Le 11 septembre 2024, un poète fameux fêtera ses 500 ans : Pierre de Ronsard. L’occasion de lui rendre visite dans sa propre maison, où il eut le privilège d’être inhumé et où il repose depuis 1585. Une maison un peu particulière, puisqu’il s’agit d’un prieuré fondé au IXe siècle, qui abrita des moines jusqu’en 1742. Le poète y vécut les vingt dernières années de sa vie.
Vincent Guidault, responsable du Prieuré Saint-Cosme, en assure avec son équipe les missions de conservation, d’animation et de gestion depuis 2004. Depuis lors, à La Riche, cette banlieue de Tours où se situe ce prieuré labellisé « Maisons des Illustres » par le ministère de la Culture, il n’a cessé de rendre la maison de Ronsard plus attractive pour tous les publics : les habitants du voisinage, les familles tourangelles, les touristes et aussi les touristes francophones.
Par ailleurs, signalons que 2024 est aussi l'anniversaire de l'exacte contemporaine du poète, grande dame lyonnaise : Louise Labé. Célèbre pour avoir publié en 1555 un recueil d'écrits en prose et de poèmes lyriques magnifiques, d'une exceptionnelle liberté de ton. Résolument contemporaine, Louise Labé incarne une voix féminine sensuelle et émancipatrice.
Quant à Saint-Cosme, pour 2024, année exceptionnelle des 500 ans de Ronsard, le prieuré aborde notamment, dans une belle exposition, la réception du poète par les artistes anciens et contemporains. Entretien avec Vincent Guidault.
Pour fêter le demi-millénaire de Pierre de Ronsard, le prieuré Saint-Cosme a produit une grande exposition. Pouvez-vous nous la présenter ?
Ce qui est frappant chez Ronsard, c’est que si sa flamme poétique a traversé les siècles jusqu’à nous, c’est sans doute aussi grâce aux artistes qui ont repris ses vers : musiciens compositeurs et interprètes, illustrateurs, peintres, sculpteurs… Nous avons donc choisi de monter une exposition placée sous le signe de l’importante réception de l’œuvre de Ronsard par les artistes. Et nous l’avons appelé RonsART, ce qui n’est pas tout à fait un jeu de mots car l’orthographe d’origine de son nom est celle-ci. C’est lui-même, le poète, qui a substitué la lettre d à ce t. Un geste adroit pour signifier qu’avant d’être intronisé « prince des poètes » il était avant tout un poète « ardent ».
Pour nous, organiser une grande exposition patrimoniale de ce genre est exceptionnel. Notre parcours permanent de visite étant déjà très riche, il nous faut une proposition forte. Par ailleurs, notre lieu d’exposition temporaire, un réfectoire du XIIe siècle, n’offre pas des conditions idéales pour recevoir pendant trois mois des éditions originales, des œuvres picturales, des livres d’artistes…
Mais nous sommes vraiment heureux d’avoir surmonté ces difficultés pour pouvoir montrer des partitions musicales, des instruments, des tableaux, des portraits du poète, et notamment des éditions originales de Matisse (Florilège des amours édité chez Skira en 1948) et de Dali (Amours de Cassandre éditées chez Pierre Argillet en mai 1968), et aussi le magnifique vase Ronsard de René Lalique créé en 1926 (prêt du musée Lalique de Wingen-sur-Moder), enfin l’un des dix-neuf livres qui subsistent de la bibliothèque personnelle du poète (Les vies des hommes illustres de Plutarque traduit par Jacques Amyot en 1565).
Et puis, comme nous le faisons depuis plus de 15 ans, nous avons souhaité un regard contemporain sur Ronsard, avec le photographe et poète Marc Blanchet, résidant du prieuré à l’automne 2023, qui propose des matières restituant des lieux ronsardiens et des sujets d’inspiration du poète par une série de photographies noir et blanc et de textes inédits (Ronsard Material). Sont exposés aussi quelques livres d’artistes contemporains et portraits réalisés notamment par le street artiste Franck Bouroullec.
Le public nous fait d’excellents retours sur l’exposition. Elle a duré tout l’été et s’achèvera pour les Journées du Patrimoine après le « colloque-festival » de trois jours (du 10 au 13 septembre) organisé par le Centre d’Etudes Supérieures de l’Université de Tours qui marquera l’anniversaire du poète le 11 septembre.
Cette exposition est un peu la cerise sur le gâteau d’un travail de fond que vous menez depuis 2004 pour ouvrir le prieuré à un public le plus large possible. Or, si la poésie du XVIe siècle et celle de Ronsard en particulier sont très appréciées des connaisseurs, et si même on observe aujourd’hui un regain d’intérêt pour la poésie, l’animation d’un tel lieu reste une mission délicate. Quelle a été votre politique pendant toutes ces années ?
