Cent ans après sa création par Denis Peyrony, vingt ans après une magnifique extension de ses salles d’exposition sous les auspices de l’architecte Jean-Pierre Buffi, Nathalie Fourment, directrice du musée national de Préhistoire depuis deux ans et demi, et son équipe, fourmillent d’idées et de projets qui concourent à un même but : donner à ce musée la dynamique et la magie d’un établissement scientifique et culturel ancré dans son territoire et tourné résolument vers l’avenir.
La vallée de la Vézère, haut lieu de la recherche en Préhistoire, que l’on contemple en majesté depuis la terrasse élevée du musée, est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité. Le musée est le centre d’étude, de conservation et d’exposition des collections prélevées sur les gisements archéologiques qui foisonnent à proximité. Sa renommée est internationale. Il aspire à devenir, à partir de sa thématique « Préhistoire », le centre culturel de référence pour les habitants de la vallée et, plus largement, pour ceux des métropoles qui l’entourent. Son centenaire est l’occasion de fêter comme il convient ce passé et cet avenir.
Rencontre avec Nathalie Fourment.
Que signifie ce centenaire, pour vous et pour le musée national de Préhistoire ?
Fêter le centenaire du musée national de Préhistoire a d’abord été pour toute l’équipe du musée une opportunité formidable : prendre le temps de travailler sur les archives et notamment sur les écrits fascinants de son fondateur, Denis Peyrony (1869-1954), un simple instituteur qui fut reconnu et soutenu par le grand préhistorien de l’époque, professeur au collège de France : Louis Capitan (1854-1929).
Il nous est vite apparu que les enjeux fondamentaux, qui sont les nôtres aujourd’hui, étaient là dès 1923. Certes, nous n’avons plus le même vocabulaire ni les mêmes stratégies opérationnelles, mais, plus que jamais et comme à ses débuts, le musée doit relever plusieurs défis croisés : mettre en valeur des collections issues (pour la plupart) des gisements archéologiques locaux, ouvrir celles-ci au grand public en s’appuyant sur le développement touristique de la vallée de la Vézère, se mettre au service de la recherche scientifique (accueil des chercheurs, accueil de congrès et colloques internationaux…) et transmettre (relations aux universités, programmes d’éducation artistique et culturelle, cycles de conférences grand public…).
D’autres enjeux se sont-ils ajoutés depuis 1923 ?
Oui, car cet univers de la préhistoire est devenu, depuis les années 60, très « concurrentiel » localement : de nouveaux sites tout à fait merveilleux comme, par exemple, les fac-similés de Lascaux, risquaient de repousser dans l’ombre, injustement, les richesses exposées ici.
C’est pourquoi notre unique préoccupation pour ce musée est de le renouveler profondément, pour lui redonner une place de choix sur son territoire. Il faut comprendre que l’importance exceptionnelle du musée, aux points de vue historiographique, scientifique et patrimonial, se trouvait souvent mieux connue d’un spécialiste en Afrique du Sud ou en Australie qu’en Dordogne ! Le centenaire vient ainsi couronner l’ensemble des efforts accomplis pour que les habitants de la vallée et ceux des métropoles qui nous entourent (Bordeaux, Toulouse, Limoges…) se retrouvent ici chez eux, dans ce « paradis vert » des week-end et des petites vacances, et même au cœur de l’hiver, auprès de notre musée qui déborde de vie et d’intérêt.
Qu’avez-vous mis en place pour améliorer ou développer l’offre du musée ?
Pour commencer, nous avons changé la temporalité des expositions, en les programmant non plus en été comme c’était le cas, mais sur le reste de l’année, afin de toucher ce public local et régional. Et pour enraciner un peu plus l’installation d’une véritable saison annuelle, nous travaillons avec les collectivités et avec le comité départemental du tourisme qui souhaitent eux aussi que les infrastructures touristiques ne ferment plus (ou plus complètement) en hiver.
Par ailleurs, nous avons la chance de disposer d’une réserve foncière de 300 m² en face du musée, qui va nous permettre à plus long terme de construire une nouvelle salle d’exposition. Dans cet avenir plus lointain, la salle actuelle deviendra alors un grand atelier pédagogique. Et sans attendre ces équipements nous développons bien sûr une politique des publics et d’éducation artistique et culturelle en lien avec nos travaux et propositions scientifiques et culturelles.
Le public va aussi pouvoir découvrir, le 30 septembre, un nouveau parcours sur la terrasse du musée…
L’idée remonte à 2021 et, pour cela, une étude historique et archéologique du château et des occupations troglodytiques a été menée en 2022. Celle-ci a révélé une continuité patrimoniale de notre site depuis le paléolithique (un gisement archéologique, « l’abri du Château », en plein cœur du musée, en témoigne !), jusqu’à aujourd’hui (en passant par une ferme médiévale et un château Renaissance).
