Chaque printemps, Banlieues Bleues transforme la Seine-Saint-Denis en un véritable carrefour musical où se rencontrent jazz, musiques du monde et expérimentations sonores. Pour cette nouvelle édition, le festival poursuit son exploration des formes libres et engagées, offrant une programmation où se mêlent grandes voix et créations inédites. De l’université aux scènes des villes du département, Banlieues Bleues invite à un voyage musical sans frontières, où la transmission et l’émotion se conjuguent à l’énergie du présent. Un rendez-vous incontournable pour les esprits curieux et les amateurs de musique en quête d’inattendu.
Banlieues Bleues signe une 42e édition sous le signe de la liberté et de l’engagement
Chaque année, le festival fait vibrer la Seine-Saint-Denis au rythme des musiques du monde, du jazz et des sonorités les plus audacieuses. Pour sa 42e édition, l’événement s’ouvre une nouvelle fois à l’Université Paris à Saint-Denis. Un choix fort qui inscrit encore davantage le festival dans un espace de réflexion et de transmission.
"C’est un choix symbolique et politique", explique Xavier Lemettre, directeur du festival. "L’université est un lieu de savoir et de débat, mais aussi un espace de croisement entre les générations et les cultures. Ouvrir le festival ici, c’est affirmer que la musique a un rôle essentiel dans la transmission, le dialogue et l’émancipation." Cette soirée inaugurale est portée par Joy Guidry, Muqata’a, Mike Ladd et le quartette Ahmed, quatre projets qui incarnent une "puissance libératrice", selon le directeur du festival.
Diversité des esthétiques et des formes musicales
Si Banlieues Bleues a toujours célébré la diversité des esthétiques et des formes musicales, cette édition 2024 résonne plus que jamais avec les bouleversements du monde contemporain. "La musique n’a – malheureusement – pas tous les pouvoirs", reconnaît Xavier Lemettre, "mais elle permet aux artistes de s’inscrire dans le temps présent, d’interroger, de bousculer, de réveiller."
Dans cette dynamique, le festival met à l’honneur des voix puissantes et engagées. Les textes percutants de Casey (ExpéKa), Tumi Molekane (Stogie T), Lova Lova, Lex Amor, Abdullah Miniawy et Mike Ladd résonnent comme des cris d’alerte, témoins d’une époque marquée par les tensions et les revendications. "Ces artistes ont en commun une parole forte, un engagement qui dépasse le simple cadre musical", souligne le directeur de Banlieues Bleues. En contrepoint, d’autres musiciens apportent une forme d’introspection et de profondeur, à travers la force du chant et du timbre : Cécile McLorin Salvant, Célia Kameni, Olivia Salvadori et Meskerem Mees font entendre des voix d’une intensité bouleversante, offrant une autre manière d’interroger le réel.
Cette tension entre engagement et contemplation se retrouve également dans les choix des musiques du monde et des traditions revisitées. Jupiter & Okwess, Widad Mjama et Khalil EPI (Aïta mon amour), Nubiyan Twist, Mamani Keita ou Califato 3/4 incarnent cette volonté de "faire entendre les voix des résistances musicales contemporaines", affirme Xavier Lemettre. À travers eux, Banlieues Bleues ne se contente pas d’être un simple festival, il devient un espace de transmission, de revendication et de fête, où l’histoire des luttes se raconte en musique.
Un espace d’exploration et de réinvention
Si cette édition est traversée par une énergie militante, elle reste aussi un lieu d’expérimentation et d’exploration sonore. Fidèle à son esprit novateur, Banlieues Bleues met en lumière des musiques improvisées qui repoussent les cadres. Fred Frith, Bill Orcutt, Sophie Agnel, Clara Lévy, Lia Kohl, Susana Santos Silva seront de ceux qui feront de leurs concerts des "rituels libérateurs, entre abandon et création pure", estime Xavier Lemettre.
À ces expérimentations s’ajoutent des artistes qui questionnent la perception même du son et de l’espace. Rafael Toral et Olivier Lété proposeront des expériences musicales extra-atmosphériques, tandis que Jowee Omicil et Archetypal Syndicate inviteront à une exploration des pouvoirs guérisseurs du son. "Banlieues Bleues, c’est aussi un espace où l’on se laisse surprendre, où l’on découvre de nouvelles manières d’entendre et de ressentir la musique", ajoute son directeur.
Cette philosophie se reflète dans l’image choisie pour incarner cette édition, inspirée du photographe Derrick Ofosu Boateng, dont la citation résonne comme un mantra : "Music can make the pain fade." "La musique ne résout pas tout, mais elle permet d’adoucir les blessures, de donner un sens aux luttes et de créer du lien", conclut Xavier Lemettre.
Depuis sa création en 1984, Banlieues Bleues s’est imposé comme un rendez-vous incontournable, bien au-delà du jazz. Avec cette nouvelle édition, il réaffirme son rôle de festival visionnaire, où la musique est une force de révolte, un refuge et un espace de création toujours en mouvement.
Focus sur 9 concerts
ExpéKa
ExpéKa est né de la rencontre entre le batteur Sonny Troupé, ancré dans le gwoka guadeloupéen, et la rappeuse Casey, porteuse d’un hip-hop incisif. Ensemble, ils explorent un terrain hybride où se croisent rythmes ka, rap et jazz caribéen, ancrés dans une mémoire de lutte et d’émancipation. Rejoint par la flûtiste Célia Wa, le projet s’est enrichi pour devenir un sextette incandescent, mêlant groove tranchant et textes ciselés. Entre hommage aux racines antillaises et critique d’une histoire occultée, ExpéKa transforme la colère en force créatrice, brisant les barrières identitaires à travers une musique puissante et engagée (France).
