Discours de Mme Rachida DATI, ministre de la Culture Printemps de Bourges Bourges, vendredi 26 avril 2024 - Seul le prononcé fait foi - |
Monsieur le Préfet, Cher Maurice BARATE,
Messieurs les Députés, cher François CORMIER-BOULIGEON, cher Loïc KERVRAN,
Madame la sénatrice, chère Marie-Pierre RICHER,
Monsieur le sénateur, cher Rémy POINTEREAU,
Monsieur le Président du Conseil régional de la région Centre - Val de Loire, cher François BONNEAU,
Monsieur le Président du Conseil départemental du Cher, cher Jacques FLEURY,
Monsieur le Maire, Cher Yann GALUT,
Madame la présidente de la communauté d’agglomération Bourges Plus, chère Irène FÉLIX,
Monsieur le président de l’association des maires du Cher, cher Philippe MOISSON,
Monsieur le président de l’association des maires ruraux du Cher, cher Denis DURAND,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Président et Monsieur le Directeur général du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, Cher Gérard PONT, cher Boris VEDEL,
Monsieur le Président du Centre national de la musique, Cher Jean-Philippe THIELLAY,
Monsieur le Directeur général de la création artistique, Cher Christopher MILES,
Madame la Directrice régionale des Affaires culturelles de la région Centre - Val de Loire, Chère Christine DIACON,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis ravie d’être ici, à Bourges, pour évoquer avec vous les grandes lignes de mon action pour la musique.
C’était bien sûr important pour moi de le faire devant vous, qui faites vivre la musique dans notre pays, sans distinction entre les différentes esthétiques ou les différents modèles économiques.
Et outre les habitués du Printemps, je veux saluer aussi les acteurs du phono qui nous ont rejoints.
Il faut dire que le Printemps de Bourges a une saveur toute particulière cette année avec la désignation de Bourges comme capitale européenne de la Culture pour 2028. J’en profite pour féliciter encore Monsieur le Maire, Yann GALUT, et tous les Berruyers pour ce magnifique succès.
Si je voulais parler politique de la musique aujourd’hui, c’est aussi parce que j’avais été surprise il y a quelques mois, à mon arrivée Rue de Valois, de certaines réponses à mes questions. Je demandais quels étaient les grands principes qui guidaient notre politique publique en la matière et on me répondait en général par un silence un peu gêné…
J’ai vite compris que cela tient en partie à une singularité de la filière musicale : c’est d’être très hétérogène, avec des logiques de séparation plus ou moins claires, plus ou moins assumées.
Il y aurait le live d’un côté, le phono de l’autre. Il y aurait le classique et les musiques actuelles. Il y aurait le très subventionné et le pas subventionné du tout.
Et si par-dessus tout ça vous ajoutez des organisations professionnelles nombreuses, comme les organismes de gestion collective, vous percevez difficilement une ligne structurante.
Pourtant je veux le dire ici très clairement : il y a bien une filière musicale.
Elle va du compositeur à l’interprète, du producteur à l’éditeur, du disquaire à la plateforme de streaming, jusqu’aux salles de concerts, aux clubs et aux discothèques et, bien sûr, aux festivals.
Sur le plan économique, c’est aussi un secteur qui implique 300 000 personnes et qui représente une vraie richesse pour notre pays : près de 9 milliards d’euros en tout.
C’est aussi un domaine artistique qui multiplie les réussites. En 2023, le nombre d’albums et de titres produits en France et certifiés argent, or ou platine, atteint des niveaux records. Je pense à Ofenbach, à Soolking, à Gazo, à Tiakola, à Sofiane Pamart, et évidemment à Aya Nakamura ! Ce sont d’énormes cartons à l’international !
Il y a de quoi de quoi être fier, et vous pouvez l’être : c’est aussi le résultat de votre engagement collectif.
Et je vous le dis : le ministère de la Culture et son opérateur, le Centre national de la musique, ne vont pas cesser de se battre à vos côtés, pour continuer à gagner des parts de marché et pour continuer à être présents dans les festivals du monde entier.
Parce qu’on sait bien que c’est un gros enjeu d’équilibre économique pour beaucoup de domaines esthétiques, pour l’électro, le classique, le rap, la chanson. Et aussi parce que c’est un enjeu de souveraineté culturelle pour notre pays, qui est confronté à la rude concurrence américaine, britannique mais aussi japonaise et sud-coréenne.
Et nous allons continuer de le faire parce que nous sommes dans un moment d’union des forces de la filière musicale. Et parce que nous nous en donnons les moyens.
Les discussions sur la contribution des plateformes de streaming sont désormais derrière nous. Le débat a été tranché. Et d’abord parce que cela permet de consolider le financement du Centre national de la musique, qui peut renforcer sa mission au service de toute la filière et de sa structuration. La réforme des aides du CNM est engagée. Comme vous, je souhaite qu’elle soit équilibrée et prenne en compte les préoccupations de l’ensemble de la chaîne de valeur et de la chaine artistique.
Je pense tout particulièrement aux producteurs. Leur rôle doit être mieux reconnu : c’est grâce à eux et à leurs entreprises que des artistes, émergents et reconnus, se développent, et que l’ensemble du secteur progresse.
