En janvier 2020, le ministère de la Culture a souhaité mettre en lumière une discipline en pleine vitalité artistique : la bande dessinée. Un an après – crise sanitaire oblige – BD20>21, l’année de la bande dessinée, qui est prolongée entre-temps jusqu’au 30 juin 2021, a tenu toutes ses promesses : ce sont plus de 2000 événements qui ont été ou seront proposés au public dans le strict respect des règles sanitaires grâce à la mobilisation de tous les acteurs d’un secteur qui sait ce que se réinventer veut dire.
L’un d’entre eux – la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, à Angoulême – occupe une place à part dans l’écosystème de la BD. Véritable vaisseau amiral du secteur, la Cité s’est imposée, en l’espace de trente ans, comme un acteur public incontournable de la bande dessinée en France avec le Centre national du livre. Un vaisseau – clin d’œil au site historique signé par l’architecte Roland Castro qui fut baptisé, en 2012, « Vaisseau Mœbius » – qui accompagne l’essor d’une discipline en pleine vitalité créative. Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, fait le point sur les ambitions de l'établissement.
Quelle est l’originalité de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image ?
C’est la seule institution en France qui conserve des collections patrimoniales de cette ampleur dans le domaine de la bande dessinée – ce sont en effet les premières d’Europe et les deuxièmes au monde. La Cité est aussi la première à offrir une pluralité de services, qui constituent un ensemble extrêmement cohérent : une maison des auteurs – une cinquantaine sont accueillis chaque année en résidence dont 60 % d’étrangers –, une bibliothèque publique avec 48 000 ouvrages en libre accès et un cinéma qui permet de tirer pleinement profit du riche écosystème de l’image à Angoulême où, indépendamment des écoles de bande dessinée, des écoles de jeux vidéo et de cinéma d’animation de premier plan sont implantées. Ceci dans un contexte marqué par la présence d’une large communauté d’auteurs sur le territoire angoumoisin, le retentissement chaque année du festival international de la bande dessinée, et le label Ville Créative que l’UNESCO a attribué à la Ville d’Angoulême en 2019. Résultat : la Cité a, depuis trente ans, accompagné l’extraordinaire explosion artistique de la bande dessinée.
Promotion de collections patrimoniales exceptionnelles, actions ambitieuses d’éducation artistique et culturelle, soutien à la création…
Est-ce à dire que l’essor de la bande dessinée n’aurait pas été le même sans la Cité ?
S’agissant de l’éclosion de la bande dessinée, il y a des racines historiques bien antérieures à la création de la Cité. En revanche, celle-ci a donné une visibilité à la discipline. Trait d’union avec le grand public et un certain nombre de pays étrangers, elle apparaît aujourd’hui comme une vitrine de la vitalité créative de la bande dessinée hexagonale, alors que la France s’est imposée comme un des trois pays de référence de la BD aux côtés des États-Unis et du Japon. Autre dimension particulièrement importante : la dimension patrimoniale, qui est une composante majeure du projet initial. Comme le dit Thierry Groensteen, historien et critique de bande dessinée, celle-ci a souvent été vécue comme un art sans mémoire. Il était donc important d’avoir une vision patrimoniale pour mettre en perspective l’histoire de la bande dessinée, depuis son émergence en Suisse en 1830 grâce à Rodolphe Töpffer.
Quels sont aujourd’hui les axes prioritaires d’intervention de la Cité ?
Il y en a trois. Le premier concerne la valorisation et de la diffusion de nos collections, qui en plus des œuvres françaises, comprennent des œuvres européennes et américaines à travers la tradition franco-belge et les comics américains. Il s’agit en l’occurrence d’une valorisation de toutes les richesses de nos collections : non seulement nos planches originales, mais aussi nos imprimés patrimoniaux. Le deuxième axe concerne les enjeux de transmission, d’éducation artistique et d’intégration sociale par la bande dessinée. Nous menons de nombreuses opérations dans les écoles en partenariat avec les académies de Poitiers, Limoges, Lille, et Paris. Nous travaillons aussi actuellement à un projet avec l’hôpital d’Angoulême. Enfin, nous avons, à la suite de l’opération « Toute la France dessine » lancée l’été dernier sous l’égide du ministère de la Culture par la Cité de la BD et le Centre national du livre, mis en œuvre 300 ateliers de pratique du dessin avec des auteurs dans la France entière, y compris en outre-mer qui ont touché environ 3000 jeunes. Derrière chacune de ces opérations, il y a des milliers de Français qui ont été sensibilisés aux enjeux et aux pratiques de la bande dessinée.
Il y a aussi un volet professionnel, qui s’adresse à tous les acteurs de la filière.