Aïta Mon Amour
Aïta Mon Amour réinvente l’aïta, ce chant traditionnel marocain, à la croisée du blues rural et de la révolte féministe. Porté par Widad Mjama, pionnière du rap marocain, et Khalil Epi, figure majeure de l’électronique arabe, le duo explore un patrimoine musical en voie de disparition. Après avoir recueilli la mémoire des dernières chikhates, ces chanteuses à la fois adulées et marginalisées, ils font résonner leur héritage à travers Abda, un premier album audacieux. Entre rythmes électroniques et instruments traditionnels, Aïta Mon Amour fait dialoguer les générations et ravive l’âme festive et contestataire de cet art ancestral sur scène.
Arat Kilo feat. Mamani Keita & Mike Ladd
Depuis "A Night in Abyssinia", Arat Kilo s’est imposé comme un acteur clé du renouveau de l’éthio-jazz, fusionnant hip-hop, dub, jazz et musiques africaines. D’abord quintette, puis sextette, le groupe a multiplié les collaborations avec des voix marquantes comme Mamani Keita et Mike Ladd, aujourd’hui membres à part entière de l’aventure. Avec leur nouvel album Danama, ils poursuivent ce voyage musical entre blues éthiopien, sonorités londoniennes et influences de La Nouvelle-Orléans, tout en portant un regard engagé sur les réalités contemporaines.
Archetypal Syndicate
Archetypal Syndicate explore un territoire musical sans frontières, mêlant improvisations hypnotiques, polyrythmies transcendantes et harmonies déroutantes. Ni jazz, ni rock, ni électro, leur son se nourrit d’influences sub-sahariennes, asiatiques et psychédéliques porté par un instrumentarium singulier : kalimba, guembri, violoncelle sous effets, guitares multiples, gongs et grelots. Forgé à Paris mais résolument nomade, le trio façonne une musique en perpétuelle mutation, une transe spectrale qui échappe aux définitions et invite à une expérience sonore intense et sensorielle.
Article 15
Inspiré d’une expression née du chaos politique congolais, Article 15 est un duo explosif mêlant rap incisif et électro-transe brutale. Porté par Lova Lova, voix enragée de Kinshasa, et GriGri, maître des synthétiseurs distordus, leur musique électrise les foules tout en livrant un constat acéré sur les injustices et les dérives du monde. Entre critiques sociales percutantes et rythmes frénétiques, leurs morceaux capturent l’urgence et la tension des rues congolaises, créant un son radical, poussiéreux et insoumis, où l’énergie brute devient un exutoire irrésistible.
Califato
Califato dynamite les frontières musicales en mêlant flamenco, électro, punk, rap et dub dans une fusion radicale et hypnotique. Né dans l’underground sévillan, le groupe revendique une Andalousie populaire et insoumise, réinterprétant son héritage avec une énergie brute et contemporaine. Chantant en "Êttandâ pal andalûh", dialecte revisité, ils célèbrent un territoire hybride, entre mémoire et modernité. Sur scène, leur transe fiévreuse transcende les genres et invite à une communion explosive. Pour leur premier concert en France, c’est à Banlieues Bleues que Califato / déchaînera son maelström sonore.
Cécile McLorin Salvant
Artiste inclassable, Cécile McLorin Salvant transcende le jazz par une approche singulière mêlant tradition et audace. Récompensée par trois Grammy Awards, elle s’impose comme une voix unique, admirée par Archie Shepp et Wynton Marsalis. Puisant autant dans le jazz classique, le blues, la folk que dans ses racines haïtiennes, elle façonne un univers riche et narratif, inspiré du théâtre et du vaudeville. Son dernier album, porté par la légende de Mélusine, révèle une artiste exploratrice, chantant en français, créole et occitan, réinventant des classiques avec une liberté rare et une grâce intemporelle.
Joy Guidry
Avec Amen, son troisième album, la bassoniste Joy Guidry signe une œuvre intense et libératrice, où la musique devient un espace de transcendance et d’émancipation. Nourrie par son héritage gospel et son immersion dans la scène jazz expérimentale américaine, elle explore des territoires sonores à la croisée de l’avant-garde, de l’improvisation et de la performance. Revendiquée queer, elle fait de sa musique un acte de vérité, mêlant mots, notes déchirantes et nappes envoûtantes pour briser les carcans mentaux. Amen résonne comme une bande-son de survie et de liberté, minimaliste et radicale, bouleversante et nécessaire.
Jupiter & Okwess
Figure emblématique de Kinshasa, Jupiter Bokondji, surnommé le Général Rebelle, mêle depuis des décennies les sons urbains congolais aux influences funk, rock et latines dans son style unique, le bofenia rock. Révélé dans le documentaire "La Danse de Jupiter", il a su imposer son groupe Okwess sur les scènes internationales après avoir longtemps tenté de faire entendre sa musique hors du ghetto. Son dernier album, Ekoya ("ça viendra"), combine grooves explosifs et paroles incisives, dénonçant déforestation, inégalités et conflits. Entre engagement et rythmes percutants, Jupiter & Okwess font danser tout en éveillant les consciences.
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