Jeudi 11 janvier 24
La première journée de ce cinquième module a été ouverte par Emmanuel Hoog, directeur général du groupe COMBAT, qui a présenté les différentes activités du groupe, notamment son déploiement sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur musical (diffusion, édition, production, festival).
A sa suite, Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture, a d‘abord rappelé le cadre de la régulation et son articulation avec l’échelle européenne, puis a souligné les enjeux des prochains États généraux de l’information, en s’appuyant notamment sur des chiffres révélant le regain d’intérêt pour l’information de la part des Français ; dans ce contexte, penser la question de l’accès à l’information avec la transformation des usages, la prise en compte l’exposition aux fausses informations ainsi que les ingérences étrangères dans est primordial à un moment où beaucoup de nos concitoyens expriment une défiance quant à la fiabilité des éléments donnés par les médias, tout en manifestant un intérêt fort pour l’information. Florence Philbert insiste à cet égard sur les missions de la DGMIC : promotion du pluralisme et de la qualité de l’information, diversité culturelle et défense de la souveraineté culturelle dans le contexte du numérique.
Emmanuel Hoog intervenait à nouveau sur le sujet de la liberté et la fiabilité de l’information, en sa qualité de directeur général du groupe COMBAT mais aussi au regard de son expérience d’ancien président de l’Agence France Presse. Pour lui, l’accès libre à une information fiable, condition de la bonne santé de nos démocraties, doit se conjuguer au défi que constitue la croissance des plateformes numériques. Il esquisse quatre pistes d’action : repenser un modèle économique plus équilibré entre le service public et le privé, rétablir le lien de responsabilité (juridique) entre les émetteurs et le contenu diffusé, recréer une hiérarchie entre les différentes marques de l’information, et enfin renforcer l’éducation à l’information.
Pour clôturer la matinée, Marc Guiraud, fondateur du média entièrement en ligne Newstank, a présenté ce nouveau modèle de presse B2B (business to business) destiné essentiellement aux entreprises et institutions. Selon Marc Guiraud, la création d’un média entièrement en ligne représente l’avenir de la profession journalistique dont le modèle a été bouleversé avec la révolution numérique. Le fondateur de Newstank a présenté sa vision de l’information basée sur le fait brut tout en étant détaillée et approfondie, construite sur une charte éditoriale vouée à respecter au plus l’information stricte sans la commenter.
L’après-midi a ensuite débuté avec la double intervention de Jean Gonié, directeur des Affaires Publiques pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Snapchat, et de David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’ouvrage « Toxic Data ». Tous deux sont intervenus sur l’évolution de l’espace public au temps des réseaux sociaux. David Chavalarias, en s’appuyant sur ses recherches, s’est employé à présenter la reconfiguration de l’espace public avec l’arrivée des réseaux sociaux : l’apparition du critère d’engagement dans les algorithmes de mise en visibilité des contenus sur les réseaux sociaux a transformé la fabrique de l’information en permettant l’essor des informations toxiques (négatives mais rentables en termes d’engagement et de viralité). Cela renforce également les bulles de filtre qui emprisonnent l’utilisateur dans ses propres croyances et signe la fin du débat public et démocratique.
Jean Gonié, partageant le constat du chercheur, a quant à lui insisté sur les différentes solutions pour rétablir des normes d’hygiène numérique. Selon lui, il est primordial de trouver une solution ex-ante (plutôt qu’ex-post dans la neutralisation de contenu toxique après leur diffusion sur les plateformes) pour limiter la viralité des contenus. Pour cela, il faudrait inciter les pouvoirs publics à réguler directement l’algorithme mais également éduquer les utilisateurs quant à ce que les plateformes peuvent faire avec leurs données pour être conscients des biais algorithmiques et ne pas en rester captifs.
La journée s’est terminée sur l’intervention de Bertrand Dicale, journaliste, directeur général de News Tank Culture et spécialiste de la chanson française, qui s’est questionné sur l’existence aujourd’hui d’une musique populaire. En proposant de définir ce qu’est la musique populaire (un phénomène convivial, intergénérationnel, ne nécessitant pas un apprentissage académique, et formant une horizontalité sur le paysage national) il est revenu sur l’impact du post-modernisme de la deuxième moitié du XXème siècle qui a modifié le rapport que les jeunes générations entretenaient avec la musique des anciens. Ce rapport modifié, mis en parallèle avec la révolution des usages et la disponibilité permanente de la musique en ligne, a conduit à une atomisation des univers musicaux, faisant en sorte qu’aujourd’hui il existe une segmentation de la musique populaire, qui se partage moins.