En effet, c’est le troisième axe de notre action. La Cité entend se positionner comme un lieu-ressource pour l’ensemble de la filière – pour les auteurs bien sûr, mais aussi l’ensemble des acteurs culturels qui veulent travailler dans le secteur de bande dessinée. Cela passe par un accompagnement juridico-administratif, une permanence juridique et, depuis 2016, l’organisation des Rencontres internationales de la bande dessinée. Enfin, nous avons un centre de documentation qui permet aux chercheurs d’avoir accès à des ressources pour des travaux de recherche spécifiques.
Qu’en est-il des actions en soutien à la jeune création ?
Elles sont plurielles : nous avons mis en place un dispositif de sortie d’école et nous accueillons, à travers la Maison des auteurs, beaucoup de jeunes auteurs en début de carrière ce qui facilite leur lien avec les éditeurs et d’une façon générale avec tous les acteurs susceptibles de s’intéresser à leur travail. Notre objectif est de créer le maximum d’opportunités pour ces jeunes auteurs. Nous avons aussi structuré un plan auteurs à l’échelle du territoire angoumoisin en mobilisant nos partenaires publics - le ministère de la Culture, la région Nouvelle Aquitaine, le Conseil départemental de la Charente, la ville et la communauté d’agglomération d’Angoulême – pour expérimenter de nouvelles modalités d’accompagnement. Car si le secteur connaît une vitalité créative formidable, les auteurs, paradoxalement, se précarisent. Nous souhaitons que ce plan, en faisant converger plusieurs politiques publiques - aide à la mobilité, aide au logement, aide sociale - ait une dimension d’exemplarité à l’échelle nationale, que chacun dans son territoire puisse ensuite se saisir de cette boîte à outils et l’adapter à la problématique qui lui est propre.
Qu’en est-il du rayonnement de la bande dessinée dans le monde ?
C’est en effet un des axes forts de développement pour la Cité. Aujourd’hui, nous avons signé une vingtaine d’accords internationaux, et nous travaillons en priorité avec l’Europe et l’Afrique. En Europe, nous avons notamment un chantier avec les pays des Balkans. En Afrique, nous nous inscrivons pleinement dans la Saison Africa 2020. Dès que ce sera possible, nous lancerons l’exposition « Kubuni, bandes dessinées d’Afrique(s) », qui présente la bande dessinée africaine dans ses dimensions historiques et contemporaines. Il y a aujourd’hui un bouillonnement de la création en Afrique et nous souhaitons mettre en valeur les auteurs émergents comme nous l’avons fait en 2018 à travers la nouvelle bande dessinée arabe.
Comment la Cité vit-elle ces périodes successives de confinement et, plus largement, la situation de crise sanitaire ?
Comme de nombreuses institutions culturelles, nous essayons de réinventer le lien avec nos publics mais aussi avec les charentais. A cet effet, nous menons notamment de nombreuses actions dans le cadre du jumelage avec le centre social Bel Air/Grand Font situé dans un quartier prioritaire de la ville d’Angoulême. D’une manière générale, nous avons démultiplié les opérations en ligne. Outre l’opération « Toute la France dessine » déjà évoquée, qui a été l’objet d’une importante valorisation en ligne, nous avons monté des ateliers avec un service de médiation, organisé des visites guidées de nos expositions, valorisé notre bibliothèque numérique par des entrées thématiques, ou encore proposé des entretiens d’auteurs. Sur les réseaux sociaux, nous avions aussi chaque semaine un thème qui nous permettait de valoriser telle ou telle composante de nos collections et de notre bibliothèque. Ces différentes actions ont rencontré un vif succès, la fréquentation de notre site internet a pratiquement doublé.
30 ans de la Cité de la bande dessinée : 3 temps forts en période de crise sanitaire
Un ouvrage encyclopédique, un MOOC et la poursuite d’une exposition emblématique : tels sont les principaux temps forts d’un anniversaire particulier, en ces temps de crise sanitaire, celui de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image. « Le Bouquin de la bande dessinée, qui vient de paraître dans la collection Bouquins des éditions Robert Laffont (voir notre article), est le grand projet éditorial des trente ans de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et de BD 20>21, l’Année de la bande dessinée. Il est la concrétisation d’un dictionnaire esthétique et thématique lancé à la Cité en 2012 », souligne Pierre Lungheretti. Autre réalisation emblématique : le MOOC réalisé en partenariat avec la Fondation Orange. « Conçu en grande partie à partir des collections de la Cité, il vise à donner des repères dans l’histoire et les codes de la bande dessinée. À côté de ces deux projets emblématiques, nous aurons de nombreuses opérations de valorisation de nos collections. Enfin, l’exposition « De Castro à Mœbius, les 30 ans du Vaisseau », qui évoque l’histoire du site et les grands événements qui marquèrent les trente dernières années à la Cité, sera prolongée jusqu’à l’été. L’essentiel, c’est que l’on puisse avoir ce moment de célébration physique autour des trente ans de cet établissement et de ses réalisations », conclut Pierre Lungheretti.
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