Restauration du bras Sud du transept (1ère tranche)
Pour la première fois, la Direction régionale des affaires culturelles Grand Est (DRAC) et l’œuvre Notre-Dame ont choisi de s’associer pour entreprendre ensemble des travaux, sous une double maîtrise d’ouvrage pour un chantier unique et sous la maîtrise d’œuvre de Pierre-Yves Caillault, architecte en chef des monuments historiques.
Les lots vitraux, décor peint, couverture et menuiserie placés sous la maîtrise d’ouvrage de la DRAC sont soumis à appel d’offre.
Comme toutes les cathédrales de France construites avant la séparation des églises et de l’État, Notre-Dame de Strasbourg est la propriété de l’État. C'est la DRAC, service déconcentré du ministère de la Culture, qui assure la maîtrise d'ouvrage des travaux.
Toutefois, la cathédrale de Strasbourg présente deux particularités dans le paysage des cathédrales françaises :
- elle dispose d’une fondation apparue au Moyen Âge pour collecter les fonds nécessaires à l’édification de la cathédrale, puis à sa construction et enfin à son entretien et la restauration de ses structures : la fondation, dite « de l’œuvre Notre-Dame » (OND),
- du fait de la permanence du concordat dans les départements alsaciens et mosellans, le clergé affectataire est représenté par une personne morale, le conseil de fabrique de la cathédrale, présidé par l’archevêque.
Ainsi, la maîtrise d’ouvrage des travaux réalisés sur la cathédrale de Strasbourg se répartit, au moyen d’un comité de pilotage réunissant épisodiquement le préfet de région, l’archevêque et le maire de Strasbourg, administrateur de droit de l’OND, entre ces trois entités :
- l’État, représenté par la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est,
- la Fabrique (essentiellement pour les interventions de modification ou de réparation liées à l’usage cultuel),
- l’OND (essentiellement pour des travaux de maçonnerie, pierre de taille et sculpture).
Les entreprises
- installations de chantier, conception et réalisation d’un échafaudage complexe : Europe échafaudage (Jarny – 54)
- étude et restauration des vitraux, conception et réalisation d’une double-verrière de protection : Atelier Parot (Aiserey – 21)
- étude, analyse et conservation du décor peint : ARCOA (Paris – 75)
- menuiserie : ADECO (Chatillon-le-Duc - 25)
- couverture : Chanzy-Pardoux (Illkirch Graffenstaden – 67)
Les lots maçonnerie, pierre de taille et sculpture sont placés sous la maitrise d’ouvrage de l’OND et réalisés en régie, par ses ateliers.
Calendrier
Les travaux se poursuivent sur la face Est, au-dessus et au revers de l’horloge astronomique et dans le courant de l'année 2018, les vitraux romans, remployés au-dessus de l’horloge, pourront à nouveau être admirés dans leur habit d’origine, puis en 2019 ceux de la face Ouest, hérités du XIVe siècle.
- 2016-2017 - tranche ferme (façade sud) : 856 781 €
- 2018 - tranche conditionnelle 1 (façade est) : 935 470 €
- 2019 - tranche conditionnelle 2 (façade ouest) : 397 571 €
Les interventions
Les vitraux
Le bras Sud du transept est percé de treize baies dont les verrières présentent un résumé de l’histoire de la cathédrale. Certaines baies de la face Est présentent des verres romans issus de la basilique ottonienne fondée en 1015, et remployés dans les baies gothiques, au moyen de larges bordures les adaptant aux dimensions plus vastes des ouvertures nouvelles.
Les deux roses de la face Sud, représentant l’ancienne et la nouvelle alliance, datent des années 1230. La haute baie de la face Ouest, présentant un motif de rosaces géométriques, a été vitrée au XIVe siècle. Quant aux quatre lancettes de la face Sud, dont les verrières n’avaient pas été jugées assez anciennes pour être déposées préventivement en 1939, elles ont été soufflées par le bombardement de 1944. Elles ont été renouvelées en 1977 par Jean-Jacques Grüber, dans un style contemporain non figuratif.
En 2017, les quatre baies de la face Sud ont été restaurées.
Les verrières contemporaines de Grüber, en bon état, ont été nettoyées en place, avec une solution alcoolique.
Les deux roses gothiques ont fait l’objet d’un traitement de fond, particulièrement délicat.
La rose Est, côté choeur (donc de l’autel, lieu du sacrifice), à la verticale de la statue de la Synagogue, représente l’ancienne alliance. Elle est constituée de figures de prophètes offrant des sacrifices. La rose Ouest, côté nef (donc de la chaire, lieu de la parole), à la verticale de l’église, représente la nouvelle alliance.
Ces verrières ayant été conçues en même temps que le transept Sud, dans un geste artistique global (Gesamtkunstwerk), constituent l’un des exemples les plus précieux au monde qui soit encore en place.
Dans un premier temps, le maître verrier a réalisé un calque de chaque panneau, matérialisant le réseau de plombs.
