 tonnes de gravats, et la maçonnerie médiévale, superficiellement endommagée, a été réenduite d’une fine couche de mortier à brique vue. L’intrados a ensuite été soigneusement brossé pour retirer le maximum d’efflorescences et de nouveaux prélèvements ont été faits pour caractériser et cartographier les sels présents. Le résultat des analyses en laboratoire a permis d’élaborer la formulation des compresses de dessalement et de réaliser des essais in situ de novembre 2022 à mars 2023, sous le contrôle de Jean-Didier Mertz du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH, pôle pierre).
En parallèle, une équipe d’archéologues du bâti placée sous la direction de Heike Hansen est intervenue à plusieurs reprises pour étudier les maçonneries médiévales, rendues exceptionnellement accessibles par le chantier. Le relevé photogrammétrique effectué par Alexander Kuhn depuis les échafaudages a permis la constitution d’un modèle numérique 3D intégral, couvrant tant l’extrados que l’intrados. Heike Hansen s’est chargée pour sa part du relevé graphique manuel, cartographiant ses observations sur les matériaux de construction, les marques d’outils et les traces des enduits disparus, avec l’aide du professeur Andreas Hartmann-Virnich de l’université d’Aix-en-Provence. À cette occasion, les trous de boulin situés dans les trompes, remontant à l’époque romane et bouchés à une période ultérieure, ont pu être rouverts et relevés. Jean-Michel Mechling, maître de conférences à l’université de Lorraine, a effectué des prélèvements de mortier pour étude. Enfin, des vestiges des badigeons d’origine, préservés sur la trompe sud-ouest ont permis de confirmer l’existence initiale d’un faux-appareil de pierre peint sur la brique. Ces traces sont trop fragmentaires pour permettre une restitution globale du décor, mais elles ont été précisément relevées et ont fait l’objet de rapports d’analyse par Laetitia Mancuso, conservatrice-restauratrice chez ARCOA.
À partir du mois d’avril 2023, les travaux de restauration ont pu être engagés, avec l’application des compresses de dessalement, en plusieurs phases correspondant aux différentes zones de contamination saline repérées. Après dépose des compresses, l’appareil de brique a été une nouvelle fois brossé, tandis que les nervures de pierre avec la clef de voûte annulaire ont été nettoyées par application de latex, technique permettant le retrait de l’encrassement superficiel par exfoliation. Enfin, les voûtains et trompes de brique ont pu recevoir leur enduit à la chaux aérienne, dressé de main de maître par Adrien Schaaff de l’entreprise Chanzy-Pardoux. Dans le même temps, l’extrados a été doublé d’un dôme de charpenterie voligé, pour porter la couverture de plomb qui protégera désormais la coupole romane des intempéries.
L’ensemble du chantier a bénéficié de la présence de M. Laurent Weyl, photoreporter membre du collectif Argos, à l’occasion de la campagne photographique au long cours qu’il a consacrée à la cathédrale en 2022-2023, dans le cadre de la Grande commande de photojournalisme « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » financée par le ministère de la Culture et pilotée par la Bibliothèque nationale de France. Ses clichés, dont une sélection est reproduite dans le livre Figures de la cathédrale de Strasbourg paru en 2024 aux éditions sun/sun, conserveront ainsi le souvenir des transformations opérées sur la croisée pendant cette période, ainsi que de l’action des nombreux artisans intervenus.
Texte : Alexandre Cojannot, conservateur régional des monuments historiques adjoint, à la DRAC Grand Est
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