À l’occasion des Journées européennes du patrimoine, le château d'Espeyran célèbre avec ses partenaires la signature toute récente d’une « obligation réelle environnementale » (ORE), nouvel outil juridique pour la protection de la biosphère.

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Le château d’Espeyran, une merveille située aux confins de la Camargue et des Costières de Nîmes, labellisée « Maison des illustres », à la fois centre d’archives dédié à la conservation de microfilms et d’images numériques, transmis par les services publics d’archives sur le territoire, parc paysager inscrit, collection étonnante d’objets et de mobiliers, et réserve archéologique, a souhaité s’engager plus avant, et de manière exemplaire, dans la transition écologique. Le ministère de la Culture soutient, depuis le début, cette démarche.

Henri-Luc Camplo, responsable du Centre national du microfilm et de la numérisation (CNMN) et du château d’Espeyran, nous explique l’intérêt pour de ce nouvel outil juridique créé par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Henri-Luc Camplo, qu’est-ce qui vous attire dans le dispositif juridique d’une obligation réelle environnementale (ORE) ?

L’ORE représente l’engagement de toute l’équipe du château d’Espeyran. Au cœur même de notre activité quotidienne de gestion des archives et de notre mission de protection et valorisation du patrimoine culturel, l’ORE ouvre un débat sur la manière d’envisager désormais nos métiers en lien avec le vivant.

Notre questionnement, quant au réchauffement climatique et au développement durable, traverse à la fois nos pratiques professionnelles comme notre existence même : dans quel monde voulons-nous vivre ? Dans cet esprit, cette ORE peut nous permettre de donner, très concrètement, un cadre pour repenser nos métiers et notre vie en s’obligeant envers le Vivant.

Espeyran regroupe des activités éclectiques, du fait de sa situation et de son histoire…

D’un côté, nous avons les collines des Costières de Nîmes, et de l’autre la Camargue gardoise et le grand delta du Rhône. Des recherches archéologiques sur notre site ont révélé la présence d’un comptoir commercial grec dès le VIe siècle avant Jésus-Christ. Au Moyen-Âge, Espeyran était la résidence d’été des abbés de Saint-Gilles. À la Révolution, il est devenu « bien national » et a été acheté par une famille de Montpellier, les Sabatier, qui l’ont conservé jusqu’en 1963, puis en ont fait donation à l’État. Le château conserve ainsi le mobilier accumulé d’une riche famille bourgeoise du XIXe siècle : il ne s’agit pas d’un musée mais d’un lieu de vie où rien n’a été bouleversé, plus de 5 000 objets dont plusieurs centaines sont inscrits ou classés, une très belle collection de véhicules hippomobiles, une sellerie, enfin un parc paysager, protégé, de 13 hectares.

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En 1973, on a construit ici un centre d’archives (microfilms et aujourd’hui documents numérisés), et c’est seulement en 2006 que nous avons commencé à véritablement mettre en valeur le château, son parc et ses collections auprès du public. L’éducation artistique et culturelle est ainsi au cœur de notre action : nous accueillons 3 000 enfants sur l’année. Espeyran est un outil culturel dévoué à ce territoire du sud du Gard, pour sensibiliser et parler de culture et de nature à ses habitants.

Avec quels partenaires avez-vous signé cette ORE et qu’en attendez-vous ?

Nous l’avons signée avec la DRAC Occitanie et avec deux institutions naturalistes : le Conservatoire des espaces naturels d’Occitanie et le syndicat mixte de la Camargue gardoise.

C’est un engagement de longue durée, puisqu’il est signé pour cinquante ans et qu’il lie aussi, par conséquent, nos successeurs. Dans l’immédiat, cette signature inaugure un travail en commun, dont le premier objectif est d’établir un plan de gestion et d’action.

Le principe de notre obligation, puisqu’il s’agit de cela dans une ORE, est de prendre en compte le vivant dans chacune de nos actions. Nos missions premières sont des missions de conservation patrimoniale concernant les bâtiments du domaine d’Espeyran, ses collections, son parc, sa réserve archéologique. Cette nouvelle obligation nous impose d’assurer ces missions sans entrer en contradiction avec la biosphère d’Espeyran.

Concrètement, nous nous obligeons à réfléchir avec des naturalistes aux modalités de notre métier de conservation, de restauration et de valorisation patrimoniale, et de trouver des solutions pour éviter qu’elles soient pénalisantes pour le vivant.

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La conservation des microfilms et des fichiers numériques est-elle concernée ?

Le microfilm, une technique mise au point il y a fort longtemps, est stable et n’a besoin pour sa conservation que d’obscurité et d’une légère climatisation. Nous en avons ici 20 millions de mètres. Le bâtiment de conservation est en pleine réfection, ce qui le rendra moins énergivore. En revanche, les images numériques demandent un outillage et de l’électricité. Toutefois, sa conservation ici est passive (conservation dite « à froid ») : elle se fait sur des bandes magnétiques LTO (Linear Tape-Open). À ce jour, le CNMN conserve 2 Pétaoctets d’images numériques.

Comment les autres activités d’Espeyran vont-elles se réagencer ?

L’exemple le plus simple est celui de la sérotine, une chauve-souris qui colonise les combles des communs du château. Nous devons pouvoir accéder à ces combles pour l’entretien et d’éventuels travaux. Mais comment le faire sans nuire à la présence de ces animaux, pour rester conforme à notre ORE ? C’est là que les naturalistes entrent en jeu en nous apprenant que cette colonie de 600 individus (sans doute la plus importante du Gard) arrive à peu près au mois d’avril au château, pour se reproduire, et qu’elles repart à peu près au mois de novembre, pour passer l’hiver dans des grottes cévenoles. C'est donc l'hiver qu'on fera les visites d’entretien et les travaux.