Un comité scientifique est alors intervenu pour pratiquer une critique d’authenticité, visant à distinguer les plombs d’origine des réparations (plombs de casse, qui altèrent la lisibilité du sujet) et également à distinguer les verres de différentes époques (verres d’origine du XIIIe siècle, restaurations anciennes notamment au XVIe siècle, souvent avec des verres de remploi dit « bouche-trou », restaurations consécutives aux bombardements de 1870 et 1944. Au terme de cette étude, il a été constaté que les deux roses gothiques de la face Sud conservaient encore environ 80 % de leurs verres d’origine.
Les verres ont été observés sous loupe binoculaire afin d’identifier les dépôts de surface qui les opacifiait : les mastics, généralement faits d’huile de lin et de carbonate de calcium (craie), réagissant avec les pollutions soufrées, ont produit des sulfates de calcium (gypse).
Sur la face interne, les eaux de condensation ont soulevé et parfois emporté les grisailles. Les plombs, tous renouvelés en 1959-1962 après leur retour d’Allemagne où ils avaient été cachés pendant la guerre, présentaient un profil très large et ont été remplacés par des plombs imités du modèle gothique. Cette suppression des plombs modernes a permis de retrouver dans la feuillure des traces des couleurs de surface (rouge plaqué notamment) qui ont pu être restituées par transparence sur des verres modernes appliqués de manière réversible sur les anciens.
Les inscriptions périphériques, formant deux petits poèmes latins donnant la signification du décor, avaient été inexplicablement brouillées et n’étaient plus compréhensibles. Le comité scientifique a proposé leur remise en ordre et celle-ci a finalement pu être effectuée par le maître-verrier sans avoir à retailler ni les remplages de grès, ni les verres de bordures anciens.
Toutes les baies anciennes ont été doublées par l’extérieur. Ainsi, les intempéries, les impacts, la pollution atmosphérique, etc. sont supportées par des verres modernes, blancs, répétant exactement la mise en plomb des verres d’origine.
De l’extérieur, l’illusion est donc parfaite. Ces verrières de doublages, faites de verre soufflé et assemblées au plomb selon la méthode artisanale, ont été légèrement traitées à l’acide afin d’éviter tout miroitement. Elles sont scellées hermétiquement dans le tableau des baies, ménageant une lame d’air d’environ 4 cm entre les verrières anciennes et le doublage, de façon à laisser l’air intérieur de la cathédrale circuler et de reporter la condensation éventuelle sur la face intérieure de la verrière de doublage. De petits verres de bordure ont été inclinés sur les verrières anciennes de manière à constituer des évents, invisibles depuis le sol.
Désormais, les médaillons anciens des deux roses de l’ancienne et de la nouvelle alliance, remis en place dans leur feuillure d’origine, mais sans calfeutrement, aisément amovible en cas de nécessité, entretien, exposition etc. présentent des conditions de conservation préventive optimales et particulièrement novatrices.
La polychromie de la façade Sud du transept
L’étude et la consolidation de la polychromie relevée sur la façade sud du transept ont été conduites par l’entreprise Arcoa, sous la direction du maître d’œuvre et sous la surveillance d’un comité scientifique international associant à la maîtrise d’ouvrage l’inspection générale des patrimoines, le laboratoire de recherche des monuments historiques, la fondation de l’œuvre Notre-Dame et des universitaires. Ce lot a permis de statuer sur un certain nombre de découvertes renouvelant profondément la connaissance de la cathédrale et de son aspect aux époques anciennes.
Le faux appareil
Par son exposition et l’importance de ses reliefs la façade Sud a conservé de nombreuses traces de polychromie. La corniche feuillagée très proéminente, sous la première coursive, a constitué un espace abrité des intempéries, tandis que les portails ont été protégés pendant plusieurs siècles par un petit toit dont subsistent les corbeaux en façade et la pente sur les contreforts. Ces conditions ont permis à la polychromie d’origine de parvenir jusqu’à nous, parfois à l’état de paillettes.
Si l’ensemble de la façade était peint, ce décor, paradoxalement, n’apparaissait pas directement puisque l’essentiel était un trompe-l’œil : il s’agissait, sur la hauteur de l’édifice, d’un faux appareil imitant les nuances du grès et reproduisant, en décalé, le damier polychrome des pierres appareillées. Des faux joints, blancs (céruse), sont ainsi tracés au milieu des pierres, tandis que des pierres voisines sont réunis en une par des aplats ocres ou bruns. La reproduction décalée, par la peinture, de l’appareil sous-jacent, visait certainement à idéaliser l’appareil en faisant paraître les blocs plus unis (masquage des veinages) et plus réguliers que ce qui pouvait être obtenu en carrière, pour suggérer ainsi la construction parfaite, sur le modèle mystique du « temple de Salomon ».
La statuaire
Comme il était d’usage au Moyen Âge, l’ensemble de la statuaire était peint. Les études menées sur les deux tympans de la dormition et du couronnement de la vierge ont démontré la richesse des pigments employés (azurite, smalt, vermillon…) et la vivacité des couleurs d’origine. Si cette polychromie n’a pas vocation à être renouvelée aujourd’hui, elle peut en revanche être restitué sur un modèle graphique ou numérique, voir sur un moulage des deux tympans. Elle permettra de mieux comprendre l’esthétique médiévale générale du transept Sud.
