Le handicap, une affaire qui nous concerne tous ? Depuis longtemps, la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France du ministère de la Culture, dont le partenariat avec l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France fête cette année ses vingt ans, œuvre au rapprochement des mondes de la culture et du soin. En organisant, jeudi 25 avril au Théâtre du Rond-Point, la rencontre « Créer pour, créer avec : sport, culture, handicap et inclusion », elle apporte une pierre – et une preuve – supplémentaire à l’édifice, en s’intéressant plus spécialement, à quelques mois des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, aux relations entre culture, sport, handicap et inclusion.
Et le constat qu’elle dresse est impressionnant, tant sur le plan quantitatif (un tiers des 2112 projets labellisés Olympiade Culturelle intègrent la question du handicap) que qualitatif (les initiatives, toutes passionnantes, sont à la fois imaginatives et intelligentes, pragmatiques et disruptives). Qu’on en juge : laboratoire d’accueil et de l’hospitalité par le design, bibliothèques d’albums en langue des signes, danse créant un espace relationnel inédit entre enfants atteints de troubles moteurs et danseurs professionnels… Sans oublier le projet Handesign qui fait se rencontrer dans le territoire francilien le monde du design et celui de l’handisport.
Design et inclusion : vers un héritage de Paris 2024
C’est l’un des projets phares qui réunit les mondes du sport, de la culture et du handicap. Conçu en partenariat par la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France et l’Agence régionale de santé, le projet Handesign, un programme de résidences de design en milieu handisportif en Île-de-France, a été labellisé au titre de l’Olympiade culturelle. « Notre souhait est de nous insérer résolument dans l’héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques, souligne Laurent Roturier, son directeur. Cet événement au retentissement international a vocation à être un accélérateur de projets ». Le projet Handesign représente une réelle « opportunité pour inclure les personnes porteuses d’un handicap dans les clubs sportifs », complète Thomas Urban, référent paralympique en Ile-de-France du Comité paralympique et sportif français qui a sélectionné les projets lauréats aux côtés de la DRAC.
L’enjeu est de taille, puisqu’il ne s’agit rien de moins que de rendre l’accessibilité universelle. Antoine Fenoglio, designer et cofondateur de l’agence « les Sismo », spécialisée dans le « design with care », une méthode de conception créative qui prend en compte des fragilités individuelles ou sociétales, est catégorique. Pour lui, l’époque du « designer démiurge est finie ». Aujourd’hui, il est engagé, aux côtés de la philosophe Cynthia Fleury, dans une réflexion autour d'un « design passant d’un mode de développement à un mode d’enveloppement ». Une démarche que rejoint Carine Delanoë-Vieux, chercheuse en design, co-fondatrice du laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité par le design (lab-ah) du Groupe Hospitalo-Universitaire de Paris : « Plus que de produire des objets, il s’agit de se mettre au service des acteurs du soin et de la santé ».
Dans ce « design de l’hospitalité », les acteurs « restent en responsabilité de l’hospitalité ». Illustration avec la salle de retour au calme conçue pour les enfants atteints de syndromes autistiques. A la suite d’une recherche collaborative sur la perception sensorielle associant les enfants, un parcours spécialisé est venu matérialiser la contenance, le défoulement et l’enveloppement avec notamment un « mur de la colère et un tipi ». Selon la chercheuse, l’enjeu est de « faire exister la société comme un lieu d’ouverture dans lequel on peut intégrer toutes les manières d’être au monde ».
Inclusion ou accessibilité ?
Plus encore que l’accessibilité, ce qui est dans tous les esprits, c’est, selon Aurélie Lesous, référente du programme Culture et Santé à la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, la « conception universelle des droits des personnes handicapées que promeut la Convention internationale signée en 2007 ».
En témoignent les dispositifs spécifiques mis en place par le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil : « une bibliothèque d’albums adaptée en langue des signes et audio-description et le robot Looping qui neutralise l’émotion dans le cas où celle-ci pourrait submerger et perturber le lecteur ». Deux objets « qui ont eu beaucoup de succès », se réjouit Sylvie Vassallo, sa directrice.
C’est aussi le cas de l’exposition « Colis suspect » conçue par l’association Futur Composé qui œuvre à la rencontre entre jeunes gens autistes et artistes. « Nous envoyons à toutes nos institutions partenaires un colis mystère. Le dernier contenait des photos d’Usain Bolt, de Nadia Comaneci, ainsi que la photographie iconique des athlètes afro-américains levant le poing lors de la remise de leurs médailles olympiques aux JO de Mexico, en 1968. Comme à chaque envoi, ce sont des images inspirantes, qui donnent à réfléchir sur les pouvoirs du sport. Les jeunes s’en emparent à leur guise, les font exister dans leur quotidien, et ensuite, les artistes mettent leur savoir-faire à leur disposition, détaille Stéphan Durand, son président. L’exposition sera visible l’an prochain à Grand Control, à Paris, un lieu culturel alternatif.