Le groupe a ensuite eu la chance de visiter les locaux de COMBAT avec Emmanuel Hoog.
Vendredi 12 janvier 2024
Pour cette deuxième journée du module, le groupe a été accueilli par l’équipe de Google Arts & Culture dans les locaux de Google France.
Roxane Boutheon, coordinatrice du Lab Google Arts & Culture ainsi que Simon Delacroix et Elisabeth Callot (auditrice de la session), chefs de programme chez Google Arts & Culture ont présenté les projets de Google Arts & Culture, passant de la numérisation d’œuvres en haute définition à l’organisation grâce au « machine learning « (intelligence artificielle) d’un catalogue de 7 millions d’œuvres numérisées.
A leur suite, Sébastien Missoffe, directeur général de Google France, est intervenu sur la mission et la responsabilité du moteur de recherche Google (et ses extensions) de rendre l’information utile et accessible à tous. Le poids économique de Google en fait un des acteurs principaux dans le domaine de l’accès à l’information et fait également l’objet de régulation européenne pour assurer l’universalité et la gratuité de l’information.
Justine Ryst, directrice générale de Youtube France, s’est ensuite exprimée sur le rôle de la plateforme dans le soutien à la création française en revenant sur son modèle économique (creator economy) qui reverse plus de 50% des revenus générés par les publicités aux créateurs/détenteurs de chaînes Youtube. Youtube, étant devenu une plateforme d’entreprenariat créatif mais surtout un lieu de consommation de biens culturels et médiatiques par les jeunes générations, accompagne les acteurs plus traditionnels dans leur mue digitale en supervisant des initiatives nationales et en créant un tremplin pour les professions de l’audiovisuel.
La matinée s’est terminée par la double intervention de Paul Mourey, directeur adjoint de la direction de la communication et du numérique du Centre Pompidou et d’Elisabeth Callot, tous deux auditeurs de la session qui sont revenu sur l’un des projets de partenariat entre le Lab Google Arts & Culture et le Centre Pompidou sur le peintre Vassily Kandinsky. Leur expérience conjointe illustrait par un exemple concret le travail de collaboration porté par Google Arts & Culture avec de grandes institutions culturelles françaises mettant à disposition la technologie de Google pour construire une exposition virtuelle ainsi qu’un ensemble de boîte à outils pour découvrir les facultés de l’artiste mis à disposition du plus grand nombre.
L’après-midi s’est ensuite ouverte avec l’intervention de Jean-Paul Fourmentraux, socio-anthropologue (PhD) et critique d’art (AICA), professeur à l’Université d’Aix-Marseille et membre du Centre Norbert Elias, qui a présenté plusieurs travaux d’artistes ayant pour vocation de détourner l’économie de la donnée; en critiquant par exemple l’implémentation de la reconnaissance faciale et la marchandisation du langage (par des organismes comme Google) ou encore en détournant les fonctionnalités algorithmiques des plateformes.
Puis, Frank Madlener, musicien, directeur de l’Ircam-Centre Pompidou, du festival ManiFeste et président-fondateur de la société Ircam Amplify est intervenu sur le sujet de l’intelligence artificielle et de l’imaginaire artistique. L’irruption de l’IA générative (transformation de prompts/instructions en mediums tels qu’un texte ou image par l’intelligence artificielle) a donné naissance selon lui à ce que l’on peut qualifier de « casual art » où chacun peut devenir émetteur et donc artiste. De plus, selon lui, la distinction principale entre l’IA et l’imaginaire repose sur les valeurs d’apprentissage liées au fonctionnement des intelligences artificielles tandis que le principe de créativité est fondé pour lui sur le fait de désapprendre. Cependant, l’IA n’est pas incompatible avec un renforcement de la puissance de l’imagination créatrice car sa boîte à outils permet de situer le créateur dans une tendance et ainsi redonne le pouvoir à l’artiste de choisir ce qu’il ne va pas faire (en sortant des sujets saturés) renforçant ainsi sa créativité.
Enfin, la journée s’est clôturée par l’intervention de Marion Zilio, enseignante, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante, autrice de Faceworld, le visage au XXème siècle. L’autrice est revenue sur la « portraiture » progressive de la population à travers le selfie et de la transformation du visage en donnée algorithmique. Le visage n’a jamais été autant représenté qu’à notre époque, ce phénomène conduisant à une individualisation du reflet des individus dans notre société mais aussi à sa fragmentation par l’intermédiaire d’un dispositif technique.
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