En organisant les Entretiens du patrimoine, le ministère de la Culture renoue avec une initiative qu’il a développée entre 1988 et 2013. Sans rien changer à son esprit : celui d’être un lieu d’échanges qui a souvent inspiré l’évolution des politiques publiques et des pratiques patrimoniales.
Dans un contexte où les révolutions verte et numérique ont bouleversé les usages, le thème choisi pour cette édition, « Restaurer le patrimoine au XXIe siècle », promet de donner lieu à des échanges nourris entre architectes, conservateurs, restaurateurs, chercheurs, entreprises et associations. Éclairage avec Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l’architecture au ministère de la Culture.
La première édition des Entretiens du patrimoine a eu lieu en 1988. Quelle était l’ambition de ces rencontres ?
Lorsque les Entretiens du patrimoine ont été créés en 1988, le secteur du patrimoine connaissait une période faste. Je pense notamment à la création de l’Institut national du patrimoine, qui consacrait une formation de haut niveau aux métiers du patrimoine, ou au vote de la loi de programmation du 5 janvier 1988 relative au patrimoine monumental qui a consolidé la protection du patrimoine. Si tous les acteurs de la filière étaient engagés dans l’action, ils n’avaient pas toujours le recul nécessaire pour envisager les grandes évolutions à venir du secteur. D’où l’idée de les réunir lors de sessions de débats afin de faire émerger une réflexion collective pertinente et utile : c’est ainsi que sont nées ces rencontres.
L’édition qui aura lieu cet automne est placée sous le signe de la conservation et de la restauration du patrimoine.
Avec ces deux mots : conservation et restauration, on résume la raison des politiques patrimoniales ! Les Entretiens de 2023 rappelleront le contexte qui entoure la conservation et la restauration du patrimoine et les grands textes nationaux et internationaux qui les encadrent. Ils aborderont ensuite les enjeux les plus actuels. Il y a trente ans, on ne parlait ni de transition écologique, ni de révolution numérique. Aujourd’hui, ce sont deux lames de fond qui focalisent toute notre attention. Nous allons donc réinterroger nos pratiques à la lumière de ces mutations. On sent une attente de la part de la communauté du patrimoine pour échanger sur ces questions.
La question des matériaux plus respectueux de l’environnement sera également abordée. En quoi est-elle déterminante pour les questions de restauration ?
Évidemment car c’est une préoccupation de notre temps, comme en témoigne par exemple l’interdiction de l’utilisation des produits phytosanitaires qui a modifié notre perception des jardins patrimoniaux. On accepte désormais que la végétation se développe d’une manière que l’on aurait jugée inconcevable il y a 10 ou 20 ans. C’est un changement considérable, au même titre que le changement climatique qui va révolutionner notre gestion des essences de plantes.
Au-delà de l’interdiction de matériaux jugés nocifs, de nombreuses études en France et à l’étranger témoignent d’une prise de conscience environnementale accrue. Je pense au château d’Espeyran dans le Gard, propriété du ministère de la Culture, qui expérimente une campagne de désinsectisation non toxique, c’est-à-dire sans produits chimiques, de ses collections anciennes. Cet exemple est révélateur d’une volonté d’interaction moins traumatisante et plus naturelle entre le patrimoine culturel et les traitements de conservation-restauration visant à le protéger ou à le réparer.
Le chantier emblématique de Notre-Dame de Paris est un exemple concret de ce que peut être une restauration au XXIe siècle. En quoi correspond-il aux enjeux du moment ?
À Notre-Dame de Paris, parallèlement au chantier de reconstruction des charpentes et de la flèche, nous avons ouvert un chantier scientifique qui mobilise aujourd’hui jusqu’à 150 chercheurs venus de divers horizons : le CNRS, les équipes du ministère de la Culture, des laboratoires d’universités spécialisés... On découvre des choses extraordinaires concernant les techniques de construction de la cathédrale aux XIIe et XIIIe siècles ou sur la restauration de Viollet-le-Duc, qu’on ne connaissait finalement pas si bien. On s’interroge aussi sur l’acoustique et même sur la réaction des Français à l’incendie du point de vue des sciences sociales. Le chantier est une mine de renseignements pour la recherche. Du coup, mettre un coup de projecteur sur les acquis scientifiques du chantier de Notre-Dame nous a paru fondamental.
Ce chantier fait aussi figure de laboratoire, notamment en ce qui concerne les apports des technologies numérique et écologique.
L’une comme l’autre constituent en effet des alliés de premier plan pour la filière du patrimoine. Tout au long du chantier de Notre-Dame, l’une de nos préoccupations a été d’identifier les matériaux retrouvés. Les éléments de vitraux anciens nous ont permis de mieux comprendre les techniques du verre… Si nous n’avions pas disposé de plans numérisés de la cathédrale, nous n’aurions jamais pu avancer aussi vite.
Même chose pour la transmission au plus large public, qui est au cœur de ce chantier. Les expériences d’immersion dans la cathédrale telle qu’elle était au XIIIe siècle par exemple, n’auraient jamais pu voir le jour sans les apports incomparables du numérique.
Lors de cette édition des Entretiens du patrimoine, une large place sera faite à des conceptions européennes mais aussi extra-occidentales. Que peuvent-elles nous apporter ?
A l’heure de la mondialisation, il nous a semblé que l’on ne pouvait pas s’en tenir à notre point vue hexagonal et que l’on aurait tout à gagner à élargir la réflexion à d’autres grilles de lecture. En Occident nous sommes centrés sur l’authenticité matérielle de l’objet patrimonial. L’exemple de la flèche de Notre-Dame est à cet égard emblématique : au terme de longs débats, l’option retenue a été de la reconstruire à l’identique, non de faire une flèche contemporaine. Dans d’autres pays, notamment en Asie, on est davantage attaché aux savoir-faire et on hésite moins à reconstruire. Plus près de nous en Europe, si les traditions en matière de restauration sont plus ou moins similaires aux nôtres, le développement de quelques exemples typiques relatifs à des domaines dans lesquels la France excelle, peut permettre une intéressante distance critique. Ce qui est certain, c’est que la confrontation entre toutes ces conceptions nous pousse à nous remettre en question. De fait, tout en maintenant l’intégralité de nos contrôles scientifiques et techniques – la France est, de ce point de vue, exemplaire –, nous avons aujourd’hui des approches beaucoup plus pragmatiques.
Les Entretiens du patrimoine auront-ils lieu tous les ans ?
Nous n’en avons pas encore fixé la périodicité. Mais ce qui est certain, c’est que ce rendez-vous, qui est particulièrement attendu par la communauté du patrimoine, est relancé, et pour longtemps !
Partager la page