Hommage à une œuvre pionnière du XXe siècle
Le bâtiment Nicolas-Beaujon, situé au 100 boulevard du Général-Leclerc à Clichy-la-Garenne, vient d’être officiellement labellisé Architecture contemporaine remarquable (ACR). Ce label, qui remplace depuis 2016 l’ancien dispositif "Patrimoine du XXe siècle", vise à identifier les constructions de moins de cent ans jugées emblématiques par leur valeur architecturale, technique ou urbaine. L'édifice, propriété de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), a reçu ce label pour une durée de 100 ans, conformément aux dispositions du Code du patrimoine.
La labellisation, effective dans le cadre de la campagne thématique sur la Métropole du Grand Paris, place cet hôpital aux côtés d'autres sites emblématiques tels que Robert-Debré (1987). Elle s’inscrit dans une dynamique de valorisation des grands équipements publics ayant participé à la structuration de la banlieue parisienne au XXe siècle.
Cette reconnaissance rend hommage à une œuvre emblématique de l’architecture hospitalière moderne, qui continue de susciter admiration et réflexion quant à son avenir. L’histoire de l’hôpital Beaujon s’inscrit désormais pleinement dans le patrimoine contemporain français.
Un modèle architectural visionnaire né d’un concours audacieux
Le bâtiment labellisé correspond à la construction d’un hôpital en hauteur, selon le modèle monobloc américain. Il se distingue par une réponse rigoureuse au programme hospitalier de l’époque, adoptant une organisation fonctionnelle par superposition des plateaux, avec blocs opératoires repoussés aux extrémités. Ce choix architectural marque une rupture avec le modèle pavillonnaire traditionnel.
Le concours d’architecture lancé en 1930 retient le projet porté par Jean Walter, en association avec Urbain Cassan et Louis Plousey. Jean Walter, désireux de faire construire par la SACI (Société anonyme de Constructions et d’Installations industrielles), dont il est actionnaire, s’associe à ces architectes expérimentés pour présenter une candidature conforme aux exigences réglementaires.
Le projet, fondé sur une structure en béton armé à poteaux-poutres, triomphe face à 14 concurrents. La construction s’étend de 1932 à 1935. L’établissement, d’une capacité de 1000 lits, reçoit ses premiers patients le 15 février 1935, après des travaux marqués par des dépassements budgétaires liés notamment aux fondations.
Une implantation stratégique, reflet de la métropolisation
Initialement implanté rue du Faubourg-Saint-Honoré (Paris 8e), l’hôpital Beaujon devient au fil du temps inadapté à l’évolution des besoins. Dès 1916, l’AP-HP acquiert un terrain de douze hectares à Clichy, entre Seine et axes routiers structurants, pour y reconstruire l’établissement. Cette implantation illustre le besoin croissant de désengorger Paris intra-muros en transférant les grands équipements publics en périphérie.
Ce choix traduit également l’interdépendance entre la ville-centre et la Petite Couronne, thématique centrale de la politique d’aménagement francilienne tout au long du XXe siècle. L’hôpital Beaujon devient alors un marqueur urbain dans le paysage de la banlieue nord.
Une composition architecturale pensée pour le soin
Le plan général de l’hôpital s’organise autour d’un axe nord-sud. L’entrée, les consultations et l’administration sont situées au nord, tandis que les hospitalisations occupent les ailes au sud, orientées vers la lumière. Des services techniques et logements de personnel sont relégués à la périphérie. L’accès principal est situé en sous-sol, accessible à pied ou en voiture grâce à deux rampes. Un garage souterrain peut accueillir cent véhicules.
La logique fonctionnelle repose sur la séparation stricte des circulations : patients, visiteurs, personnel et blessés graves empruntent des parcours différenciés. Les bâtiments d’accueil sont structurés autour de grandes salles d’attente en double hauteur, éclairées par des fenêtres hautes. Les malades sont ensuite dirigés selon leur état vers les salles d’examen, le retour à domicile ou l’hospitalisation.