Se donner les moyens c’est aussi prolonger les crédits d’impôt. Nous venons de le faire, jusqu’à fin 2027. On vous donne ainsi toute la visibilité possible pour renforcer encore vos investissements au service de la diversité de la création et des nouveaux talents.
Ce mouvement doit innerver les territoires. Déjà, face aux coupes budgétaires du début d’année, j’ai fait le choix de préserver les crédits déconcentrés pour le spectacle vivant, et notamment pour la musique.
J’ai aussi le plaisir de vous annoncer que plus de 22 millions d’euros vont être versés pour la création et sur les territoires, dans le cadre du plan « Mieux Produire Mieux Diffuser ». L’idée est celle d’un partenariat entre l’Etat et les collectivités territoriales : le ministère a décidé d’allouer 8,6 millions, et a suscité un engagement de 13,5 millions des collectivités. Je me réjouis de voir que, par la coopération, c’est la création qui gagne !
Je crois aussi profondément dans la force de frappe de nos 92 Scènes de Musiques Actuelles. Elles sont fondamentales pour que la musique soit accessible à tous, et dans l’ensemble du territoire. Plus d’un quart des SMAC se situent en zone rurale !
Comme vous le savez, l’État s’est mobilisé pour augmenter son soutien de 30%, avec une hausse de sa dotation de plus de 3M€. Je sais que l'équilibre économique reste fragile. Je sais aussi que leur rôle pour accompagner des jeunes talents est essentiel. Et je veux saluer leur ouverture à une diversité de musiques : plus de 45% de la programmation des SMAC est consacré à la pop, aux musiques électroniques, et au hip-hop. Pour moi, ce travail de valorisation de toutes les cultures, de la culture populaire, c’est une priorité.
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Mesdames et Messieurs, j’ai parlé du défi économique et ce n’est pas le seul pour la filière. Des alertes préoccupantes sur la liberté de création, aux bouleversements numériques et écologiques : nous faisons tous face à de multiples tensions. Et il faut pouvoir mener de front les transitions qu’elles appellent.
Alors que la saison des festivals démarre, je veux vous dire à tous que je sais vos difficultés. Je pense à l’application technique du décret « son » concernant les manifestations en plein air, et cela n’est pas simple. Je pense aux festivals qui pourraient faire appel aux forces de sécurité publiques alors qu’elles seront en forte tension avec les Jeux Olympiques. Nous sommes extrêmement vigilants et vous pouvez compter sur moi pour me rapprocher du ministère de l’intérieur à chaque fois que nécessaire.
Un autre défi que nous avons tous en tête, je crois, c’est l’intelligence artificielle.
Sur ce point, je suis très claire. Le droit d’auteur, c’est l’horizon indépassable de notre modèle culturel depuis plus de 200 ans, et je ne vois pas en quoi on pourrait opposer « défense du droit d’auteur » et « innovation ».
Si on prend un tout petit peu de recul, on voit que le droit d’auteur a réussi à accompagner toutes les innovations technologiques depuis 200 ans, et clairement il y en a eu un certain nombre depuis Mozart !
Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec l’IA. En tous cas, vous pouvez compter sur moi pour y veiller !
D’ailleurs j’ai des raisons d’être optimiste. L'IA Act voté au Parlement européen permet de consacrer le principe de transparence, parce que cela ouvre la porte à la juste rémunération des contenus culturels.
Au niveau français, le rapport sur l’IA qui a été remis au Président de la République en mars dernier donne aussi toute sa place à la question du droit d’auteur. Dans la continuité, j'ai d’ailleurs souhaité que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique prenne en charge deux missions : la première pour une mise en œuvre efficace du principe de transparence, la seconde pour réfléchir à des modèles de rémunération des contenus culturels utilisés par les systèmes d’IA.
Nous n’en avons pas fini avec ce sujet majeur pour la culture, et ce sera encore au programme du prochain sommet sur l’IA organisé à Paris par le Président de la République, avec notamment une grande séquence sur les enjeux de transparence et de responsabilité.
Et puisque j’ai entendu vos craintes sur les enjeux de rémunération liés aux droits : soyez assurés que je m’opposerai fermement à toute tentative de fragilisation de la copie privée. J’ai également bien conscience des conséquences désastreuses de l’arrêt RAAP pour l’action culturelle des OGC de droits voisins. Ce sont près de 25 M€ qui sont « gelés » chaque année depuis septembre 2020 et qui manquent au soutien des professionnels. Comme vous le savez, la France n’est pas seule décisionnaire dans ce dossier. Les élections européennes vont dessiner un nouveau paysage institutionnel au Parlement et à la Commission. Vous pouvez compter sur moi pour mener ce combat aussi loin que possible. Et je sais pouvoir compter sur vous pour qu’un consensus européen émerge.
A l’évocation des transitions numériques à mener : je veux vous dire un mot concernant la réforme de l’audiovisuel public. Je tiens absolument à vous rassurer : elle ne changera rien pour la place de la musique sur le service public.