En revanche, les deux linteaux des portails Sud, la statue de la Vierge à l’enfant et celles de l’évêque Arbogast, oeuvres du début du XIXe siècle livrées par Jean Malade, sculpteur de l’oeuvre Notre-Dame pour remplacer les pertes révolutionnaires, n’étaient pas peintes à l’origine ; elles ont été nettoyées pour retrouver l’aspect de la pierre naturelle et de sa patine.
Était également peinte la niche dans laquelle prend place la Vierge à l’enfant (actuellement celle de Jean Malade). Les études ont laissé apparaître un décor à fond bleu, semé d’étoiles d’or. Dans la pratique, seules des étoiles bleues étaient conservées, la feuille d’or ayant protégé la couche bleue sous-jacente. Une restauration partielle de ce décor permet d’imaginer l’état d’origine sans tomber dans la raideur d’une restitution intégrale, qui aurait été sans rapport avec l’aspect patiné du reste de la façade.
Les cadrans solaires
Les cadrans solaires gravés dans le fronton du bras sud du transept ont été tracés en 1572 par David Wolkenstein, qui collabora avec Conrad Dasypodius à la conception de l’horloge astronomique. La date de 1572 a été gravée à la base du fronton, avec celle de 1669, qui correspond à une campagne de remise en peinture des cadrans d’horloge de la cathédrale, sous la direction de maître Heckler, architecte de la cathédrale dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La marque personnelle de ce maître d’œuvre, dérivée de celle de l’œuvre Notre-Dame, figure entre les chiffre 16 et 69.
Le cadran principal, au sommet, indique l’heure vraie, c’est-à-dire l’heure solaire, en chiffres romains, les heures du matin à gauche (de V à XII), celle de l’après-midi à droite (I et II, après quoi la façade, exposée Sud-Est, passe à l’ombre). Cet indicateur de l’heure réelle peut être regardée comme la pierre de touche permettant, par temps dégagé, de remettre à l’heure les horloges mécaniques, dont celle de la cathédrale, inaugurée en 1574.
Wolkenstein a également ajouté deux cadrans secondaires. L’un, à gauche, sous la devise « Tempus edax rerum » (le temps est vorace des choses), indique l’altitude et la latitude du soleil, l’autre, à droite, sous la devise « veritas temporis filia » (la vérité est fille du temps), le temps séparant le moment de l’observation du lever (« orae ab ortu ») et du coucher (« orae ab occasu ») du soleil.
La dorure des gravures a été restituée à la feuille d’or fin, appliquée à la miction, en se fondant sur les fragments retrouvés au creux des rayons. Elle rend désormais toute sa lisibilité à l’œuvre de Wolkenstein, restaurée dans son état d’origine.
Sur certaines estampes du début du XVIIe siècle, apparaît un atlante représenté au centre du fronton. Or une telle scène, outre qu’elle serait entrée en conflit avec la lecture des cadrans solaires, aurait forcément laissé des fragments, même microscopiques, de peinture. Aucune trace n’ayant été relevée, on peut affirmer désormais que ce motif n’a jamais été réalisé.
L’horloge extérieure
L’horloge extérieure, dont le buffet se loge sous le balcon de la coursive, a été entreprise en 1533. Elle est surmontée par une délicate sculpture, dite de l’astrologue, et dont l’original est conservé au musée de l’oeuvre Notre-Dame. Un personnage coiffé d’un bonnet y tient un petit cadran solaire, daté de 1493, essentiellement décoratif car la lecture de l’heure, sur ce petit module, est malaisée de loin.
Dans les écoinçons de l’horloge, quatre angelots tiennent des phylactères portant les dates de création de ce buffet (1533), de mise en service (1572), de rénovation (1607), et de remise en peinture (1669). Au sommet du buffet apparaît l’inscription « Renovatum A.D. MDCCCXLI » (restauré en l’an de grâce 1841), date du raccordement de ce cadran à l’horloge astronomique intérieure par Jean-Baptiste Schwilgué.
Le cadran en tôle peinte n’est pas d’origine, puisqu’il s’agit du troisième modèle. Le premier modèle portait, au regard des heures en chiffres romains, les douze signes du zodiaque, puis au centre, les phases du soleil et de la lune. Le second modèle, y substitua les jours de la semaine, en allemand, associés à leurs planètes. Le modèle actuel en hérite, mais présente des empiècements rivetés, trace du remplacement des jours en allemand (mis en place après 1870) par leur équivalent en français (rénovation en 1945).
L’ensemble de ce décor a été restauré en conservation, c’est-à-dire que la polychromie a été nettoyée et consolidée, mais, sauf lacune d’ampleur, n’a pas eu à être restituée. Une erreur introduite dans l’entre-deux guerres (la marque de maître Heckler, anachronique, avait été ajoutée à la date « 1572 », visiblement par imitation de la date « 1669 » où cette marque est correcte), a été corrigée, de façon documentée et réversible.
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