« Ce que je goûte dans un récit, ce ne sont pas directement son contenu ni même sa structure, mais plutôt les éraflures que j’impose à la belle enveloppe : je cours, je saute, je lève la tête, je replonge (…) ». Qui, mieux que Roland Barthes, a su décrire avec l’acuité et la pertinence qu’on lui connaît, l’importance du corps dans l’acte de lire ?
L’engagement du corps dans la lecture, c’est précisément l'une des dimensions que la 8e édition des Nuits de la lecture entend explorer. Une exploration passionnante autant qu’essentielle, si l’on en juge par l’universalité du thème. Qu’on songe seulement à toutes les formes dont le corps se donne à lire et à entendre : du récit à la poésie, en passant par la bande dessinée, le témoignage, la chanson, le conte, les adaptations cinématographiques, le roman, sans oublier, bien entendu, l’univers incomparable de le littérature jeunesse.
Il y a mille portes d’entrée pour explorer le corps dans la littérature, à commencer par le sport, en écho avec les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Nul doute que le chorégraphe Angelin Preljocaj et la philosophe Claire Marin, respectivement parrain et marraine de cette édition, sauront nous guider sur ces chemins qui mènent au corps. Nul doute aussi que les milliers d’événements gratuits organisés du 18 au 21 janvier à l’occasion des Nuits de la lecture constitueront une passionnante – et particulièrement éclectique – mise en lumière. Nous avons sélectionnés plusieurs temps forts soutenus par le Centre national du livre. .
Au Musée des Arts décoratifs (MAD), à Paris, une inauguration haute en couleur
Dès 18h le 18 janvier, les jeunes comédiens de l’Académie de la Comédie française se lanceront à corps perdus dans les espaces d’exposition du musée de la rue de Rivoli à Paris, avec leurs textes, classiques et contemporains. Mode et sport d’un podium à l’autre, l’exposition qui explore les liens fascinants de deux univers a priori éloignés mais pourvus des mêmes enjeux autour du corps, les verront déclamer Aragon, Pérec, Maupassant, et aussi Maylis de Kerangal, Albert Londres… Dans l’autre exposition du musée, qui présente 100 pièces prodigieuses de haute couture réalisées par Iris van Herpen, en dialogue avec des œuvres d’art contemporain et en résonance avec des coraux ou des fossiles, c’est Les Métamorphoses d’Ovide, et Les Odyssées scientifiques du biologiste Merlin Sheldrake et de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan qui mettront sur orbite l’imaginaire organique et fashionable de la créatrice de mode.
Lectures en mouvement : quand les corps vont à la ligne
Mettre des lectures « en corps », monter une déambulation déclamatoire mais peut-être aussi écrire avec les pieds, ou bien prolonger l’acrobatie rhétorique d’une acrobatie lyrique puis d’une acrobatie funambulesque, n’est-ce pas là ouvrir un champ de créations privilégié ? Les artistes circassiens du Centre national du cirque de Châlons-en-Champagne ne se feront pas prier pour s’en emparer !
Dans le même ordre d’idée, mais côté squelettes, les Parisiens pourront s’amuser à descendre dans les Catacombes écouter, par exemple, La Ballade des pendus de François Villon, « Je n’ai plus que les os… » de Ronsard, ou Réparer les vivants de Maylis de Kerangal… Et s’ils préfèrent toutefois les corps nautiques, c’est non loin de là, à la piscine Jean Taris qu’il conviendra qu’ils se rendent, où des auteurs férus d’aquatismes seront présents.
Les Tréteaux de France, quant à eux, mettront à l’honneur leur dispositif « KiLLT », à Nanterre, Clermont-Ferrand, Douai et Paris : un petit groupe de jeunes spectateurs découvre un texte, accompagné d’un comédien. Une lecture à voix haute où les corps de tout un chacun se lèvent sans complexe, mués d’une force intérieure vers une expression parfois insoupçonnable des intéressés eux-mêmes ! Ces effets sont aussi ceux que rechercheront par exemple le Lieu Unique à Nantes (danse techno et écriture), ou le grand R de la Roche-sur-Yon avec les arts plastiques.
Bibliothèques, scènes nationales et musées : la lecture des espaces-corps
Les fenêtres sont des regards, le toit touche au ciel, les salons s’ouvrent sur le monde, les couloirs et les greniers secrets recèlent des pulsions inconscientes : c’est ainsi que les lecteurs vont faire résonner les maisons culturelles, comme à la Scène nationale Sud-Aquitaine de Bayonne, ou encore au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, où, entre autres belles réjouissances, des « cocons lecture » seront spécialement aménagés un peu partout dans le musée. A Grenoble, grenouillères et piloupilous seront de rigueur pour le public venu en corps passer une soirée lecture pyjama pour grands et petits à la bibliothèque d’étude et du patrimoine, où le collectif Troisième Bureau lira aussi du Stendhal !
Des livres et des artistes : rencontrer des auteurs en chair et en os
Que signifierait la lecture sans l’écriture, et que serait l’écriture sans l’écrivain ? De nombreuses rencontres au vif auront lieu pendant ces Nuits 2024 de la lecture. Citons au passage : Yannick Haenel au Centre Pompidou, Lola Lafon à la Scène nationale de Malakoff, Carole Fives à celle de Dunkerque, Roberto Saviano et Sorj Chalandon à Marseille (MUCEM)…
Les rapports humains président également à la programmation par le Centre national du livre (CNL) de six ateliers animés par des artistes d’exception, à destination des scolaires, respectivement sur la danse et sa notation, sur le passage d’une langue littéraire à une autre par la traduction, sur l’illustration, sur la poésie.
Enfin, une belle curiosité : une nouvelle version du Serveur vocal poétique (SVP) de la compagnie lilloise Home Théâtre. Cette ligne téléphonique interactive permet d'écouter 30 poèmes d'auteurs et autrices d'aujourd'hui autour du thème de la manifestation : le corps dans toutes ses acceptions. Pour découvrir cette création, il vous suffit de composer le 03 74 09 03 00. Un standard saturé, il faut s’y attendre, pendant ces Nuits de la lecture !
Chloé Cruchaudet, illustratrice : « La lecture, une porte d’accès à des univers illimités »
« J’ai eu envie d’imaginer en creux ce que peut représenter la lecture : une porte d’accès à des univers illimités ». C’est ainsi que l’illustratrice Claire Cruchaudet évoque l’affiche qu’elle a réalisée pour la 8e édition des Nuits de la lecture.
« Nuit, lecture, corps, des mots-clés particulièrement inspirants pour créer un visuel, poursuit-elle. Le corps d’un lecteur est en apparence assez inactif, pourtant j’ai voulu une posture dynamique, qui serait à l’image de l’énergie, de la tension de notre esprit quand il est occupé à lire. J’ai voulu mettre l’accent sur la sensualité du paysage autant que celle du corps. La lumière des étoiles, l’air qui circule, toutes ces sensations que nous éprouvons lors d’une promenade nocturne peuvent être elles aussi ressenties de manière très forte, immergé dans un livre ».
Résultat : une splendide affiche tout en poésie, dont le message, suggéré plutôt qu’assené, infuse longtemps les esprits. Une réussite qui ne surprendra pas les fidèles de Claire Cruchaudet, auteure d’une bande dessinée remarquée sur la gouvernante de Proust : Céleste (2022), dont la seconde partie est parue fin 2023 aux éditions Soleil. Elle est également l’auteure de Mauvais Genre, qui a reçu notamment le prix du public du Festival d’Angoulême en 2014.
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