Audacieux, créatif, innovant, mais aussi généreux, enthousiaste, survolté... Ces qualificatifs résument à eux seuls l'ambiance du forum Création Africa, qui s’est tenu du 6 au 8 octobre, à Paris. Cette initiative inédite du ministère de la Culture et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui a suscité un vif enthousiasme de la part des 300 participants réunis à la Gaîté lyrique et au Conservatoire national des arts et métiers, a tenu – c’est peu de le dire ! – toutes ses promesses. Qu’on en juge : expériences immersives, chambre sonore, expositions augmentées, jeux vidéo, bandes dessinées et réalité virtuelle, aucune des formes innovantes ne manque à l’appel.
« C’est aussi une véritable plateforme de rencontres, d’échanges d’expertise et de mise en valeur des talents », complète la journaliste et réalisatrice Liz Gomis, secrétaire générale du forum. Un participant, Glenn Gillis, président d’une société sud-africaine de production de jeux vidéo sur des thèmes éducatifs ou environnementaux, en résume très bien les enjeux. « Pour nous, une journée comme celle-ci est très importante, nous confie-t-il : parce qu’elle concerne l’Afrique tout entière, si bien que c’est ici que je peux rencontrer pendant trois jours tous mes confrères du continent (ce que j’ai rarement l’occasion de faire !). C’est ici à Paris que je vais nouer de nouvelles relations en Afrique ». Récit de quatre temps forts de la journée professionnelle.
« Aujourd'hui, la Renaissance culturelle mondiale est en Afrique »
« Nous, on est en train d’essayer de se « séduire », et on a fait un bon bout de chemin », dit Wladimir Lentzy avec humour, depuis l’un des espaces de la Gaîté lyrique dédiés aux rencontres professionnelles. Ancien directeur de la diffusion du groupe Média-Participations, sa passion de la BD et de l’Afrique l’a conduit à créer, chez Dupuis, une collection de webtoons (BD destinées à une lecture en défilement vertical sur téléphone portable), destinés aux Africains. Il est venu rencontrer Guillaume Olivier Madiba, car « nous avons un projet ensemble, explique-t-il, qui vise à faire connaître au public mondial les auteurs africains de bandes dessinées qui racontent des histoires africaines. On fait cela sous forme de webtoons, ce qui permet de toucher le jeune public en Afrique et ailleurs. »
Guillaume Olivier Madiba est directeur général de Kiro’o Games, un studio de création de jeux vidéo au Cameroun, qui se singularise par son univers « cross media » (BD, jeu PC, jeu mobile…) très bien référencé sur les plateformes non seulement en Afrique mais aussi aux Etats-Unis et en Europe.
« Nous, nous avons la qualité et le savoir-faire, nous explique-t-il, et nous apportons l’insight (la compréhension profonde) des potentialités du marché africain. En effet, si on vient en Afrique, il faut structurer ce marché soi-même, car aujourd’hui c’est un marché latent. Certes, c’est plus de travail et plus de risque, mais c’est aussi l’opportunité de s’approprier l’infrastructure. Aujourd’hui, l’Afrique est un environnement, disons, non-géométrique. Regardez l’art africain : c’est bizarre, c’est tordu, c’est du chaos, mais quand on considère l’ensemble, tout est en harmonie. C’est là le secret pour comprendre l’Afrique. Nous, on apporte notre énergie et cette connaissance fine du marché, qui est une condition sine qua non pour réussir, et on cherche en retour un partenariat sur du financement et de l’encadrement. »
Avant de les quitter, car nous sommes impatients d’aller voir les séances de pitchs à l’auditorium, Wladimir Lentzy nous confie son enthousiasme : « Je voyage beaucoup en Afrique, j’y rencontre beaucoup de jeunes auteurs, et j’y assiste à un phénomène à mon sens assez exceptionnel : la Renaissance culturelle mondiale, au sens de cette Renaissance que nous avons connu en Europe dès le XVe siècle, est aujourd’hui en Afrique ! Historiquement, les Renaissances culturelles ont toujours précédé tout le reste : la renaissance politique, économique, sociale. Il y a là-bas un élan extraordinaire de créateurs (en musique, en peinture, dans la mode…), d’entrepreneurs, de jeunes qui vont changer complètement la donne ! »
Animer la question des filles, à Madagascar (et ailleurs)
Au petit auditorium, nous prenons en route la présentation d’un projet venu de Madagascar : La Fabrique des filles, par Dina Nomena Andriarimanjaka, journaliste réalisatrice, et Ashiko Ratovo, artiste plasticienne. Des millions de filles d’ici et d’ailleurs vivent au quotidien la répétition continuelle d’injonctions qui réduisent leur liberté. « J’ai été convaincue, jusqu’à l’âge de quinze ans, qu’il était mal pour une fille de faire du vélo, sous prétexte qu’elle y perdait sa virginité. N’est-ce pas absurde ? », dit l’une. « Je me suis longtemps cachée pour grimper dans les arbres. Pourquoi ? parce qu’on m’a dit que les filles ne grimpent pas aux arbres. On m’a dit qu’elles ne sifflent pas. Et l’on m’a dit aussi qu’elles ne sont faites que pour être mères… », ajoute l’autre.