Il est vrai qu’aujourd’hui, même si l’œuvre de Ronsard demeure au programme de l’enseignement dans les collèges, elle n’est pas obligatoirement étudiée. De plus notre éloignement fatal d’avec la langue de l’époque peut rebuter. Notre volonté, c’est de ne nous tourner vers les familles, les enfants et les adolescents, sans perdre les connaisseurs et de leur offrir ici une expérience positive qui les marquera. Ne serait-ce que d’avoir gravi un escalier dans la maison d’un poète. Cela peut suffire parfois pour susciter le désir d’en savoir plus. Qui était cet homme ? Quels sont ses poèmes les plus beaux ?
Pour aller plus loin, nous comptons sur la sensibilité de chacun : écouter, voir, toucher, sentir, et même méditer, c’est aussi ça la poésie. Le jardin est une formidable entrée sensible. Les plantes potagères du Moyen Age y rencontrent celles de la Renaissance qui marquent l’ouverture sur l’Italie, les plantes médicinales aussi. Et aux beaux jours, il y a évidemment la contemplation des roses, relayée par les fleurs des bouquetiers, des potagers, qui nous rendent curieux de comprendre ce monde passé.
Les enfants se voient proposer des jeux de piste, des ateliers d’artisanat ou de techniques artistiques. On découvre ici en s’amusant comme dans le jeu de piste Plume où es-tu ? où à la recherche de la plume du poète, les enfants découvrent à travers des énigmes différents lieux du monastère et se voient offrir des graines de melon (car Ronsard ne laissait jamais repartir un visiteur sans un présent prélevé dans son jardin) !
Cette approche sensible prépare d’autres découvertes. Que réserve le prieuré à ses visiteurs ?
Le Prieuré Saint-Cosme, c’est un lieu spirituel qui fut habité par une communauté religieuse pendant huit siècles. C’est aussi un lieu de création littéraire, puisqu’il fut pendant vingt années l’atelier poétique de Ronsard. C’est enfin comme nous l’avons dit, un grand jardin qui fut créé par les moines et qui se prolonge au milieu de vestiges archéologiques. Nous avons voulu développer ces potentialités qui permettent d’offrir aux publics des motivations variées de venir chez nous.
Ainsi, pour commencer, nous avons conçu une nouvelle scénographie interactive pour la visite. Nous avons redessiné les jardins. Et nous avons inscrit tout ce travail dans une réflexion sur le dialogue de la poésie de Ronsard avec l’histoire et l’histoire des arts, afin de générer des événements marquants, comme par exemple, côté peinture, faire appel au peintre Zao Wou-Ki. Ce dernier a signé quatorze vitraux originaux pour le réfectoire, qui ont été inaugurés en juillet 2010. Nous accueillons aussi chaque année un plasticien en résidence.
Autre exemple : dans l’esprit de renouer avec la vie poétique, nous exposons et conservons, au fur et à mesure de leurs créations, une collection de « livres pauvres », qui sont des livres d’artistes hors commerce, le plus souvent un cahier d’une seule feuille de papier pliée, écrite à la main par un poète et illustrée par un peintre, sur le modèle des œuvres que réalisaient René Char et ses amis.
Côté musique, nous organisons des concerts qui vont de la musique ancienne à la contemporaine en passant par la musique de chambre et le jazz. Et depuis que les fouilles archéologiques de 2009/10 ont découvert de nouveaux espaces, nous mettons aussi l’accent sur la danse, avec l’idée que le jardin et les vestiges soient ouverts à une expérience de découverte corporelle.
Tous ces aspects nous conduisent à nouer des relations fortes avec les institutions qui nous entourent comme le centre national chorégraphique de Tours, ou des scènes musicales tourangelles (le Petit Faucheux, Le Temps Machine…). Nous ne manquons pas de prendre part aux événements nationaux comme le Printemps des Poètes et nous faisons partie de la Fédération nationale des Maisons d’écrivain. Tout ce qui peut nous permettre d’expérimenter de nouvelles idées pour valoriser le prieuré est bienvenu.
Une « Maisons des illustres » parmi les plus fréquentées
Classé monument historique en 1925 avec des extensions de classement en 1949 puis en 1951, le prieuré Saint-Cosme, propriété du Conseil départemental d’Indre-et-Loire depuis 1951, a été labellisé « Maisons des Illustres » par le ministère de la Culture en 2012.
D’abord fréquenté essentiellement par les « pèlerins littéraires », depuis les années 2000 le prieuré s’est ouvert progressivement à un large public, accueillant désormais 25 000 visiteurs par an, ce qui en fait l’une des premières maisons d’écrivain en France.
Pour le demi-millénaire du poète, le prieuré a su se rendre encore plus attractif, augmentant sa fréquentation de 30% cet été, une période où la tendance était plutôt à la baisse. Un succès plébiscité cette année par la sélection du prieuré dans la « short list » du concours « Le monument préféré des Français ».
Partager la page