Nous avons eu très envie de présenter tous ces éléments au public. Il faut savoir que la terrasse et le château étaient fermés depuis l’an 2000. Le 30 septembre, date anniversaire du centenaire, nous allons donc inaugurer un parcours extérieur de visite tout neuf, pourvu d’un ensemble de dispositifs placés sur la terrasse pour expliquer l’histoire du site, son architecture, mais aussi pour détailler le magnifique point de vue qu’on a ici sur la Vézère, en indiquant au public les localisations de ses différents gisements archéologiques, le long de la vallée, qui ont fourni le fond originel de nos collections. On aura aussi un aperçu des occupations antérieures de la falaise, une idée de ses circulations cachées et de sa biodiversité. Tout cela se présente sous la forme de dispositifs accessibles à un public de tout âge.
Lorsqu’on contemple ce site admirable, on voit aussi un lieu idéal pour des festivals et des concerts !
Sans aller trop vite, disons qu’à petits pas, notre désir est d’ouvrir le musée à une offre culturelle plus large, qui certes puisse accueillir la création artistique, tout à fait bienvenue dans notre territoire rural un peu éloigné. Nous disposons d’un auditorium, notamment, qui peut accueillir la programmation de concerts.
Du côté des arts visuels, la relation des thématiques du musée avec l’art contemporain est presque évidente (on sait combien l’art pariétal a influencé l’art du XXe siècle). C’est pourquoi nous avons mis d’ores et déjà en place une résidence de création qui nous permet d’accueillir Aurélien Mauplot. Le projet de cet artiste nous a d’autant plu qu’il s’est inscrit dans une connaissance et un questionnement réels de notre musée. Bien loin de faire de la Préhistoire un simple prétexte, il s’est impliqué dans nos activités, à la façon d’un artiste associé.
Quant au cœur de l’établissement, à savoir ses collections et la recherche scientifique, comment voyez-vous l’avenir du musée ?
Nos collections sont constamment réinvesties par la recherche contemporaine. Nous recevons en moyenne cinq à six chercheurs par jour tout au long de l’année, dont un quart sont étrangers. Et c’est cela que nous souhaitons faire connaître de notre public. Ainsi, nous essayons de donner à voir un échantillon des études des chercheurs, grâce à l’équipe scientifique du musée, notamment dans les expositions temporaires, qui sont aussi l’occasion de remettre en perspective ces collections et les connaissances renouvelées que nous en avons.
Par ailleurs, nous venons d’élaborer, dans le cadre de notre tout nouveau Projet scientifique et culturel, une stratégie d’acquisition révisée. Le musée a pris une telle part dans la naissance et le développement des sciences préhistoriques ! Il doit, pour rester une référence pour la recherche nationale et internationale, comme pour le public, acquérir pour l’avenir les collections archéologiques majeures qui voient le jour, aujourd’hui et dans le futur.
La présentation de la collection permanente sera-t-elle remaniée dans un avenir proche ?
La scénographie et la muséographie de la collection permanente, qui datent des années 90, sont très belles, mais très (et parfois trop) complexes pour le grand public. Notre idée est de les refaire, mais à plus long terme seulement, afin de nous donner le temps de trouver une formule avec laquelle nos successeurs pourront continuer de jouer en l’adaptant. En effet, tout évolue si rapidement dans notre discipline, que le défi est dans cette capacité à suivre autant que possible le rythme de la recherche.
C’est pourquoi notre idée est de multiplier les expériences avec le public et d’être très attentifs aux retours qu’il nous fera, dans le cadre des expositions temporaires mais aussi de la diversification de notre offre culturelle (résidences de création, programmation culturelles diversifiées, création de nouveaux dispositifs à tester …). Il nous faut apprendre, y compris de nos échecs éventuels. Il nous faut ouvrir les yeux sur d’autres façons de voir et de percevoir les connaissances, et faire l’expérience d’autres langages. C’est ainsi que nous pourrons acquérir les compétences et l’expérience nécessaires pour commander une nouvelle muséographie.
Pour l’instant, nous avons testé, avec l’exposition « Oxydes, couleurs et métaux », un tout petit parcours pour les enfants. Et nous allons réfléchir, l’an prochain, à l’installation d’un parcours muséographique « public jeune et familial » dans la collection permanente. L’exposition temporaire de fin 2024 devrait, quant à elle, être une exposition « éclatée » : notre salle étant trop petite, l’exposition débordera ici ou là sur la collection permanente, voire en extérieur !
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