Retour sur l'Eté culturel 2022 dans le Grand Est (le dispositif « Jeunes ESTivants »), avec la sortie du film éponyme du réalisateur Bastien Simon. Un regard décalé sur quelques-unes des rencontres savoureuses qui se sont produites entre les artistes, les habitants et les territoires.

 

« Jeunes ESTivants », c'est le dispositif Eté Culturel de Grand Est. A l'été 2022, il a permis à 400 artistes d'investir en résidence près de 110 lieux de la région, essentiellement situés en milieu rural et, pour la plupart, non culturels. L'un d'entre eux, le réalisateur Bastien Simon, a filmé quelques-unes des rencontres qui se sont produites cet été là entre les artistes et les habitants. Il a parcouru, pendant 50 jours, à bord d'un véhicule jaune « La Poste », les dix départements du Grand Est, soit 5000 km.

Road trip aux rencontres improbables et histoires joyeuses, voire douloureuses, le film propose un regard particulier, poétique, rêveur, décalé ou absurde, qui lie les artistes à des habitants de milieux ruraux. Entraide, ouverture des possibles, partage, le film interroge sur la place de l’artiste dans notre société actuelle. Il présente cinq résidences passionnantes, parmi les 115 qui ont été organisées durant l'été 2022.

Co-produit par la DRAC Grand Est et Nomades
Un film à découvrir ci-dessous

(Durée 20 mn)

Jeunes ESTivants

Bastien Simon revient ici pour nous sur son aventure.

Le photographe Nicolas Serve, en résidence à l’EPHAD de Joinville (Haute-Marne)

Bastien Simon, quel a été, jusqu'ici, votre parcours ?

Réalisateur, décorateur pour le cinéma et la télévision, et artiste plasticien, je suis né à Nancy, où j'ai obtenu un master à l’Ecole Supérieure d’Art de Lorraine de Metz. Je vis et travaille à Paris depuis 2012. Mon atelier est situé à la Villa Mais d’Ici à Aubervilliers.

Mes films oscillent entre le réel et l'imaginaire. J'ai réalisé ainsi divers courts-métrages dramatiques et sociaux, des documentaires pour la télévision et des clips que je qualifierai d'oniriques. En 2020 j'ai terminé mon premier long-métrage documentaire Les Grands Voisins, la cité rêvée (96′).

Actuellement, j'écris avec Thomas Desenne un court-métrage de fiction fantastique, Les Métamorphoses (résidence écriture SAFIRE FICTION 2021 et aide à l’écriture Région Grand EST 2022). Depuis quelques années je développe aussi un projet d’œuvres en papier découpé, « Les Petits Théâtres », qui comporte à ce jour près de 150 œuvres originales. Je développe, à partir de cet univers, un film en animation et une bande dessinée.

Et, en 2022, j'ai donc réalisé Jeunes ESTivants (20′) pour la DRAC Grand Est, Scènes et Territoires et le Ministère de la Culture. Une version longue de 52′ intitulée Grand Est est actuellement en préparation avec la production Nomades.

Jeunes ESTivants : film de Bastien Simon (février 2023)

Quel sens donnez-vous à vos travaux ?

Mon travail est axé sur l'image, qu'elle émerge d'un film, d'un dessin ou d'une sculpture. Je crois que l'image m'aide à comprendre ce qui nous lie et nous divise dans notre société. Quelle est la place de notre singularité dans le tout ? Comment vivre en harmonie dans un ensemble cohérent qui accepterait toutes les différences ?

Autant mes films plus anciens montrent une sorte de fatalité dramatique liée à notre monde où tout s'entrechoque et se divise, autant, aujourd'hui, je souhaite montrer des horizons. Je souhaite montrer la beauté de la rencontre, la fragilité de la personne, ses doutes, ses peurs, ses espoirs. 

Ainsi, le rôle de l'artiste dans notre société revient souvent dans mes films (écrivain en mal de reconnaissance, artiste peintre immigré, jeunes artistes au contact d'habitants en milieu rural ou quartier prioritaire, danseur, artisan luthier qui monte un groupe de musique avec des sans abri...). Beaucoup de mes films questionnent les marges, l'isolement, l'art comme thérapie ou survie.

Compagnie Théâtre des opérations à la MARPA, à Vanault-les-Dames (Marne)

Cette thématique s'est-elle inscrite aussi dans Jeunes ESTivants ?

