Ricardo Serrão Mendes a, de son propre aveu, “un parcours un peu spécial”. Rien ne prédisposait ce jeune homme de 26 ans, qui se voyait architecte, à intégrer le prestigieux Centre national des arts du cirque (CNAC), à Châlons-en-Champagne, si ce n’est une volonté tenace de “mettre [son] corps au travail”. D’origine portugaise, il quitte son pays natal à 17 ans pour s’installer en Suisse, où il étudie l’architecture. Pourtant, lorsqu’il obtient son diplôme 4 ans plus tard, il sait déjà que sa voie est ailleurs.
De l’architecture aux arts du cirque
Si cette reconversion peut, à première vue, sembler radicale, elle s’inscrit cependant dans une forme de continuité. “En architecture j’étais capable de dessiner quelque chose qui prenait ensuite une forme concrète, par le biais d’une maquette par exemple. Lorsque je jongle, je dessine avec mon corps et je fais partie de l’œuvre que je produis”, explique Ricardo Serrão Mendes. Le point de bascule remonte au moment où ce grand sportif décide de prendre des cours du soir dans une école de cirque amateur, en parallèle de ses études. Il se prend immédiatement de passion pour cette discipline où tout est possible. “Il n’y a pas de limites et il y a toujours quelque chose à faire, du nouveau à trouver. Je ne m’ennuie jamais”, explique-t-il. .
Les possibilités offertes par la pratique du cirque lui semblent désormais plus intéressantes que les études, essentiellement techniques, d’architecture. Il mène néanmoins à bout ces dernières, s'imposant un rythme soutenu : école d’architecture jusqu’à 18 heures, puis cirque de 20 à 22h heures tous les soirs, sans compter les projets artistiques organisés pendant les week-ends où les vacances. Décidé à se réorienter, Ricardo Serrão Mendes s'informe sur les écoles supérieures de cirque. Le niveau s’avère élevé pour quelqu’un qui, comme lui, a commencé relativement tard.
Le texte, associé au jonglage, ouvre le champ des possibles en matière de création
Naissance d’une pratique artistique hybride
Un tel constat ne suffit cependant pas à arrêter cet hyperactif consciencieux, qui décide de “[s’y] mettre à fond”. Ses efforts paient. A 22 ans, il est pris à la formation préparatoire dispensée à l’école de cirque de Lyon, où, il peaufine une pratique du jonglage, à mi-chemin entre l’acrobatie et la danse, créant ainsi une discipline hybride dans laquelle il se sent bien. “Il ne s’agit pas pas de lancer une balle, faire un salto et rattraper la balle, mais de mêler le tout pour donner à voir quelque chose de nouveau”, précise-t-il. L’acrobatie est dans le jonglage et le jonglage est dans l’acrobatie.
C'est donc fort d'une identité artistique déjà affirmée, qu'il se présente au concours d’entrée du CNAC, dont il intègre la promotion 2018. Le contact avec le public devient dès lors un élément central de son travail. Ricardo Serrão Mendes n’hésite pas à briser le 4eme mur en s’adressant aux spectateurs lorsqu’il jongle, un moyen, selon lui, “de leur faire pleinement ressentir qu’il sont avec moi et que je suis avec eux”. Il s’appuie également sur les ressorts comiques de l’absurde et n’hésite pas à prendre ses propres objets de jonglage comme partenaires de jeu, en en faisant des interlocuteurs. “Cela me donne énormément de matière de jeu, de choses à explorer sur scène. Le texte, associé au jonglage, ouvre le champ des possibles en matière de création”, souligne-t-il.
Quel spectacle vivant pour demain ?
“J’ai une façon de travailler très intense : je travaille très longtemps et toujours sur plusieurs projets en même temps. Je ne me rendais pas compte à quel point j’étais fatigué. Quand le confinement a commencé, j’ai dormi presque sans arrêt pendant une semaine”, confie Ricardo Serrão Mendes. Outre une salutaire confrontation à la nécessité “d’investir autrement [son] corps”, cet arrêt imposé a permis au jeune artiste de mûrir son projet professionnel qui consiste à parcourir, avec une danseuse et un clown, l'ensemble du territoire français. Ce trio, nommé “les copycats, sera doté d'une petite scène, entièrement autonome en électricité. "L’idée c’est que l’on puisse se mettre absolument partout”, explique Ricardo Serrão Mendes. Leurs numéros, à même d’être réalisés sur des espaces restreints, pourraient avoir lieu aussi bien dans des chambres d’EHPAD, que dans des hôpitaux ou des salles de fêtes communales.
Pour l’étudiant et l’artiste en devenir, la crise sanitaire soulève des questionnements nouveaux. “Comment faire, désormais, pour qu’un public se sente confortable et en sécurité entouré d’autres personnes inconnues, dans un environnement clos ? ”, s'interroge-t-il. Autour de lui, beaucoup d’artistes se tournent vers la vidéo mais passer de la scène à l’écran n’est pas une option pour Ricardo Serrão Mendes. “Je n’arrive pas à sentir cette même approche avec le public, je ne retrouve pas la même adrénaline, le même enthousiasme”, explique-t-il. Le confinement a également eu un fort impact sur son corps, qui est aussi son principal outil de travail. Lui qui avait l’habitude de s’entraîner à un rythme soutenu, dès 7 heures du matin, a perdu, avec cette sédentarité imposée, les bénéfices de son entraînement régulier. “Je constate que j’ai beaucoup moins de souplesse, de cardio… C’est comme relancer une machine un peu rouillée, j’ai mis du temps à pouvoir à nouveau travailler mon corps sans avoir peur d’aller trop loin, de l’abîmer”, raconte-t-il. Dans son éternelle recherche d’équilibre entre intellect et physique, Ricardo Serrão Mendes cherche aujourd’hui à reprendre contact avec son corps “tout en gardant sa tête”.
Enseignement supérieur culture : le Centre national des arts du cirque
Avec ses 99 établissements et ses 35 000 étudiants, l’enseignement supérieur culture est sans doute l'un des viviers de jeunes professionnels les plus denses et les plus variés au monde. Il constitue aussi l’un des réseaux culturels fortement décentralisés mais aussi les plus spécifiques.
Installé à Châlons-en-Champagne, le Centre national des arts du cirque (CNAC) se distingue par sa renommée internationale. L'entièreté du cursus de cette école nationale supérieure se déroule sur trois ans, et inclut un vaste éventail de disciplines, telles que que le mât chinois, la corde, le cercle, les sangles, le cycle, les tissus ou encore l’acrobatie. L’établissement place l’innovation pédagogique, technique et artistique au cœur de sa formation, tout en accordant une place prépondérante aux valeurs traditionnelles de l’esprit circassien : rigueur, maîtrise de soi, sens du collectif et respect de l’autre. Il encourage en outre ses étudiants à se nourrir de leurs vécus et à puiser dans leurs imaginaires, un préalable indispensable au développement d’identités artistiques aussi fortes que riches.
La semaine prochaine : le parcours de Garance Paillasson, étudiante à l'école nationale supérieure d'architecture de Grenoble.
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