Chère Caroline Benjo,
Vous décrivez volontiers le 7ème art comme une « industrie de prototypes » rappelant qu’« il faut inventer, prendre des risques » pour faire un film. Votre parcours, à l’image de la production indépendante et de la jeune génération de producteurs français, est émaillé de prises de risques et de paris réussis.
Le cinéma, vous l’avez d’abord étudié, à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, puis enseigné, à l’Université d’Aix-en-Provence. Vous lui avez aussi consacré une revue, Vertigo. Lassée de la théorie, vous vous lancez dans la production aux côtés de Carole Scotta : « c’est ce que représente le cinéma dans sa réalité qui m’intéresse » dites-vous.
Haut et Court, où vous produisez avec Carole Scotta les films que vous avez envie de voir, a fêté ses 20 ans : 20 ans de passion et d’audaces couronnées de rencontres humaines fortes, de succès, 20 ans d’éclectisme à la découverte de nouveaux talents. C’est aussi ce succès et votre engagement incessant, et indissociable du soutien de vos partenaires, que nous célébrons aujourd’hui à travers cette distinction à Cannes, un festival qui est intimement lié à la destinée de votre société de production et de distribution.
C’est en effet ici, en 1997, que La Vie en rose d’Alain Berliner, votre premier film sélectionné, fait un triomphe avant d’obtenir le Golden Globe du meilleur film étranger. Deux ans plus tôt, c’est déjà en route pour le Festival que vous vient l’idée de la série des 2000 sur le passage à l’an 2000 : 10 films, 10 réalisateurs, 10 pays. Dans chaque pays, vous choisissez celles et ceux qui deviendront les grands réalisateurs de demain : c’est ainsi que le public découvre Tsai Mingliang, Walter Salles ou encore Abderrahmane Sissako. C’est encore à Cannes, en 2008, nous nous en souvenons tous, que Haut et Court triomphe avec la palme d’or d’Entre les Murs de Laurent Cantet.
Ce dernier succès marque selon vous la « victoire des indépendants ». Il est suivi la même année de celui de Coco avant Chanel qui rassemble plus d’un million de spectateurs et remporte un César. En à peine plus de 10 ans, Haut et Court s’est imposée dans le paysage cinématographique français.
Après avoir gagné une reconnaissance internationale, votre société marque sa volonté de produire des projets ambitieux, notamment pour la télévision. Nouvelle audace, nouveau pari réussi avec la série Les Revenants dont le format permet selon vous une prise directe avec l’actualité sociale, politique et culturelle. L‘ambiance de cette série, imprégnée de mystère, son atmosphère d’inquiétante étrangeté alors que le passé refait surface ont conquis le cœur des critiques et des téléspectateurs à travers le monde.
Sacrée meilleure série dramatique lors de la cérémonie des International Emmy Awards, à New York. Elle marque le renouveau de la fiction française caractérisée par une très grande exigence d’auteur et une remarquable efficacité narrative auxquelles le New York Times n’a pas hésité à rendre hommage.
A Cannes cette année, vous défendez 3 magnifiques films : Still The Water de Naomi Kawase, en sélection officielle, sur la prise de conscience du monde qui nous entoure dans un paysage qui ramène l’homme à sa juste mesure face à l’immensité et à la beauté sidérante de la nature ; L'Institutrice de Nadav Lapid, présenté lors de la Semaine de la critique, qui ouvre une parenthèse poétique à travers le talent d‘écriture et l’inspiration d’un jeune garçon ; et Les Combattants de Thomas Cailley, pour La Quinzaine des réalisateurs, la rencontre fracassante de deux forces de la nature, deux personnages que tout oppose, avec Adèle Haenel, une des révélations françaises du moment.
« Vive l’audace » écrivait François Truffaut en 1954. Ces audaces, ce sont celles des cinéastes mais aussi des producteurs et des distributeurs qui par leur invention et leur détermination font la singularité et le succès du cinéma français. C’est parce que vous avez l’audace pour carrière, et que vous représentez le 7ème art et la production dans tout ce qu’ils ont de plus novateur et ambitieux, que la République française vous distingue aujourd’hui au cœur de ce Festival qui vous est si cher.
Chère Caroline Benjo, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.