Avec Jeunes Estivants, j'ai souhaité documenter et présenter cette image de l'artiste comme vecteur de lien social, une image essentielle pendant et après la crise sanitaire de 2020. C'est une relation mutuelle : l'artiste n'existe pas sans son public et inversement. 

J'ai aussi fait ce film pour ceux qui n'arrivent pas à se projeter dans la vie d'un artiste. C'est pourquoi je suis parti, au début du film, sur un personnage un peu déjanté (WESH, Jean David Merhi), avec l'image un peu cliché de l'artiste hors cadre, voir "fou", pour montrer ensuite d'autres facettes de la profession, avec des personnes très ancrées dans le réel (l'addiction, la solitude, la peur de l'avenir). En soi des personnes tout à fait ordinaires, avec des doutes universels. Je voulais montrer des personnes comme vous et moi, sensibles, ouvertes à l'autre.

Avez-vous une manière particulière d'aborder le tournage d'un documentaire ?

J'apprécie particulièrement de partir seul avec mon matériel et de devoir faire face à ce qui m'est proposé. Il faut être réactif. Sur le qui-vive constamment. Depuis mon film sur les Grands Voisins, j'ai développé une manière de filmer sans réelle préparation à l'écriture. Cela peut être dangereux, mais une fois les axes et les thématiques trouvés, on se laisse porter par les rencontres et les accidents.

Alors quand j'ai reçu le coup de fil de la part de Scènes et Territoires, je n'ai pas hésité à répondre un grand OUI. Un projet de film rapide à réaliser, avec un financement prêt au démarrage, et une "carte blanche" allouée. Partir sur les routes, seul, à la rencontre des autres. Que demander de mieux ?

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Patience et longueur de temps sont des éléments essentiels à votre démarche...

Pour un documentaire, j'aime travailler sur des temps longs. J'ai passé deux ans et demi à filmer la construction de ce village éphémère et solidaire qu'a été Les Grands Voisins, entre 2016 et 2018. Pour Jeunes Estivants, j'ai passé 3 à 4 mois sur les routes du Grand Est et ses 10 départements.

J'aime prendre le temps du repérage, afin de trouver les bonnes personnes et les mettre en confiance, ce qui parfois ne me demande pas loin d'une année. J'essaie de leur faire sentir que je demeurerai toujours respectueux de leur personne et de leur histoire. Un temps que je n'avais pas à ce point-là pour Jeunes Estivants. Il fallait prendre le risque de sortir la caméra de manière prématurée, parfois. En réalité, j'ai été magnifiquement reçu par les artistes et les habitants.

La bande son du film est riche et travaillée. Est-ce une dimension importante à vos yeux ?

Les musiques ensoleillées, envoutantes et dynamiques du Chapelier Fou, un artiste de la région Grand Est, me sont tout de suite venues à l'esprit. J'attendais, depuis plusieurs années, le bon moment de faire appel à lui, et mon souhait d'emporter le spectateur par un rythme haletant, qui donne de l'espoir et de la chaleur, me le désignait tout naturellement.

Par ailleurs, j'avais envie d'un film choral, composé des œuvres créées pendant les résidences de l'Eté culturel. La place de la musique ou du chant est très forte dans ce film, car elle l'est tout autant pour les artistes ici présents (Wesh et ses instruments électroniques, Agathe Charnet et Lillah Vial avec la musique de l'un des accompagnants, les chants géorgiens de la compagnie IPAC, les musiques du passé avec les personnes de la MARPA). Et puis je voulais que ce film soit très "sonore" (feu qui crépite, pluie sur la tôle de la voiture, craquement de branche en forêt, eau qui ruisselle, oiseaux...) tous les petits sons de la campagne qui nous reviennent lorsque nous nous éloignons de la ville. 

Jeunes ESTivants

Production DRAC Grand Est et Nomades

Avec les artistes :

  • le musicien Jean-David Merhi, dit « Wesh », à l’école de musique de Brienne-le-Château dans l’Aube ;
  • les comédiennes, autrices et metteuses en scène, Agathe Charnet et Lillah Vial, dans la Forêt de Blainville (Meurthe-et-Moselle) ;
  • le photographe Nicolas Serve, à l’EPHAD de Joinville (Haute-Marne) ;
  • la compagnie théâtrale IPAC, à la Citadelle et au Centre Wilson de Montmédy (Meuse) ;
  • la compagnie Théâtre des opérations à la MARPA, résidence pour personnes âgées, à Vanault-les-Dames (Marne).

 

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