À l'occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, Dorothée CHAOUI-DERIEUX, conservatrice en chef du patrimoine au service régional de l'archéologie de la DRAC Île-de-France, a été choisie avec d’autres agents de l’État pour porter la Flamme Olympique. Sportive accomplie, Dorothée Chaoui-Derieux est également celle qui, au sein de la grande famille du chantier de Notre-Dame, a collecté les vestiges effondrés à la suite de l’incendie de la cathédrale et piloté les fouilles archéologiques menées dans la nef et sur le parvis, avec des découvertes majeures à la clé. En tant que porteuse de la Flamme Olympique, elle contribuera à mettre en lumière celles et ceux qui ont contribué à la renaissance de Notre-Dame depuis cinq ans.
Pouvez-vous nous décrire votre rôle en tant que conservatrice en chef du patrimoine ?
Dorothée CHAOUI-DERIEUX — Mon rôle principal est de coordonner toutes les opérations d’archéologie à Paris. Chaque conservateur est responsable d’un territoire spécifique, le mien étant Paris. Il existe deux types d’archéologie : préventive et programmée. L’archéologie préventive intervient lorsqu'il y a des travaux planifiés, tandis que l’archéologie programmée est réalisée uniquement à des fins de recherche, sans que le site soit menacé par des travaux. La majeure partie de notre activité concerne l’archéologie préventive.
Dorothée Chaoui-Derieux, conservatrice en chef du patrimoine au service régional de l'archéologie de la DRAC Île-de-France © Délégation interministérielle aux Jeux Olympiques et Paralympiques (DIJOP) - Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), Romain Guédé
Mon travail consiste à recevoir les projets d’aménagement, d’évaluer leur impact sur la conservation des niveaux archéologiques, de mettre en place les opérations d’archéologie préventive, de coordonner cela avec les opérateurs sur le terrain, et de suivre l’ensemble du processus. Cela inclut le contrôle scientifique et technique des opérations de fouille, depuis la prescription jusqu’à la remise du rapport final.
Quelles sont vos principales responsabilités et missions sur le chantier de Notre-Dame ?
Notre-Dame étant située à Paris, le dossier m’a été confié. Sur le chantier, j'ai eu la charge de deux missions principales. La première, sortant de notre cadre habituel, était de coordonner les opérations de tri et de prélèvement de tous les matériaux qui s'étaient effondrés au sol et sur les voûtes : la charpente, les blocs issus des voûtes effondrées, ainsi que tous les éléments métalliques. Cette coordination s'est faite en partenariat avec deux autres services du ministère de la Culture, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH).
Tri des bois brûlés de la charpente du bras sud du transept © C2RMF Alexis Komenda
Ma deuxième mission sur le chantier a été plus classique, consistant en un contrôle scientifique et technique des opérations de fouille. Dans le cadre du chantier de sécurisation et de restauration de la cathédrale, il a été nécessaire de terrasser à divers endroits : pour installer la grue, placer les transformateurs électriques, creuser des tranchées pour enfouir les réseaux, le chauffage, etc. À chaque fois, en collaboration avec les architectes en chef et l’établissement public Notre-Dame, il fallait évaluer si le projet envisagé pouvait avoir un impact archéologique. Dans la quasi-totalité des cas, la réponse était positive, et nous devions mettre en place des opérations très rapidement en raison des contraintes du calendrier.
Nous travaillons en lien étroit avec l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), l'opérateur unique pour Notre-Dame, suite à une loi du 29 juillet 2019 créant l’établissement public de Notre-Dame qui dispose, pour des raisons d’efficacité, que l'Inrap serait l'unique opérateur pour toutes les opérations de fouilles préventives.
Quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confrontée depuis le début des travaux de restauration ?
Le premier défi, que nous avons bien relevé, était de faire comprendre à tous les interlocuteurs sur le chantier, juste après l'incendie, que tous les matériaux effondrés n'étaient pas de simples gravats, mais qu'ils avaient une véritable valeur patrimoniale, historique et archéologique. Il fallait les considérer comme tels et les récupérer avec un protocole scientifique rigoureux, en documentant leur point de chute avec une méthode archéologique appropriée. Faire accepter cette idée de vestige a pris du temps, mais elle a finalement été intégrée dans le vocabulaire de tous.
Notre-Dame, tri des matériaux effondrés sur les voûtes dans les barnums installés sur le parvis © C2RMF Alexis Komenda
Nous avons pris un grand nombre de photos et avons mis en place un système d’orthophotographies, des captations prises grâce à huit capteurs installés sur les chapiteaux, pour documenter tout le travail de tri des éléments effondrés par des vues prises du dessus. Si nous ne traitions pas ces matériaux de manière scientifique, nous risquions de perdre à jamais une précieuse connaissance de la cathédrale.
