Le Fil organise la seconde édition de son Cycle de lectures / performances suivies de tables rondes - Les Violences faites aux Femmes. La manifestation, déclinée en huit actes, se déroule du mois d’octobre jusqu'au 10 décembre au Théâtre La Boutonnière à Paris (11e). Des discussions et échanges mettent en lumière les violences et mécanismes de domination que subissent, encore aujourd’hui, les femmes. De nombreux thèmes abordés qui sont autant de portes d’entrée sur des réflexions diverses.
Deux dimanches par mois, Le Fil organise une séance déclinée en deux temps
Le premier temps traite des violences faites aux femmes par le biais de la littérature, avec la lecture d’ouvrages, pièces de théâtre, poésies, romans, essais, témoignages ou par le biais de la performance artistique. Le second temps interroge la place des femmes dans nos sociétés à travers une table ronde répondant à une thématique, composée d'artistes, de chercheuses, de journalistes, de sportives, d'historiennes et de personnalités de la société civile,... et qui se terminera par une interaction avec le public.
Ce cycle se veut un laboratoire à bouger les consciences avec bienveillance. Son ambition : mêler les profils, favoriser les rencontres entre les générations, proposer un temps d’échange entre femmes ayant subies des violences avec des théoriciennes de la pensée féministe, faire dialoguer les disciplines autour de mêmes questionnements afin de croiser les regards et nourrir le débat. Si la première édition a privilégié un dialogue entre littérature et tables rondes, aujourd’hui Le Fil souhaite également intégrer d’autres formes d’expression artistiques.
Rencontre avec Cécile Lehn et Pénélope Boissonnet
Cécile Lehn et Pénélope Boissonnet, porteuses du projet "Les Violences faites aux Femmes - Cycle de Lectures / Performances suivies de Tables Rondes © Cécile Lehn
Racontez-nous la genèse du projet de cycle de lecture ?
Le confinement du printemps 2020 nous a tous marqués. La singularité de l’événement nous a ramenés à des périodes de l’histoire que nous croyions résolues. La constatation de notre fragilité malgré nos prouesses techniques. Les faiblesses d’une organisation sociétale construite sur plusieurs millénaires. Une nature fragilisée, perturbée dans son équilibre nous apportant son lot d’incertitudes. Des violences préexistantes et mises en exergue pendant ces mois d’isolement. Au sortir de cette période, les membres de l’association Le Fil ont souhaité plus que jamais défendre l’art du partage, de la convivialité et du débat et proposer un temps de réflexion et d’échange au théâtre La Boutonnière.
"nous devons toutes et tous nous retrousser les manches pour faire bouger les lignes"
Étant donné la place que prend aujourd’hui la question des féminins dans nos sociétés modernes, l’équipe du Fil souhaite dénoncer le quotidien de nombreuses femmes dans nos sociétés encore patriarcales où la domination de l’homme et l’aliénation de la femme font encore partie du paysage.
De toutes ces réflexions collectives est né le premier Cycle de Lectures suivies de Tables Rondes - les Violences faites aux Femmes porté par Cécile Lehn et Hala Alabdalla, avec l’aide de Pénélope Boissonnet, réunissant autrices, actrices, réalisatrices, historiennes, sociologues, philosophes, personnalités médiatiques, politiques, psychologues, scientifiques et victimes, toutes répondant à ce souhait : un temps de partage culturel et intellectuel ayant pour visée la compréhension d’un processus d’exclusion et définir les moyens d’actions utiles à la lutte contre cette forme de violence.
Ce premier cycle a prouvé qu’il était urgent d’aborder les questions des violences faites aux femmes et des inégalités Femmes / hommes. Des témoignages bouleversants. Des remises en question aussi bien individuelles que collectives. Et cette réalité : aujourd’hui encore, nous devons toutes et tous nous retrousser les manches pour faire bouger les lignes.
C’est pourquoi, nous avons décidé d'organiser une seconde édition.
La DRAC Île-de-France accompagne et soutient votre projet depuis 2 ans sous le Label ALLIANCE Diversité et Égalité. En quoi cette aide de l’État est-elle importante ? Comment se traduit-elle ?
