Perchés à près de vingt mètres de hauteur, les acrobates s’élèvent, rebondissent et, pour tout dire, semblent flotter au-dessus des bâtiments. Des mâts chinois permettent de grimper sur les toits avec souplesse et des cubes de se déplacer en sautant de l’un à l’autre. Avec quel brio, Horizon a pris possession des lieux, en l’occurrence le Domaine national du Palais-Royal. Cette création est à découvrir pendant les trois jours des Journées européennes du patrimoine, du 15 au 17 septembre. Il s’agit d’un partenariat inédit entre le ministère de la Culture et la compagnie L’Oublié(e), un « projet coup de cœur », selon Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, lors de la présentation de la saison automnale de l’Olympiade culturelle, dans laquelle ce spectacle s’inscrit, entre art et performance sportive.
Après l’Opéra de Bordeaux en 2019 et la cathédrale Saint-Front de Périgueux en 2022, il s’agit de la troisième version de cette création in situ. Pour construire chaque scène, chaque mouvement, chaque déplacement, la compagnie a travaillé pendant dix jours sur le lieu même des représentations, sous le regard des passants. Dans cet espace de jeu à la fois horizontal et vertical, différentes disciplines sont convoquées, parmi lesquelles le free running et le parkour. Une richesse et une fusion des arts qui font l’ADN même de la compagnie L’Oublié(e), fondée en 2014. Entretien avec Raphaëlle Boitel, la chorégraphe et metteuse en scène de ce spectacle.
Horizon a déjà été créé à l’Opéra de Bordeaux en 2019 puis à la cathédrale Saint-Front de Périgueux l’an dernier. Vous vous attaquez cette année au Domaine national du Palais-Royal. Ces trois versions se ressemblent-elles malgré des sites différents ?
Raphaëlle Boitel : Il y a une base, une essence commune aux trois projets : il est toujours question d’ascension et d’appel du ciel dans un espace vertigineux où le vide est constamment présent. J’aime dire qu’Horizon est un ballet acrobatique à ciel ouvert en contre-plongée dans lequel le rapport du spectateur est inversé. Dans ce projet, le message est très positif et optimiste car il rend hommage à la créativité de l’homme malgré tous ses travers. Il a pour but de vraiment rassembler, de faire qu’à travers l’art, on se réunisse et on regarde tous dans la même direction à un instant, lors d’un moment de partage et de poésie.
Au-delà de cette base, des éléments sont communs comme les musiques – même si elles ne sont pas forcément dans le même ordre – car le spectacle est créé en très peu de temps et le travail en amont doit être très efficace, très écrit et très chorégraphique. Mais ces trois versions sont différentes de par les lieux dans lesquels elles se déroulent et leurs volumes architecturaux.
Justement, que vous ont inspiré l’architecture de ce lieu et la présence notamment des Colonnes de Buren ?
R.B. : Nous avions visité plusieurs lieux dans Paris qui est d’une richesse patrimoniale inégalée. Pour ce projet, nous avions besoin d’un coup de cœur, d’être très inspiré par le lieu. Quand nous sommes arrivés ici, ça a été tout de suite une évidence. Je trouve l’architecture très harmonieuse, le domaine est à la fois très beau et très spectaculaire tout en restant en même temps à échelle humaine ; en termes de visibilité, nous ne sommes jamais très loin du public même si plus le spectacle évolue, plus on monte dans les airs. Il fallait en plus que les toits soient praticables d’un point de vue technique et que nous puissions passer du temps ici, en l’occurrence trois semaines avec le montage, ce qui est exceptionnel. Enfin, la ligne esthétique de la compagnie est vraiment la pluridisciplinarité, le fait de mêler les disciplines entre le cirque la danse, le théâtre, le cinéma. Le Domaine du Palais-Royal rassemblait tout cela et vient fusionner avec ce projet.
Le patrimoine est au cœur d’Horizon et l’idée était aussi de mettre en lumière ce bâtiment et d’offrir la possibilité de le regarder d’une autre manière, plus transversale. L’œuvre de Buren est très belle, et elle rassemble déjà les gens : ils viennent, s’assoient dessus, peuvent contempler le Domaine... C’est en plus un espace tout le temps ouvert au public et cette idée d’être toujours dans le partage rappelle notre spectacle et me plaît beaucoup.
