Plus de six cents œuvres – sculptures, peintures, installations lumineuses, création originale de mobilier – ont déjà pris place à l’intérieur et à l’extérieur de lieux de vie ou de travail. Elles témoignent toutes d’un désir, celui d’engager un dialogue et un rapprochement fertiles entre le monde de l’immobilier et celui de la création contemporaine.
C’est dans cet esprit qu’est née, en 2015, la charte 1 immeuble, 1 œuvre, à l’initiative du ministère de la Culture, avec le soutien de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI) et signée par treize promoteurs et sociétés foncières. Chacune d’entre elles s’est engagée à acquérir une œuvre d’un artiste vivant pour chaque programme immobilier qu’elle met en œuvre. Depuis, le nombre de signataires s’est étoffé, s’établissant aujourd’hui à près de 80 sociétés parmi lesquelles des bailleurs sociaux, et plus d’une centaine de nouvelles œuvres sont installées chaque année.
Une association a également été créée en 2019, le Club 1 immeuble, 1 œuvre avec ses quarante adhérents qui fédèrent et accompagnent les entreprises signataires de la charte et les aident à la mise en œuvre du programme, de la commande à l’installation des œuvres. « 1 immeuble, 1 œuvre est un projet unique et inédit qui conjugue exigence artistique, générosité et responsabilité des entreprises signataires. Il y a, derrière la place grandissante faite aux œuvres dans nos villes, la reconnaissance de la fonction et de la place de la création dans la société. L’art est une nécessité tant pour la ville que pour la vie », explique Arthur Toscan du Plantier, président du Club 1 immeuble, 1 œuvre.
Cette charte s’accompagne d’un prix éponyme, remis tous les deux ans pour des réalisations particulièrement exemplaires. Ceux de l’année 2023 ont été remis jeudi 29 juin avec quatre nouveaux lauréats : Clara Langelez et Noon pour Monolithe et vibrations, à Cécile Jaillard pour La Nature et les jardins, Ólafur Elíasson et Sebastian Behmann avec The Seeing City et enfin au projet Beautiful View #1 par le duo d’artistes Lang/Baumann.
Plus qu’une charte et un prix, 1 immeuble 1 œuvre est également un véritable soutien à la création contemporaine partout en France mais aussi un moyen de permettre au plus grand nombre – habitants ou salariés – d’accéder à la création artistique. Le point sur ce dispositif avec Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la Culture.
En 2015, treize promoteurs et sociétés foncières s’engageaient avec le ministère de la Culture et la Fédération des promoteurs immobiliers en signant la charte 1 immeuble, 1 œuvre. Avec quels objectifs ?
Christopher Miles : La charte 1 immeuble, 1 œuvre est le fruit d’une concertation entre le ministère de la Culture, la Fédération des promoteurs immobiliers de France et des entrepreneurs de l’immobilier. L’objectif de cette charte du ministère de la Culture est de fédérer la volonté des acteurs privés de se mobiliser en faveur de la création contemporaine. Ce programme a la particularité d’avoir été créé en seulement quelques semaines. Les signataires de cette charte s’engagent à commander ou acheter une œuvre d’art à un artiste vivant pour l’installer dans les bâtiments qu’ils construisent, gèrent ou réhabilitent, dans le respect des bonnes pratiques professionnelles.
Cette action de soutien à la création permet aussi de rendre accessible l’art de notre temps en dehors des lieux spécialisés, dans des espaces de vie ou de travail. Nous espérons que ces œuvres contribuent à la qualité de vie des personnes qui les verront et pourra susciter des réflexions ou des discussions entre eux. Il s’agit d’un dispositif unique au monde qui puise sa force dans la synergie entre l’État et le privé, pour soutenir et diffuser la création au plus près de nos concitoyens.
Depuis 2015, combien d’œuvres ont été intégrées à des projets immobiliers et représentent-elles un panel large de création artistique ?