Cet exemple montre ainsi qu’il est facile de rendre compatible la conservation du bâtiment et le cycle de reproduction des chauve-souris. L’ORE, en favorisant le dialogue entre professionnels de la culture et de la nature, permet de trouver des compromis et des solutions pour garantir la protection des bâtiments comme de la biosphère.

Plus compliqué : une partie du château se trouve infestée d’insectes xylophages qui s’attaquent aux meubles et aux parquets. On utilise traditionnellement, depuis des années, des produits de fumigations très toxiques qui tuent toute vie sans distinction. Notre réflexion, partagée avec la DRAC, va nous conduire à trouver d’autres solutions et à les mettre en œuvre pour s’attaquer exclusivement aux insectes nuisibles pour les collections. Ce sera peut-être plus compliqué et coûteux, mais c’est notre obligation aujourd’hui de rechercher toutes les solutions ayant un impact minimal sur la biosphère, conformément à nos engagements.

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L’outil juridique, encore une fois, nous oblige à considérer un principe : le souci de l’environnement n’est pas accessoire. Au contraire, il est existentiel ! Qu’un établissement culturel se décide à se mettre en obligation vis-à-vis du vivant, c’est aujourd’hui une nécessité. Que notre direction et le ministère nous soutiennent de ce point de vue est un grand encouragement et un réel soulagement.

Quant au parc du château d’Espeyran, il doit aussi faire face au changement climatique : sécheresse, nouvelles maladies…

C’est une dimension que nous allons pouvoir approfondir grâce au plan de gestion que nous allons mettre sur pieds avec nos partenaires, dans le cadre de l’ORE.

Un parc paysager est un parc inscrit du point de vue patrimonial. Un architecte l’a composé au XIXe siècle. Il a planté des essences de son époque. Avec le réchauffement, certaines d’entre elles ne sont plus adaptées. Toutefois, l’impact réel du réchauffement climatique sur le parc est difficile à déterminer. Les cèdres, souffrent beaucoup des sécheresses successives que nous avons connues, mais ils ne meurent pas tout de suite. Nous avons commencé à replanter avec de nouvelles essences, et un travail de fond s’impose, à conduire avec les botanistes et les historiens des jardins, pour faire évoluer ce parc sans le dénaturer dans sa structure.

Votre intérêt pour le vivant est aussi une dimension de vos actions d’éducation artistique et culturelle…

La biodiversité est extraordinaire à Espeyran. Avec nos photographes, nous menons une mission d’inventaire : les fleurs, les plantes, les insectes, les animaux. Le parc est un patrimoine culturel et vivant qui évoque notre culture, notre histoire, et, au-delà, un monde peu visible, bien caché, qu’on essaie de découvrir pour sensibiliser notre jeune public. Cette démarche en direction des plus jeunes est essentielle à nos yeux.

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La résidence du château d’Espeyran propose également aux artistes d’interroger le site dans ses multiples facettes.

Nous continuons par ailleurs à tisser autour de ce projet fédérateur d’ORE de très nombreux liens avec les acteurs associatifs, les autres institutions sur le territoire, mais aussi les habitants du territoire. En plus de son ORE, le château d’Espeyran a également signé la charte des éco-acteurs de la réserve de biosphère de Camargue et, à ce titre, organise avec ses partenaires le Festival de la biosphère (www.acte.bio), afin de promouvoir toutes les actions individuelles et collectives en faveur du vivant.

Qu’attendez-vous de l’ORE dans les années à venir ?

Notre objectif est d’être exemplaire. Pour l’instant, nous sommes tellement au début de ce processus que notre plan d’action et de gestion est encore une page blanche. Nous souhaitons travailler sur un modèle de projet qui serait réutilisable sur d’autres sites du ministère de la Culture qui s’intéresseraient au dispositif ORE. Pour nous, ce serait formidable de créer une dynamique d’échanges de réflexions et de bonnes pratiques, mais aussi, très concrètement, un maillage territorial de sites patrimoniaux où la biosphère serait prise en charge de manière volontaire et concrète. Un cercle vertueux qui pourrait faire valoir son influence bien au-delà des établissements relevant du secteur public.

Environnement, jeune public, découvertes… deux jours d’événements au Château d’Espeyran

Les enfants des écoles de Saint-Gilles et des environs sont attendus avec impatience à Espeyran, vendredi 16 septembre pour un ensemble de visites et d’ateliers ludiques animés par des médiateurs scientifiques, des artistes, des naturalistes et des intervenants spécialisés, dans le cadre de l’opération « Levez les yeux ». De grands moments d’échanges qui donnent un avant-goût de la programmation éducation artistique et culturelle du château !

 

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Samedi 17 septembre, place à la sensibilisation aux engagements environnementaux du château d’Espeyran, à travers de nombreux événements : visite du site et présentation de son « ORE », par les naturalistes du Conservatoire des Espaces Naturels d’Occitanie, du Syndicat Mixte de la Camargue Gardoise et les médiateurs du patrimoine de l’association CURIOSITEZ !, expo photos de la biosphère locale, réalisée par les photographes du service et table ronde qui s’annonce captivante autour de la question de la protection patrimoniale et du respect de la biodiversité. Un programme copieux pour marquer le lancement de cette convention.

Enfin, pour fêter l’événement : un parcours artistique proposé par Julia Lopez, en résidence à Espeyran, une « Balade des grands reporters », burlesque, par la Cie ARTELIA SALINA, sans oublier la soirée spectacle, cabaret-concert de rock sur les textes de Rabelais, tout un programme !