Ce spectacle rassemble plusieurs disciplines venues de la rue comme le free running ou le parkour. Comment les avez-vous découvertes et comment est venue l’idée de les associer à cette création ?
R.B. : J’ai eu un véritable coup de cœur pour ces disciplines que j’ai découvertes il y a quelques années. Elles me rappellent les débuts du breakdance ou du hip-hop dans les années 80-90, ces disciplines nées dans la rue, dans l’espace public. J’ai donc eu envie de les intégrer dans la création artistique, d’autant plus qu’elles convoquent la notion du dépassement de soi qui est l’un des thèmes récurrents de la compagnie, que je défends et qui m’interpelle particulièrement.
Il y a un vrai travail de transmission pour amener ces acrobates dans un univers artistique parfois assez étranger à leurs habitudes. Mais j’aime beaucoup travailler avec eux car ils ont une énergie phénoménale, un enthousiasme incroyable et ils sont très sérieux dans ce qu’ils font car c’est une discipline dans laquelle on n’a pas le droit à l’erreur.
Ce projet s’est construit en temps réel pendant dix jours avec des répétitions qui se sont déroulées sous les yeux du grand public. Il était important pour vous de l’intégrer dans ce processus de création ?
R.B. : C’est effectivement une volonté de ma part même si ce n’est pas, tous les jours, facile, car on est quelque part “mis à nu”. La création est inhérente au doute et du coup, on offre ses fragilités. Il y a un partage humain qui est très beau à voir même s’il est parfois déstabilisant pour un chorégraphe ou un metteur en scène d’être autant visible tout le temps, y compris quand on cherche. Mais ce qui est chouette, c’est que le public voit comment un spectacle se construit et peut constater que tout ne se fait pas en claquant des doigts. C’est en cherchant, en tombant, en se trompant qu’on arrive à créer quelque chose d’harmonieux. Les répétitions comptent de vrais temps morts, on peut répéter dix fois le même mouvement ou passer une heure sur deux mouvements ou une phase chorégraphique…
Le but de ce projet était d’offrir au public ce temps de travail et, quelque part, un spectacle sans l’avoir prévu. Ils sont là pour visiter Paris, viennent voir les colonnes de Buren et tout d’un coup, ils voient ces corps en suspension et ne s’y attendent pas. Je trouve cela très fort de rappeler que la vie est belle et pleine de surprises ! On a vraiment l’impression de partager quelque chose avec eux : il y a par exemple de vraies relations avec les interprètes, qui communiquent par des gestes avec le public, qui les applaudit en retour.
Nous sommes à moins d’un an des Jeux olympiques avec l’Olympiade Culturelle qui combine culture et sport. Horizon est-il un moyen de lier ces deux disciplines ?
R.B. : Je viens du monde du cirque et je me sens sportive. Ce n’est peut-être pas le même état d’esprit que quelqu’un qui pratique par exemple le parkour, qui est un vrai sport, mais on utilise notre corps et on muscle l’esprit ! Certains circassiens du spectacle sont passés ou passent par la gymnastique donc clairement, pour moi, sport et art sont intimement liés. Horizon est complètement à la croisée des chemins et fait particulièrement le lien entre les deux, tout en mettant en exergue le patrimoine.
Horizon est-elle une création qui a vocation à s’installer dans d’autre lieux et donc sur le long terme ?
R.B. : Oui, j’aimerais qu’Horizon existe au long cours et puisse aller visiter plusieurs sites patrimoniaux. Maintenant, tout dépendra des lieux qui nous contacteront, des visites que nous ferons et du fait que le bâtiment puisse être praticable pour nous et, surtout, nous inspire.
Cinq représentations pendant les Journées européennes du patrimoine
Cette création artistique labellisée Olympiade Culturelle sera jouée cinq fois pendant les Journées européennes du patrimoine au Domaine national du Palais-Royal. Chaque représentation, d’une durée de trente minutes, pourra accueillir jusqu’à 1 500 personnes. Une est prévue le vendredi 15 septembre à 19 heures, puis deux les samedi 16 et dimanche 17, à 17 heures et 19 heures.
Spectacle tout public, entrée libre et gratuite par la place Colette à partir d’une heure avant le début du spectacle.
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