Lauréat de l’appel à projets « Inspiration, création et handicap » lancé par le ministère de la Culture dans le cadre de l’Olympiade Culturelle, le projet pArc, créé en 2022 par le chorégraphe Eric Minh-Cuong Castaing, a constitué un des moments forts de la rencontre. Ce spectacle, grâce auquel enfants neuro-atypiques ou atteints de troubles moteurs et danseurs professionnels ne font qu’un au milieu de robots de téléprésence activés par des enfants depuis leur chambre, a un impact considérable. Une situation analysée par le chorégraphe : « Il s’agit de faire en sorte que la danse soit le muscle manquant des enfants en situation de handicap, de regarder les corps par le prisme de la danse et non du handicap ».
Se dépasser, se déplacer
Certains artistes ont choisi de déplacer leur pratique pour penser art, handicap et inclusion dans leurs créations. C’est le cas du metteur en scène Arnaud Vrech, membre du collectif Aubervilliers, qui a créé le spectacle Footballeur, inspiré par l’histoire de son frère, footballeur professionnel atteint d’une maladie rare qui réduit le champ visuel jusqu’à la cécité totale. « J’ai souhaité faire de cette histoire un spectacle pour tous les publics, y compris pour les personnes mal voyantes et non voyantes », explique Arnaud Vrech. L’originalité de la démarche tient dans le fait que ce « déplacement » n’est pas à « sens unique, il se fait dans les deux sens », ajoute la dramaturge et traductrice Franziska Baur, sa collaboratrice artistique. « Nous avons créé un groupe avec des personnes malvoyantes au sein du collectif, et réciproquement, nous avons rencontré les musiciens des l’Institut national des jeunes aveugles ».
Un déplacement dont témoigne également le spectacle Lumière invisible conçu spécifiquement avec et pour un public non-voyant par la chorégraphe Orianne Vilmer aux côtés de Timothée Bouloy, Cécile Lassonde et Emmanuelle Simon. « Tout l’enjeu est de changer notre perception du mouvement et, grâce au travail en studio, de réussir à percevoir la danse autrement que par le mouvement », souligne la chorégraphe, en se réjouissant que les duos entre danseurs voyants et non voyants « se synchronisent parfaitement ». Et pour cause : « En raison du lien entre les corps, les danseurs sont de véritables athlètes de la perception » selon Patrice Germain-Thomas, formateur à la Fabrique de la danse.
C’est aussi le cas du Concert de la loge, ensemble sur instruments anciens interprétant le répertoire classique ou baroque. « Dans le cadre de l’Olympiade culturelle, nous avons pu pour la première fois cette année inclure des jeunes qui souffrent de troubles autistiques dans le Hip Baroque Choc, notre projet pédagogique, se félicite Emmanuelle Vassal, sa déléguée générale, les jeunes jouent notamment des percussions, un instrument sur lequel il est possible de faire beaucoup de choses sans avoir une connaissance de la musique. Les jeunes en outre n’ont pas les inhibitions que peuvent avoir les autres adolescents ».
L’inclusion sera décidément au cœur des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques. Grand témoin de la rencontre, Nicolas Peyronnet, directeur d’ESS 2024, la passerelle entre les JO et les acteurs de l’entrepreneuriat social et de l’économie solidaire, indique que les douze laveries du village olympique seront opérées par les ESAT, ces établissements et services d’aide par le travail. « Les personnes en situation de handicap seront donc au quotidien au contact des athlètes ». Et elle est déjà présente au Stade Charléty où, dans le cadre de la réhabilitation de son Social Club, « l’architecte Patrick Bouchain a créé un enchainement de tables à des hauteurs différentes pour que chacun soit servi à sa hauteur », précise l’écrivain et président du Paris Université Club, Bernard Comment, autre grand témoin de la rencontre. Sport et culture sont décidément « deux mondes qui ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre ».
Handesign : les 6 lauréats du projet
En duo avec des acteurs du monde para-sportif, les six équipes de designers lauréates du projet Handesign, conçu par la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, vont concevoir ou améliorer des équipements sportifs pour les acteurs en situation de handicap.
Les six projets lauréats :
- Lucie Gigan et Clémentine Bonneau du collectif Fair Play sont en résidence au club Novosport de Nanterre pour un projet autour du baskIN, la pratique sportive qui fait jouer sur un même terrain personnes valides et en situation de handicap ;
- Eva Hardy et Célia Guye, dont le travail, au sein du studio Stimuli, s’adresse spécifiquement aux publics empêchés et aux personnes en situation de handicap, sont au Stade nautique olympique d’Île-de-France pour un projet avec la Fédération française de canoë-kayak ;
- Sophie Cure est en résidence au club Upsilon de Chatenay-Malabry pour un projet de traçage de terrain et de graphisme pour le football fauteuil ;
- Laureline De Leeuw, en duo avec le Club Les Archers du Lys à Paris, travaille sur un projet d’images et de scénographie pour le Para tir à l’arc ;
- Léo Dumont-Deslaurier, Suzelle Hamman et Lucie Dumont-Deslaurier sont en résidence à l’établissement régional d’enseignement adapté Toulouse-Lautrec de Vaucresson, centre de soins unique en France, pour un projet sur les sports adaptés ;
- Clarisse Coureau et Jeanne Mollier sont en résidence à l’Ehpad de Cousin de Méricourt à Cachan sur un étonnant projet de boxe adaptée en Ehpad.
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