La première édition de ce cycle a été conçue au sortir du premier confinement et sa présentation prévue à l’automne 2020. Les participations étaient bénévoles. Organisatrices, actrices, modératrices et invitées apportaient le fruit de leur travail gratuitement, comme un engagement à lutter contre les violences sexistes. La fermeture des théâtres, liée au Covid, nous a amené à reporter l'événement pour l’automne 2021. Pendant ce temps suspendu, une question nous est apparue : "Pourquoi serait-il normal que le travail des femme, surtout s’il questionne les violences à leur encontre, ne soit pas rémunéré ?" En 2020, The New York Times relaie une étude d’Oxfam informant que la valeur du travail non rémunéré effectué par les femmes à l’échelle mondiale est estimée à 10 900 000 000 000 de dollars, soit plus que les revenus annuels cumulés des 50 plus grandes entreprises de la liste Fortune Global 500. N’est-il pas contradictoire de lutter contre ces violences sans rémunérer les participantes de ce projet ? Nous nous sommes alors rapprochées des institutions, notamment la DRAC qui nous a écouté et soutenu dans cette idée.
Outre le soutien financier, nous sommes extrêmement reconnaissantes d’avoir trouver, au sein de l’équipe de la DRAC Ile-de-France, un intérêt, une écoute et des conseils avisés.
"la littérature et l’art nous semblent des vecteurs essentiels pour l’évolution des consciences"
Pourquoi lier ce sujet des VHSS aux domaines de la littérature et des arts ?
À travers ce projet, Le Fil initie une approche artistique, littéraire et citoyenne qu’il a à cœur de défendre : l’écoute partagée de textes littéraires de diverses formes et la découvertes de performances artistiques, autour d’un thème, générant un temps de réflexion, de débats et d’échanges sous forme de tables rondes. Cette démarche a pour ambition de mettre en perspective nos sociétés modernes et la création artistique et littéraire. L'essor croissant des antagonismes autour des questions autour des inégalités F/H et des violences à l’encontre des femmes nous amène d’ailleurs à penser qu’il est d’autant plus le temps d’agir et la littérature et l’art nous semblent des vecteurs essentiels pour l’évolution des consciences.
Quels sont vos principaux partenaires ?
Le Théâtre La Boutonnière accueille et soutient nos projets depuis notre création.
Depuis le premier cycle, nous sommes soutenues par la DRAC Île-de-France. Dès 2021, nous avons trouvé auprès de leur service une écoute et un encouragement. En novembre 2021, elle nous a proposé de créer un projet destiné à la Journée Internationale de Lutte contre les Violences faites aux Femmes, ce qui nous a permis de construire une performance pluridisciplinaire alliant audiovisuelle, art plastique, musique, danse et débat, Voies de Femmes.
D’autres soutiens ont permis la réalisation de ce cycle tels que la Région Ile-de-France et, nous venons de l’apprendre, la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris.
Nous avons reçu pour cette deuxième édition le double label Génération Égalité Voices / ONU Femmes France 2023.
Enfin, nous nous sommes rapprochées d’Arte pour leur présenter ce projet. Cela nous paraissait pertinent étant donné les captations audiovisuelles des cycles réalisées. Malgré le retour favorable de la chaîne, les délais de temps pour la construction d’un partenariat se sont avérés trop courts. Toutefois, nous envisageons de réaliser un film documentaire qui partiraient de ces captations et de proposer ce projet aux chaînes de télévision.
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Les difficultés que nous rencontrons restent liées au fait que nous ne sommes que deux à porter l’ensemble des projets de l’association Le Fil. Nous ne sommes que deux à prendre ce cycle en main : la construction globale du programme, les recherches de financement et de partenariat, la gestion globale, la communication, ….
Pour cette 2e édition, parlez-nous des sujets abordés et des intervenants ? Et du public ?
Le programme du cycle a été construit selon plusieurs lignes directrices.
La représentation de différents continents : l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie, l’Europe, les États-Unis que ce soit à travers la littérature ou les tables rondes.
La variété des thèmes abordés avec des tables rondes telles que Les discriminations sexistes dans l'art ; les violences faites aux femmes à travers les institutions et une constitution propice à leur disparition ; le travail du sexe ; le corps des femmes ; l'économie ; Les religions du livre ; Les mouvements féministes en Chine.