C.M. : Fin 2022, 650 œuvres nous ont été signalées comme installées sur l’ensemble du territoire national. Plus d’une centaine d’œuvres sont désormais installées chaque année, tous médiums confondus. La peinture murale et la sculpture sont les disciplines les plus représentées. Pour autant, on trouve aussi beaucoup de dessins, de photographies, de mosaïques, de design d’objet, et plus largement d’installations. Les œuvres sont majoritairement des commandes, c’est-à-dire des réalisations conçues spécifiquement pour un site. Elles trouvent leur place sur les façades des immeubles, dans les jardins, dans les halls.
Pour le prix 2023, le comité artistique a souhaité saluer des projets qui déplaçaient les attendus et le regard. L’installation du Studio Other Spaces sublime le panorama, la sculpture de Lang/Baumann élève la perspective, Cécile Jaillard compose une œuvre participative, la peinture murale de Clara Langelez et Noon se dessine dans l’ombre des cyprès.
La charte 1 immeuble, 1 œuvre est un merveilleux terrain d’expérimentation pour les artistes. D’une manière générale, c’est le propre de la politique de commande artistique conduite par la délégation aux arts visuels que d’encourager la création en dehors des lieux dédiés à l’art.
Le dispositif s’est-il ouvert à d’autres contextes et d’autres territoires ?
C.M. : La charte 1 immeuble, 1 œuvre a 7 ans, c’est un dispositif attractif qui a fait ses preuves. Elle rassemble désormais 80 entreprises. Nous travaillons avec mon équipe à diversifier les typologies d’entreprises. À partir de 2019, des bailleurs sociaux ont rejoint le dispositif. Cette année, le ministère de la Culture récompense d’ailleurs l’intervention de Cécile Jaillard et son commanditaire Toit et Joie-Poste Habitat. L’artiste a défini un protocole participatif en proposant aux locataires de choisir, de peindre et de fixer les formes sur les assises et les bacs de végétaux de la place centrale de leur résidence, lieu du commun, du partage et lieu de vie.
Par ailleurs, rappelons-le, la charte, qui ne considérait que les œuvres pérennes, s’est ouverte, en 2019, à l’activation d’œuvres sur la durée des chantiers. Cette évolution du dispositif résulte de notre dialogue avec les entreprises signataires car c’est à leur demande que nous avons convenu que les œuvres temporaires qui ornent par exemple les palissades et les bâches, entreraient dans le cadre d’application de la charte.
Nous avons la chance de pouvoir compter sur notre partenaire historique, la Fédération des promoteurs immobiliers de France qui promeut la charte auprès des entreprises en région, ainsi que sur l’association le Club 1 immeuble, 1 œuvre, créée en 2019 à l’initiative de certains signataires de la charte et qui s’est fixée pour mission de valoriser et de faciliter l’action des adhérents au programme.
Le programme était initialement francilien et je suis heureux d’observer qu’il s’étend de plus en plus à d’autres régions telles que la Nouvelle Aquitaine, le Grand-Est, ou le Sud et prend une ampleur nationale.
La charte 1 immeuble, 1 œuvre est un merveilleux terrain d’expérimentation
pour les artistes
Que peut selon vous apporter la création artistique dans les bâtiments du quotidien à ceux qui les fréquentent ?
C.M. : J’emprunterai une citation à Pablo Picasso, dont on commémore cette année l’anniversaire de sa mort : « L’art lave notre âme de la poussière du quotidien ». La création est historiquement indissociable de l’architecture et du quotidien, il est de notre responsabilité, au ministère de la Culture, de maintenir ces liens.
Les échanges dont nous avons connaissance au sujet de l’accueil de ces œuvres par les usagers sont positifs. La question de la médiation organisée autour des œuvres est importante pour préparer leur arrivée et leur bonne réception. L’installation de ces œuvres d’art est une belle occasion de nouer le dialogue avec et entre les occupants ou visiteurs de ces bâtiments.
De belles initiatives ont été prise en ce sens. Ici, je mentionnerai certaines démarches inspirantes et qui pourraient être développées par d’autres entreprises : par exemple, l’investisseur européen Covivio conjugue charte 1 immeuble, 1 œuvre et responsabilité sociétale et environnementale (RSE), ou le groupe Emerige qui initie des ateliers de médiation à destination des scolaires.