L'autre défi a été de faire prendre conscience du potentiel archéologique et historique du site, et d'intégrer dans les pratiques du chantier la nécessaire intervention des archéologues avant tout terrassement. Il s'agissait de démontrer l'apport de l'archéologie pour la compréhension de l'édifice et d'intégrer l'archéologie dans toute la chaîne opératoire du chantier, ce qui a été une belle réussite.
Pouvez-vous nous parler de certaines des découvertes ou des moments marquants que vous avez vécus sur le chantier ?
Au tout début des opérations de tri, nous étions entre cinq et dix personnes au maximum dans la cathédrale. À la croisée, où la flèche s'était effondrée, l'espace était à ciel ouvert, ce qui créait une grande luminosité dans un silence relatif, rendant ces moments très particuliers. D'un point de vue scientifique, il y a eu de nombreuses découvertes marquantes. L'expérience du tri en elle-même était très impressionnante, même si elle ne se résume pas à un jour en particulier. Nous avions improvisé une table de tri avec une planche sur des palettes, et nous avions des centaines de sacs remplis de morceaux de charbon, parfois de bois, de métal ou de pierre. Nous avions littéralement les mains dans la cathédrale. C'est cette accumulation de journées passées à trier qui nous a fait ressentir le privilège incroyable de pouvoir approcher de si près la matérialité de la cathédrale.
Notre-Dame, tri des matériaux effondrés sur les voûtes dans les barnums installés sur le parvis © C2RMF Alexis Komenda
Les fouilles menées par l'Inrap ont également été marquantes, notamment avec la découverte du jubé et de certaines têtes sculptées qui ont été trouvées les yeux tournés vers le ciel, face à nous, avec une polychromie très bien conservée. Ces moments étaient renforcés par le magnifique bleu des yeux qui semblaient réellement nous regarder.
Pour quelles raisons avez-vous fait les démarches pour porter la Flamme Olympique ?
Dorothée Chaoui-Derieux et Béatrice Bouet (DRAC/Service régionale de l'archéologie, SRA), après une session de tri © C2RMF Alexis Komenda
Tout simplement parce que j'ai toujours aimé le sport. Je suis constamment les Jeux Olympiques de près. J'ai moi-même pratiqué le badminton de mes 13 ans jusqu'à la naissance de mon premier enfant, à 30 ans. J'en faisais au collège et au lycée, puis en club, et j'ai participé à de nombreuses compétitions par équipe au niveau régional et parfois national. Lorsque j'étais à la faculté, j'ai également joué en équipe et participé plusieurs fois aux championnats de France universitaires.
Que représente le port de la Flamme Olympique pour vous ?
C'est un grand privilège, et je me sens très chanceuse de pouvoir le faire. J'ai postulé en me disant que ce serait une expérience formidable. Ce qui me plaît particulièrement, c'est le côté collectif du port de la Flamme. On s'inscrit dans un grand relais : ce n'est pas juste moi qui porte la Flamme, mais un véritable collectif qui partage cette expérience, tant entre les porteurs de la Flamme qu'avec le public présent.
Comment vous préparez-vous pour cet événement symbolique ?
Il y a 182 représentants de l'État porteurs de la Flamme, et parmi eux, nous sommes dix à avoir été spécifiquement choisis en raison de nos parcours variés pour illustrer les différents métiers de la fonction publique. De ce groupe de dix personnes, un groupe de discussion s'est formé, et chaque semaine, l'un de nous porte la Flamme et partage des vidéos et des photos de son passage. Il n'y a pas de préparation physique particulière, mais un vrai partage d’émotion à travers les témoignages et les expériences partagées par les différents acteurs de cet événement.
© Delphine Syvilay, Laboratoire de Recherche des Monuments historiques (LRMH)
Quel message souhaitez-vous transmettre en portant la Flamme Olympique, notamment en tant que conservatrice du patrimoine travaillant dans le patrimoine culturel ?
Au moment de postuler, j'avais fait un parallèle entre mes missions et ce relais. Mon métier de conservatrice du patrimoine consiste à sauvegarder et recevoir un patrimoine pour le transmettre aux générations actuelles et futures. Cela correspond parfaitement à la symbolique du relais de la flamme, que l'on reçoit et transmet ensuite dans une approche collective.
"Reconstruire ensemble"
Ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques © Gouvernement
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