On pourrait même dire le contraire : si je veux absolument que l’audiovisuel public se regroupe, c’est justement car je souhaite qu’il dispose des moyens de l’ambition que nous souhaitons fixer. Cela passe par un mode de financement pérenne et qui lui permette de se projeter, pour préserver son rôle central de soutien à la création française. Cela allait sans dire, mais ça va mieux en le disant !
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Une autre transition qui est tout aussi indispensable et qui s’impose à nous comme à toute la société dans son ensemble, c’est celle provoquée par le changement climatique.
Là encore, l’exigence de décarbonation n’est pas une mince affaire, mais elle est non négociable. Pour autant, je crois qu’on a vraiment de quoi se réjouir quand on voit tout le monde réagir, et surtout réagir ensemble, dans une logique de mutualisation et d’entraide.
L’urgence aujourd’hui, c’est d’abord de mesurer les impacts par la collecte de données et la réalisation de bilans carbone, et c’est ensuite de mettre en place des stratégies concrètes pour faire baisser les émissions. C’est exactement ce qui est en train de se faire avec la mise en place de référentiels qui peuvent servir à tout un secteur. Je pense à ce qui est fait avec le projet « DECLIC - décarbonons le live collectivement » porté par la Fédération des lieux de musiques actuelles et le Syndicat des Musiques Actuelles, notamment pour tout le réseau des SMAC, avec le financement des fonds d’Alternative Verte. Même chose dans la musique enregistrée pour l’étude REC « Réduisons notre empreinte carbone », portée par le CNM en partenariat avec plusieurs organisations professionnelles.
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Accompagner tous les acteurs, c’est enfin s’intéresser à ceux qui sont en première ligne pour vivre toutes ces transitions à venir. Je veux parler des futurs talents et des futurs professionnels de la culture.
J’ai rencontré les jeunes artistes qui participent au programme « Les Inouïs » et je suis sûre que certains se retrouveront en haut de l’affiche dans peu de temps. Peut-être qu’ils seront d’ailleurs accompagnés par les participants du programme « les Pépites », en immersion professionnelle à Bourges. Construit main dans la main par le Printemps et le CNM, il rejoint la logique d’initiatives que je porte comme « La Relève » et qui visent à élargir le vivier des professionnels de la culture.
L’exigence d’inclusion, de parité et de diversité, c’est une demande qui n’est pas négociable. De nombreux festivals et salles de concert ont des difficultés à recruter des administrateurs ou des techniciens. Rendre la filière attractive, c’est un sujet crucial et cela doit passer notamment par la formation.
Je veux aussi mettre l’accent sur la formation des jeunes artistes pour les aider dans leur carrière, en particulier dans le domaine du rap et du hip-hop. J’en ai rencontré certains récemment au DVM Show avec Tayx et Dadju. Ce sont des jeunes qui ont un talent fou et c’est d’autant plus remarquable qu’ils construisent leur carrière la plupart du temps sans aide publique. Mon ambition pour la musique, elle vaut pour tout le monde. On ne doit laisser personne sur le pas de la porte.
C’est donc pour ces artistes mais aussi les professionnels – et les futurs directeurs de lieux notamment – que le ministère et le CNM doivent développer l’offre d’accompagnement, de formations, et de conseil.
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Mesdames et Messieurs, vous l’aurez compris : les défis sont nombreux.
Encore une fois, pour pouvoir avancer, je ne vois qu’une seule solution pour la filière musicale : la jouer collective. Et il me semble que cela ne peut que parler à des gens de musique, qui savent bien la force du jeu en groupe ! Le ministère de la Culture est en tous cas pleinement mobilisé pour vous suivre dans cette perspective.
Nous pouvons nous appuyer pour cela sur un schéma global d’accompagnement du secteur, dont le CNM est un pilier. Il s’est largement renforcé et continuera en suivant un contrat d’objectifs et de performances signé avec le Ministère.
J’invite le CNM à devenir véritablement la maison commune de la musique, et notamment en y faisant entrer de plain-pied les plateformes, pour construire ensemble le secteur musical de demain.
Je lui demande aussi de repenser son système d’aides pour le simplifier et pour qu’il réponde en priorité aux demandes des acteurs de terrain et au type d’outils dont ils ont concrètement besoin.
La feuille de route est ambitieuse, et je serai vigilante à ce qu’un ensemble de missions centrales y trouvent leur place : l’export, l’observation du secteur, la structuration des acteurs ou encore la répartition de l’action publique au plus près des territoires, entre autres.
Encore une fois, nous vous le devons à vous, Mesdames et Messieurs, mais nous le devons aussi et surtout à tous les Français. La musique est souvent leur première pratique culturelle. Et, sur l’ensemble du territoire, on veut aller au concert, avoir accès aux nouveautés musicales ou encore jouer de la musique.
C’est notre mission, au ministère, avec ses DRAC, avec le CNM, de la rendre possible partout. En travaillant avec les collectivités, en restant à l’écoute de tous les professionnels, en développant des sources de financement pérennes, en accélérant les transitions écologique et numérique.
Car c’est ainsi, ensemble, que nous construirons le secteur musical de demain.
Je vous remercie.