C’est avec une immense tristesse que j’ai appris le décès de M. Bernard PIVOT, ce lundi 6 mai 2024, à l’âge de 89 ans.
Lunettes sur le bout du nez, sourire en coin et toujours un livre à la main, il avait fait de nos vendredis soir une fête de l’esprit et de la littérature. Journaliste et homme de télévision, fondateur du magazine Lire et ancien président de l’Académie Goncourt, il fit aimer la lecture et les écrivains à des millions de Français.
Aujourd’hui, ce sont les mêmes souvenirs qui nous reviennent. L’atmosphère recueillie et en même temps gourmande de ces soirées passées devant ce que l’on appelait alors le « poste de télévision ». L’élégance de Jean d’Ormesson et la finesse de Marguerite Yourcenar. Les voix étonnantes de Françoise Sagan et de Patrick Modiano. John Le Carré venu raconter ses espions qui venaient du froid, Albert Cohen parlant de Pagnol et de Solal, Vladimir Nabokov s’exprimant dans un français parfait. Ce sont encore les jeux de mots virtuoses auxquels se livrent Claude Hagège et Raymond Devos, mais aussi le questionnaire de Proust et la fameuse « dictée de Pivot ». C’est Alexandre Soljenitsyne témoignant des atrocités du goulag, Simon Leys venu dénoncer les crimes du maoïsme, et c’est aussi Denise Bombardier, implacable et digne face à Gabriel Matzneff, contre l’indulgence et la complaisance. Pendant plus d’un quart de siècle, les émissions de Bernard PIVOT ont joué un rôle de premier plan pour la scène française des livres. Elles font désormais partie de notre mémoire collective, mais aussi de l’histoire littéraire.
Né en 1935, M. Bernard PIVOT avait grandi entre Lyon et les monts du Beaujolais dans une famille de petits commerçants. Très attaché à ses racines lyonnaises, il fut un grand passionné de football, de bons vins et de gastronomie qui plaçait très haut les plaisirs de la vie. Son épicurisme se retrouvait dans son goût des mots, qu’il aimait d’abord pour leur capacité à rapprocher les êtres. La culture n’était jamais aussi délicieuse que lorsqu’elle était partagée.
Le baccalauréat en poche, M. Bernard PIVOT avait rejoint le Centre de formation des journalistes, où il avait rencontré son épouse Monique, la mère de ses deux filles, Agnès et Cécile. En 1958, il était engagé au Figaro littéraire, chargé de couvrir la vie des lettres et le monde de l’édition en tant que « courriériste », selon le mot qu’il employait lui-même, non sans malice, pour se dépeindre en jeune Rubempré faisant en même temps son apprentissage du journalisme et du Paris littéraire. La presse écrite resta une passion toute sa vie pour celui qui serait plus tard patron du magazine Lire, qu’il avait cofondé avec Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1975, mais également chroniqueur et éditorialiste dans plusieurs journaux.
Mais c’est par la télévision que M. Bernard PIVOT était entré dans la vie des Français. Après ses débuts dans « Ouvrez les guillemets » sur la première chaîne de l’ORTF, de 1973 à 1974, il lança « Apostrophes » en 1975 sur Antenne 2. Il réunit alors des millions de téléspectateurs chaque semaine, qui s’attachèrent à un journaliste aussi chaleureux que curieux, plein d’humour avec les autres et d’ironie sur lui-même. Avec « Apostrophes » puis plus tard « Bouillon de culture », émissions dont on disait qu’elles pouvaient changer le destin d’un livre en librairie, M. Bernard PIVOT a été le grand pionnier de la présence de la littérature à la télévision française.
Elu en 2005 au premier couvert de l’Académie Goncourt, président du jury en 2014 jusqu’en 2019, M. Bernard PIVOT continua de porter la cause des livres après son retrait de la télévision. Figure familière des Français, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il restera pour nous cet infatigable passeur qui nous apprit que la lecture était l’un des plus grands plaisirs de la vie.
J’adresse toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.
Rachida DATI,
Ministre de la Culture