Toutes les deux, elles ont conçu un projet de court-métrage en animation de cinq minutes, basé sur une enquête dans différentes régions de Madagascar. L’univers visuel, dont elles présentent quelques diapos, est magnifique, passant du noir et blanc (« pour marquer la morbidité de notre histoire ») au pastel avec des couleurs très douces (« au moment de la prise de conscience de la jeune fille et pour atténuer la violence de ce qu’elle subit »). Elles se sont inspirées de belles photographies anciennes des femmes de ce pays, dans leurs plus beaux atours (« qui cachent une terrible réalité »).
Les autrices sollicitent du soutien technique, mais aussi de l’aide pour organiser des campagnes de projections itinérantes à Madagascar. « Il est essentiel à nos yeux d’aider à soulever cette question chez nos mères, nos sœurs, nos cousines et nos filles. » Le jury a distingué leur travail, ce qui va leur permettre de participer au programme du ministère de la Culture Séjour Culture 2024, l’un des trois volets de Courants du monde, grâce auquel les deux jeunes femmes pourront nouer les partenariats qui les aideront à finaliser leur projet.
« Je viens avec un esprit ouvert, principalement pour apprendre ! »
Il est grand temps maintenant de se rendre à l’étage des programmes spéciaux ! Cet espace fera salle comble pendant le week-end, lorsque la Gaîté lyrique sera ouverte au public, sans nul doute. L’attraction phare est sans conteste le « cube immersif », panorama géant du siècle à venir. Il accueille deux créations originales en 360°VR, sur les cosmogonies du Kenya, par le producteur Brian Afande de Blackrhino VR (Nairobi), et d’Afrique du Sud (Johannesburg) par l’artiste Xabiso Vili. Dans ce cube immersif, nul besoin de lunettes VR. On y pénètre tous ensemble pour y éprouver le frisson.
Des lunettes VR, on peut toutefois en chausser non loin de là, pour des expériences de réalité virtuelle tellement ébouriffantes que les appariteurs restent auprès de vous : il arrive en effet que, perdant pieds, on chute, et, cette fois, ce n’est pas virtuel !
On peut aussi visualiser des films VR en s’asseyant confortablement. A signaler, par exemple, le film documentaire Noah’s Raft, du réalisateur nigérian Joel Kachi Benson, qui met en scène un instituteur dans les bidonvilles flottant de Lagos. Un film poignant où la VR, comme prouesse technique, se fait discrète, pour mieux se mettre au service du propos de l’auteur (et c’est sans doute là l’avenir de ce nouveau medium). Du reste, Joel Kachi Benson est au forum : « C’est pour moi une belle occasion de rencontrer des professionnels, nous dit-il, de voir ce qui se dessine, ce qui paraît possible, dans le but de réaliser d’autres films, mais aussi tout simplement de rencontrer d’autres réalisateurs et d’apprendre quelque chose auprès d’eux ! Je viens avec un esprit ouvert… »
L’ouverture d’esprit est en effet la grande vertu que l’on fête ici. Près du cube immersif et de l’espace VR, deux autres espaces, l’un consacré aux jeux vidéo, l’autre aux bandes dessinées, ne manqueront pas de séduire les visiteurs. Le corner BD est pensé à la fois en analogique comme un salon de lecture, mais aussi dans une version digitale qui comporte des stations numériques et de réalité augmentée, présentant un large panorama de la création contemporaine africaine.
