Le PCI au service des droits culturels
Le patrimoine culturel immatériel représente un droit fondamental : celui de vivre pleinement sa culture et de la transmettre. Par leurs gestes, récits et savoir-faire, les communautés font vivre leur histoire et réaffirment leur identité au sein de la société.
Célébrer un orisha dans une église, faire vibrer un tambour de gwoka en Guadeloupe, transmettre le savoir-faire des couvreurs-zingueurs parisiens… Plus que de simples traditions, ces pratiques représentent un patrimoine vivant, appelé aussi patrimoine culturel immatériel (PCI). Tel que défini par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée le 17 octobre 2003 par l’UNESCO, le PCI regroupe les pratiques, savoirs, rites ou expressions que les communautés reconnaissent comme faisant partie intégrante de leur patrimoine. À travers ces pratiques culturelles patrimoniales, des individus et des groupes affirment leur présence, transmettent des gestes, des récits, des croyances et exercent un droit fondamental : celui de prendre part à la vie culturelle. « Lorsqu’un groupe participe à un carnaval ou une fête, il réalise un droit culturel : le droit de participer à la vie collective, de partager son identité culturelle », précise Lily Martinet, chargée de mission pour le PCI au ministère de la Culture.
Lutter contre le racisme avec le Lavage de la Madeleine
À Paris, le Lavage de la Madeleine est organisé chaque mois de septembre depuis 2002 par la communauté brésilienne d’Île-de-France. Habillés de blanc, en procession tel un cortège pour la paix, les participants perpétuent un rituel de purification hérité de Bahia : une pratique syncrétique, née au 19e siècle. « Les esclaves n’avaient pas le droit d’entrer dans l’église car ils étaient noirs. Cette perpétuation permet de lutter contre le racisme, contre l’exclusion et de célébrer la diversité culturelle, explique Audrey Etropie, vice-présidente de l’association Viva Madeleine. Cette tradition est très importante. C’est un système de vie, de valeurs, de transmission pour les enfants. » Célébrant la diversité culturelle, se souvenant d’une histoire marquée par l’exclusion, le Lavage de la Madeleine est à la fois un rituel, un acte de transmission ouvert à tous et une affirmation de droits.
Affirmer son identité avec le gwoka
En Guadeloupe, le gwoka joue un rôle similaire. Inscrite en 2014 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, cette pratique née de la résistance des esclaves allie tambours, chants et danses. « À travers le gwoka, beaucoup de Guadeloupéens expriment leur identité. Ils sont fiers de leur gwoka et le revendiquent. L’expression de ce patrimoine permet un dialogue et dit que ce qui nous rend « nous » n’entre pas en contradiction avec ce qui vous rend « vous » », souligne Dominique Cyrille, ethnomusicologue et conseillère Musées et PCI au ministère de la Culture. Pour beaucoup, la reconnaissance du gwoka comme patrimoine culturel immatériel est une fierté, une reconnaissance de leur culture, mais aussi de leur histoire. « Cela permet de valoriser notre patrimoine, le faire mieux connaître mais aussi de changer les regards sur les cultures afrodescendantes », assure Chantal Loïal, interprète et chorégraphe de la compagnie Difé Kako.
Inventorier le patrimoine vivant, comme une reconnaissance
Depuis 2003, la Convention de l’UNESCO invite les États à inventorier le patrimoine vivant. En France, cet inventaire donne aux communautés la possibilité de documenter et valoriser leurs pratiques. Concrètement, chaque fiche est élaborée avec les personnes concernées, en décrivant l’histoire, les acteurs, les menaces et les moyens de transmission. « Le PCI existe de fait, il n’a pas besoin d’une reconnaissance de l’État ou d’un organisme international. Toutefois, l’inventaire est perçu comme tel. Il apporte une forme de fierté, de légitimité. Cela permet aux communautés de prendre conscience de leur patrimoine et de leur singularité, et resserre aussi les liens », explique Lily Martinet.
Des pratiques dynamiques
Loin de figer des pratiques dans le passé, le patrimoine vivant permet à ceux qui le portent de le faire évoluer. « Par exemple, sur l’égalité de genre, on peut, à travers le PCI, reconnaître des rôles différenciés sans discrimination. Certaines pratiques peuvent être largement féminines, mais les rôles y sont valorisés. Il peut y avoir une prédominance d’un genre ou d’un autre dans certaines pratiques, mais la sauvegarde de ce patrimoine peut accompagner une évolution », souligne Lily Martinet. Le gwoka en est un exemple. « Jusque-là, les hommes étaient au tambour, à la danse et au chant, mais les femmes n’étaient qu’à la danse. Depuis une trentaine d’années, les frontières sont plus poreuses », explique Chantal Loïal.
De tels exemples sont légion. À Arbois, dans le Jura, une femme a récemment porté le Biou — cette grappe géante de raisin que seuls des hommes portaient jusqu’alors. Et dans la découpe bouchère, autrefois réservée aux hommes notamment en raison de son caractère physique, l’évolution des outils permet aujourd’hui aux femmes d’accéder à ce savoir-faire traditionnel. C’est pourquoi le patrimoine culturel immatériel doit être pensé non comme un vestige, mais comme une force vivante, le miroir d’une société qui change.
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