En quoi ce programme 1 immeuble, 1 œuvre soutient la création artistique et la diffusion des arts visuels ?
C.M. : Les signataires de la charte s’engagent à acquérir, par achat ou commande, une œuvre d’art à un artiste vivant dans le respect des bonnes pratiques professionnelles. Celles-ci incluent, outre le paiement de l’œuvre, une juste rémunération des artistes pour leur travail et le respect des droits des artistes auteurs, notamment les droits de reproduction et de représentation.
On le sait peu mais les entreprises engagées dans 1 immeuble, 1 œuvre financent intégralement les œuvres qu’elles installent. Il ne s’agit donc pas d’un programme de mécénat ou de constitution d’une collection privée, mais bien de soutien à la création et à sa diffusion, cela contribue à la structuration du secteur des arts visuels en offrant des conditions de monstration particulières pour l’art de notre temps.
Les adhérents au programme fixent librement le budget consacré aux œuvres ainsi que les modalités de leurs choix artistiques. Les œuvres installées reflètent la diversité de la création contemporaine de notre pays mais aussi la pluralité des acteurs de la charte, celle des projets, de leur ampleur, des contextes de travail.
Aux côtés de l’action publique en faveur de la commande artistique, du 1 % artistique, du soutien aux lieux de diffusion de la création que sont notamment les centre d’art ou les FRAC, la charte 1 immeuble, 1 œuvre constitue désormais l’un des piliers de la politique de démocratisation de l’art en France.
Depuis 2022, le site du ministère de la Culture propose une cartographie des œuvres issues des différents dispositifs de la commande artistique accessible en ligne. Elle permet de se rendre compte du maillage des œuvres sur le territoire national. Nombreux sont celles et ceux qui ont aujourd’hui la possibilité de vivre près d’une œuvre.
Pernelle Poyet, designeure des trophées de l’édition 2023
Pour la troisième fois, le ministère de la Culture remet le prix 1 immeuble, 1 œuvre dont le trophée sera une nouvelle fois réalisé par un artiste. « Cette cérémonie est l’occasion de saluer l’excellence de la création contemporaine. Nous avons donc souhaité que les trophées remis pour chacun des prix soient conçu par un créateur vivant » explique Christopher Miles. Cette année, au terme d’un appel à candidature, Pernelle Poyet a été retenue pour la création du trophée.
La designeure a ainsi imaginé sept objets de bois sculptés à la main traditionnellement, aux veinages colorés, tous manipulables et presque tous déboîtables et réemboîtables. « Cette proposition est ambitieuse car plutôt qu’un objet qu’elle aurait démultiplié à l’identique, Pernelle a imaginé une déclinaison de trophées dont les formes et les essences de bois sont toutes différentes. Le pari de cette commande artistique était aussi de réinventer l’usage du trophée et je pense que Pernelle Poyet a brillamment relevé ce défi. Nous sommes à dire vrai, curieux de voir la manière dont les lauréats vont s’en saisir ! », poursuit Christopher Miles. Ces sculptures sont contenues dans des boîtes peintes aux couleurs pastels, qui forment un écrin pour chacune des sculptures. L’ensemble du projet a été conçu avec une attention forte à l’impact environnemental.
Née en 1990, Pernelle Poyet vit et travaille à Paris. En 2016, elle est lauréate de la Design Parade 2016 de la Villa Noailles, prix du public et prix du jury qui la conduisent en résidence au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (CIRVA) de Marseille, ainsi qu’à la Manufacture nationale de la Cité de la céramique Sèvres et Limoges. « Ce projet part d’une intuition, celle que le mot "trophée" cache peut-être plus que ce que je peux en croire a priori, explique t-elle. Il est le fruit d’un amusement, d’une forme d’enquête, de découvertes au fil des étymologies. » Ainsi, sur chaque couvercle se découvre une forme d’énigme, que l’on peut lire par ordre d’apparition historique :
Ar ∣tisan
∣chitecte
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