Des écoles supérieures à la pointe du développement
Entrons maintenant dans l’espace des écoles, car s’il y a une dimension aussi importante que tout le reste, au forum Création Africa, c’est bien celle de la formation. Deux exemples.
Voici Emma Sangaré, scénariste et productrice. Elle co-dirige l’école Kourtrajmé Dakar : « Comme les autres écoles Kourtrajmé (Montfermeil, Marseille et « Karaïbes »), la scolarité chez nous est gratuite, nous explique-t-elle, sans prérequis d’âge ni de diplôme, pour donner accès aux métiers du cinéma. Notre singularité, au Sénégal, c’est le débouché métier : il faut qu’à l’issue de la formation nos jeunes trouvent un emploi rémunéré, ce qui fait que notre formation se veut structurante. Elle vise à rendre les jeunes autonomes (en leur donnant, par une pédagogie innovante, adaptée à la fois à l’environnement socio-économique et culturel de ces jeunes et aux besoins de l’industrie), un bagage de compétences, puis en les accompagnant dans l’insertion professionnelle (y compris sur le plan psychologique !). » Seule école française qui soit installée sur le continent africain, elle se flatte de voir 90% de ses élèves trouver un emploi avant qu’aient passé six mois depuis la sortie de l’école.
Emma Sangaré est venue au forum, principalement, faire connaître son modèle de gratuité et la dimension sociale Kourtrajmé auprès d’éventuels bailleurs.
A quelques mètres, nous rencontrons Alizé Dallemagne, de l’école de création visuelle les Gobelins-Paris, qui a une autre stratégie et développe un autre modèle d’action : « Nous travaillons sur le continent africain avec des partenaires, avec l’idée qu’à la fin c’est leur marque qui prend son envol, et pour cela bénéficie de notre notoriété pour bien démarrer. » Tout a commencé par un partenariat avec Netflix, qui alloue une bourse d’études et, par exemple cette année, distingue 6 étudiants Africains (du Cameroun, du Kenya, d’Egypte et d’Afrique du Sud), qui viendront faire un Master of Arts aux Gobelins. « D’emblée s’est tracé un cercle vertueux, puisque le premier étudiant venu aux Gobelins est celui qui a été le premier formateur de la « Mollo Animation Academy », que nous avons créée en Afrique du Sud, grâce à l’agence française de développement (AFD) et en lien avec un incubateur (Tshimologong, Wits University). » Les Gobelins sont présents aussi au Ghana (une summer school avec un studio d’animation local, AnimaxFYB, et au Bénin, « pour un programme ambitieux de formation de 11 mois au Bénin, avec l’incubateur Sèmè City, programme financé par la banque mondiale. »
Un miracle économique en pleine gestation
Aujourd’hui, selon les chiffres de l’UNESCO, les industries culturelles et créatives (audiovisuel, musique, mode, arts digitaux…) génèrent environ 4,6 milliards d’euros sur le continent africain, où l’on compte 1,3 milliards d’habitants. Leur taux de croissance y dépasse celui de certaines autres industries, même s’il ne s’agit que d’un début. En effet, s’il reste beaucoup à faire, cet univers, depuis les cinq dernières années, connaît une mutation sans précédent : émergence de l’internet à haut débit, de la miniaturisation (qui rend les matériels de production plus légers et plus abordables), globalisation des modes de diffusion.
On le savait depuis des années, mais aujourd’hui c’est l’évidence : le public de la création africaine ne se limite pas au continent africain ni même à celui de la diaspora. La musique, les films, la mode, les arts visuels et numériques africains sont consommés de l’Amérique à l’Asie, en passant par l’Europe.
« Ce que vous êtes en train de faire là c’est donner encore plus d’énergie et de force aux formes artistiques entrepreneuriales venant de chaque pays d’Afrique », a assuré le Président de la République.
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