"la volonté d’inviter des profils différents"
Une représentation intergénérationnelle parmi les artistes et les invités des tables rondes. Au cours du premier cycle, nous avons constaté des différences de regards sur les inégalités F /H et les violences faites aux femmes entre les générations. Il nous a semblé particulièrement intéressant de confronter ces points de vue et de pouvoir en débattre toutes et tous ensemble.
Carolina Cerda-Guzman © Carolina Cerda-Guzman et Inès Geoffroy © Inès Segond-Chemaï
La volonté d’inviter des profils différents pour permettre un dialogue entre savoirs, expertises, expériences et intuitions. Pour citer un exemple, le dimanche 29 octobre, la sociologue Nadia Leïla Aïssaoui modérera la table ronde sur le corps des femmes qui réunira Marianne Stanney, sage-femme coordinatrice des Centres de santé sexuelle de la Ville de Paris, Christelle Taraud, historienne et autrice de Féminicides - Une histoire mondiale, Asal Beygloo, réfugiée iranienne, étudiante en Design Textile et Matière au sein de l'École nationale supérieure des Arts Décoratifs, Khoudièdji alias Tjiki Sidibé, championne d'Europe et vice championne du monde de Bodyfitness.
Morgane Baffier © Ph. Lebruman et Ysanis Padonou © Jean-Louis Fernandez
Sur les autres séances, nous accueillons la journaliste, chercheuse et co-présidente de l'Association des Journalistes LGBTI, Ingrid Therwath, le travailleur du sexe et porte-parole du Strass, Amar Protesta, Giovanna Rincon, co-fondatrice et directrice d' Acceptess-T, vice-présidente du Corevih Nord IDF et membre du conseil administratif de Sidaction, l’économiste Rebeca Gomez-Betancourt, Lucile Peytavin, historienne et essayiste, autrice de Le coût de la virilité. Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes.
Isabelle Guérin © Isabelle Guérin et Lucille Peytavin © Cécile Nieszawer
la socio-économiste Isabelle Guérin, Bérénice Hamidi, professeure en esthétiques et politiques des arts vivants, Anne Creissels, historienne de l'art et artiste dans le champ de la performance, Sophie Bessis, historienne, militante des droits des femmes, l’essayiste et journaliste, militante féministe chrétienne et candidate à l'Archevêché de Lyon en 2020, Anne Soupa, Pauline Bebe, première rabbin à exercer en France, fondatrice de la Communauté Juive Libérale, l’islamologue et président de la Fondation de l'Islam de France, Ghaleb Bencheikh, Inès Geoffroy, curatrice et cheffe de projet dans le cadre d'expositions au Parc et à la Grande Halle de la Villette, May Bouhada, autrice, réalisatrice, femme politique, militante écologiste et féministe, la militante politique et féministe, ex-députée à l'Assemblée Constituante Tunisienne, Nadia Chaabane, Carolina Cerda-Guzman, spécialiste de droit constitutionnel français et latino-américain, Christine Marétheu, responsable point de contact d'information du programme CERV - Cidem.org, l’anthropologue et sinologue Catherine Capdeville-Zeng, la metteuse en scène et militante féministe, Mylène Bonnet.
Mylène Bonnet © Perrine Bonnet et Vinciane Mandrin © Vinciane Mandrin
La première édition du cycle, qui s’est déroulée en 2021, a proposé une séance consacrée à la Maison des Femmes de Saint-Denis. Des femmes en parcours de soins et qui fréquentaient l’atelier théâtre dirigé par la réalisatrice Nadine Naous, avaient offert au public des témoignages bouleversants. La seconde édition proposait à nouveau l’intervention d’un groupe de femmes de l’atelier de Nadine Naous. Mais se réparer physiquement et psychologiquement prend du temps. L’exposition sur un plateau peut s’avérer libérateur ou au contraire impossible, selon l’étape du processus de résilience. C’est pourquoi, Nadine Naous a dû renoncer à la présence d’un nouveau groupe à ce cycle, à notre grand regret.
Notre rêve, avoir un public aussi diversifié que le sont nos participants et participantes.
C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour une tarification libre avec un prix suggéré de 10€.