Les étages d’hospitalisation présentent une organisation standardisée : chambres individuelles au sud, locaux techniques au nord, salles communes dans les ailes perpendiculaires avec balcons semi-circulaires. Chaque étage est dédié à une spécialité et codé par couleur pour faciliter l’orientation. Les derniers niveaux sont aménagés en terrasses-solarium pour les patients tuberculeux.
Un langage architectural affirmé
Extérieurement, l’édifice affiche un style rationaliste, caractéristique des années 1930. Les façades sont revêtues de briques rouges de Dizy (ville située dans la Marne dont la briqueterie a fermé en 1984), les volumes imbriqués et étagés offrent un jeu géométrique net, renforcé par l’élancement de la tour centrale (plus de 70 mètres). Les longues barres vitrées assurent un rythme horizontal que viennent rompre les cages d’escalier vitrées.
Le contraste entre les bâtiments bas de l’entrée et les ailes d’hospitalisation contribue à une composition monumentale. L’aspect pyramidal des terrasses, l’arrondi des balcons et la symétrie du plan participent à une monumentalité maîtrisée, malgré une extension postérieure en rupture architecturale (amphithéâtre universitaire des années 1970-80), jugée discordante avec l’entrée d’origine.
Un patrimoine hospitalier à reconsidérer
L’hôpital Beaujon s’inscrit dans un ensemble plus vaste de patrimoine hospitalier sous-évalué. En France, plus de 380 immeubles hospitaliers sont classés ou inscrits monuments historiques, dont 54 en Île-de-France. Seule une quinzaine est labellisée Architecture contemporaine remarquable.
Le label ACR permet de revaloriser ces constructions modernes souvent méconnues, tout en accompagnant leur reconversion dans le respect de leurs qualités architecturales. En 2025, dans le cadre de la fusion avec l’hôpital Bichat, la désaffectation de la partie historique de Beaujon est programmée. Aucune affectation n’a encore été définie pour l’avenir du bâtiment, mais des orientations devront être envisagées, notamment la restitution des balcons découpés pour y loger des escaliers de secours ou la suppression des ajouts dénaturants.
Jean Walter (1883-1957), formé à l’École spéciale d’architecture, fut un pionnier de la rationalisation du bâtiment en France, appliquée d’abord au logement social, puis à l’hôpital monobloc (Beaujon, Lille, faculté de médecine de Paris). Il théorise ses principes dans Renaissance de l’architecture médicale (1945).
Urbain Cassan (1890-1979), polytechnicien et diplômé des Beaux-Arts, travaille sur les gares, les hôpitaux, puis les bâtiments civils et universitaires (campus Jussieu, tour Maine-Montparnasse). Il occupe également des fonctions ministérielles dans l’après-guerre.
Louis Plousey (1880-1936), architecte de la Banque immobilière parisienne, s’illustre principalement dans le chantier de Beaujon, en association avec Cassan et Walter. Son œuvre reste attachée à cette réalisation avant sa mort prématurée.
Un héritage à préserver et transmettre
L’hôpital Beaujon constitue un jalon fondamental dans l’histoire de l’architecture hospitalière. Premier essai français d’hôpital monobloc à étages, il marque l’abandon définitif du modèle pavillonnaire. Il annonce également l’hôpital comme "centre de santé", technicisé, centralisé, rationalisé - bien avant les politiques de décongestion de la seconde moitié du XXe siècle.
La labellisation ACR vient couronner un édifice qui a su intégrer les préconisations ministérielles de 1929, notamment les circulations différenciées et la généralisation des chambres individuelles. Elle consacre aussi un bâtiment dont la valeur urbaine, esthétique et fonctionnelle reste intacte près d’un siècle après sa construction.
Sont labellisées au titre de l’ACR :
- Les façades et couvertures du bâtiment Nicolas-Beaujon (peignes hauts et bas, corps de liaison)
- La grande cage d’escalier centrale
- Sont exclues : les cages d’escalier de secours ajoutées hors œuvre et les extensions postérieures à 1935.
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