L’œuvre d’art, un trait d’union entre les morts et les vivants ? Depuis 2019, année de sa création au sein du ministère de la Culture, la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 entretient la mémoire des premiers – artistes ou propriétaires d’œuvres spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale – en retrouvant leurs œuvres et en les restituant aux seconds – leurs ayants droit.
Rien d’étonnant, donc, à la voir figurer au programme des Rendez-vous de l’histoire à Blois, dont le thème est, cette année, « Les vivants et les morts ». Le 5 octobre prochain, David Zivie, chef de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, Elsa Vernier-Lopin, chargée de recherche au sein de cette mission, y donneront une conférence intitulée « De la spoliation à la restitution : la recherche et la mémoire des œuvres d’art ». Ils seront accompagnés par Sarah Gensburger, historienne, directrice de recherche au CNRS au Centre de Sociologie des Organisations à Sciences Po, sociologue et politiste.
La place des œuvres d’art dans l’histoire globale des spoliations
L’objet même de la Mission – rechercher puis restituer – lorsque c’est possible - des biens culturels spoliés à leurs héritiers ou ayants droit légitimes – relève pleinement de la thématique de cette édition des Rendez-vous de l’histoire. « Notre mission est précisément une affaire de vivants et de morts avec des vivants qui font des recherches sur les objets des morts », explique David Zivie, en précisant que « les œuvres d’art sont en effet des ponts dressés entre des propriétaires spoliés et des hommes et des femmes d’aujourd’hui ».
Pour autant, les spoliations n’ont majoritairement pas concerné les biens culturels. En quoi ceux-ci sont-ils spécifiques ? « On replace bien sûr ces histoires dans l’histoire globale des spoliations qui ont touché beaucoup plus de monde que les propriétaires d’œuvres d’art. Celles-ci sont simplement plus identifiables, du fait de leur présence dans des musées ou sur le marché de l’art », poursuit David Zivie. L’équipe de la mission s’est ainsi posé la question de la fascination du public pour les biens culturels volés pendant la période nazie. « Ils ne disent pas forcément plus de choses sur les personnes spoliées mais ce sont des symboles, souligne Elsa Vernier-Lopin. On voit bien l’effet de leur restitution sur les familles. »
La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) est chargée de piloter et d’animer la politique publique de recherche, de réparation et de mémoire des spoliations de biens culturels. Cette carte blanche abordera donc également les travaux actuels de recherche des œuvres spoliées, que celles-ci se trouvent dans les collections publiques ou qu’elles circulent sur le marché de l’art. « Nous allons montrer comment on travaille avec les familles qui nous adressent leur demande ou, au contraire, comment on va chercher et créer le lien avec des familles qui n’ont pas entrepris ces démarches. Cela peut être bouleversant, voire écrasant pour elles », confie David Zivie. L’équipe abordera également la récente loi qui facilite les restitutions.
Deux nouveaux podcasts « À la trace » en novembre
En mars dernier, la Mission lançait « À la trace », une série de six podcasts consacrés à des œuvres spoliées de tous genres (tableaux, tapisseries, archives…) dont il a fallu identifier et retrouver les propriétaires. Cette série documentaire produite par le ministère de la Culture et réalisée par Léa Veinstein se poursuit avec la mise en ligne de deux nouveaux épisodes de vingt-cinq minutes consacrés à l’artiste Chana Orloff, sculptrice et portraitiste française, née dans une famille juive de Russie. Après sa fuite en Suisse en 1942, elle revient à la fin de la guerre dans son atelier parisien qu’elle retrouve vide, pillé par les nazis. « On ne connait pas bien les circonstances de ces disparitions mais on estime que près de 140 sculptures ont été spoliées », souligne Elsa Vernier-Lopin. Depuis plusieurs années, les deux petits-enfants de l’artiste mènent, avec la Mission, un minutieux travail de recherche sur ces œuvres disparues.
Ces deux épisodes, dont l’un sera consacré au parcours de l’artiste et l’autre à « L’enfant Didi », une sculpture représentant son fils, qui a été restituée à la famille l’an dernier, sortiront en novembre, avant le début de deux expositions consacrées à la sculptrice. L’une, qui se tiendra à partir du 15 novembre au musée Zadkine, sera la première exposition parisienne monographique dédiée à Chana Orloff depuis 1971. La seconde, qui aura lieu au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) dès le 19 novembre, portera sur l’itinéraire de « L’enfant Didi ». Le podcast sera en écoute libre dans les deux expositions. Une rencontre avec les petits-enfants de l’artiste accompagnée de l’écoute d’un épisode du podcast est programmée au mahJ le 19 novembre.
Une loi pour faciliter les restitutions
C’est une étape significative dans la politique publique de réparation des persécutions et spoliations antisémites. En avril dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak présentait un projet de loi-cadre destiné à faciliter la restitution de biens culturels relevant du domaine public ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 par l’Allemagne nazie, par les autorités des territoires que celle-ci a occupés, contrôlés ou influencés et par l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté ce projet de loi en mai, puis en juin et juillet, à l’unanimité ; la loi a été promulguée le 22 juillet 2023.
Une première loi avait été votée en 2022 pour permettre à quinze œuvres de sortir des collections publiques françaises afin d’être restituées aux ayants droit de leur propriétaires spoliés ou victimes de persécutions antisémites. Avec la loi-cadre de 2023, une telle démarche ne sera plus nécessaire : la restitution d’œuvres spoliées relevant du domaine public de l’État et des collectivités territoriales sera facilitée avec la création, dans le code du patrimoine, d’une dérogation au principe d’inaliénabilité. La personne publique propriétaire – État ou collectivité territoriale – pourra faire sortir du domaine public tout bien culturel qui se sera révélé avoir été spolié entre 1933 et 1945 pour le restituer à ses propriétaires légitimes, sans avoir à passer par une loi spécifique. Cette décision interviendra après avis de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargée d’établir les faits de spoliation.
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