Nous nous rapprochons de services sociaux, associations œuvrant dans la parentalité, auprès de femmes victimes de violences ou d’hommes violents, auprès de migrants, associations LGBTQI+, associations étudiantes…
Par cette parole donnée et transmise par la littérature et l’art, avez-vous pu déjà constater des changements dans les comportements, des "libertés qui avancent, des émancipations gagnées", ou des vrais espoirs pour enfin gagner contre cette violence faite aux Femmes ? (Les chiffres sont tellement vertigineux)
Nous parlons souvent de trois vagues dans le féminisme occidental. La première débute avec la révolution industrielle. Les femmes se battent pour le droit à être reconnues comme citoyennes par l’accès au suffrage, leur droit à l’émancipation en ayant accès au travail, à l’éducation, à l’université et aux grandes écoles. Songeons que ce n’est qu’à partir de 1965, qu’une femme mariée peut ouvrir un compte bancaire personnel..
"une jeunesse au regard beaucoup plus aiguisé sur ces violences"
La seconde vague qui se développe autour des années 70, se penche davantage sur les inégalités femmes / hommes. On y voit apparaître les notions de sexisme et de patriarcat. La domination masculine est dénoncée. Le féminisme se penche davantage sur la sphère privée avec des revendications autour d’une meilleure répartition des tâches, le droit à une sexualité épanouie et libre, le souhait de choisir ses grossesses. Les violences domestiques commencent à être dénoncées… Cette vague va donner naissance à de nouveaux domaines d’études pour la science comme en sociologie, en économie,...
Et la troisième vague qui se développe autour des années 90. Elle se caractérise par plusieurs courants et par ce que l’on appelle l’intersectionnalité. Les questions de races, classes sociales, sexes, genres, orientations sexuelles sont abordées. Le harcèlement sexuel, les violences domestiques, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, la représentation des corps… sont des questions omniprésentes.
La question, "Avons-nous déjà constaté des changements dans les comportements ?" nous amène à nous poser la question, "Avons-nous obtenu l’égalité dans les tâches ménagères, revendications déjà présentes dans les années 70 ? Les femmes ont-elles les mêmes droits à une carrière que les hommes ?" Encore aujourd’hui, de nombreuses femmes doivent s’arrêter de travailler parce que leurs enfants nécessitent des soins particuliers. Et cela reste normal, évident. Alors quid de leur indépendance financière ? Quid de leur retraite ? Et pourtant, certains hommes prennent de plus en plus leur part, même si l’évolution prend du temps.
"au 2 octobre 2023, 97 féminicides"
Certaines personnes nous ont questionnées sur le choix d’aborder les inégalités F / H au cours d’un cycle traitant de violences à l’encontre des femmes. Si nous partons du postulat que ces inégalités sont des violences et les résultantes, comme les féminicides et autres formes de violences, d’une société construite sur une domination masculine, ce choix semble complètement légitime.
La dénonciation des violences sexistes et sexuelles a pris encore plus d’essor après la vague MeToo. Des associations artistiques et culturelles se sont emparées de ce sujet. L’art et la littérature sont des vecteurs essentiels pour lutter contre les stéréotypes de genre et le patriarcat car ils font bouger les consciences. Nous voyons une jeunesse au regard beaucoup plus aiguisé sur ces violences que notre génération. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons souhaité leur laisser une place importante dans ce cycle. Mais ne nous leurrons pas, lutter contre ces violences, fruit d’une culture de domination transmise depuis des millénaires, prend du temps. Et bien évidemment, il y a ce chiffre alarmant. Le collectif Noustoutes.org recense au 2 octobre 2023, 97 féminicides.
Que les institutions, depuis quelques années, prennent conscience de ces sujets, et mettent en place, progressivement, des dispositifs pour lutter contre ces violences est une première victoire. Les choses avancent. Lentement. Mais nous observons, en miroir à ce soulèvement international des femmes, un mouvement masculiniste et une volonté radicale de priver à nouveau les femmes de leurs droits. Ce phénomène n’a rien de nouveau comme le mentionne l’historienne Christelle Taraud qui sera présente à la table ronde du 29 octobre. Historiquement, chaque mouvement d’émancipation des femmes s’est accompagné par l’émergence d’un mouvement contraire. D’où notre question : "De quoi les hommes ont-ils peur ?"
De toutes les façons, quelles que soient les disciplines, il faut continuer à se retrousser les manches car le chemin est encore long.
A télécharger : Programme du cycle de lectures / performances suivies de tables rondes
Image d'accroche "Laboratoire de contreperformance" © Laboratoire de la contrepreformance
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