C’est une vraie reconnaissance que le ministère de la Culture consacre à l’art de la marionnette. Reçu avec enthousiasme par les intéressés, le label « Centre national de la marionnette » (CNMa) vient reconnaître l’essor extraordinaire de cet art et sa place, légitime et incontestable, parmi les arts de la scène soutenus par l’État. Pourvus d’un équipement approprié, et notamment d’un atelier de production à proximité du plateau, les CNMa prolongent aux quatre coins du territoire national la toile du réseau déjà finement tissé dès la génération de grandes personnalités artistiques comme Philippe Genty, Émilie Valentin, Jean-Pierre Lescot, suivis de bien d’autres encore, et autour de Charleville-Mézières, de son École supérieure nationale de la marionnette et de son festival mondial.
En septembre 2022, six salles de spectacle, réparties sur l’ensemble du territoire, ont été labellisées Centre national de la marionnette. A moyen terme, une dizaine de structures bénéficieront de ce label. Notre regard sur trois d’entre eux, à travers leur histoire et leurs spécificités : l’Hectare à Vendôme, l’Espace Jéliote à Oloron Sainte-Marie, et le Mouffetard à Paris.
Centre-Val-de-Loire : Une clef du développement culturel en espace rural
A la fin du siècle dernier, au détour d’une carrière de comédien, Frédéric Maurin rencontre le marionnettiste Roland Shön, qui lui confie l’interprétation de son spectacle, Les Trésors de Dibouji, qu’il jouera plus de 1200 fois dans le monde entier. Ce fut comme un coup de foudre, nous raconte-t-il, qui le conduira, plus tard, en 2004, jusqu’à la direction de L’Hectare, à Vendôme (Loir-et-Cher) : « La marionnette recèle une puissance poétique qui va au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Une forme inerte (une effigie, un objet, une forme indéterminée), au moment où elle s’anime, dégage un mystère incroyable, qui me passionne : le mystère à chaque fois renouvelé de ce moment indicible où se lève la vie, en surplomb de la mort. Alors se lève aussi la question du sens. »
Cette dynamique esthétique n’aurait pas tant d’effet si l’art de la marionnette n’était aussi, dès son origine, un art populaire. « Art de l’impertinence et de l’insolence à l’égard des puissants et des riches, la marionnette est devenue, au XXème siècle, un art complet, proche de l’opéra : public populaire, création contemporaine, interdisciplinarité (écriture et dramaturgie, scénographie et arts plastiques, créations musicales). »
D’où découle une troisième caractéristique, et non des moindres : l’art de la marionnette est un formidable outil de développement culturel. « Sur notre territoire du Centre Val de Loire, immense espace rural de 65 communes (en tout 55 000 habitants) centré sur la ville de Vendôme (16 000 hbts), nous avons assumé, il y a vingt ans, de commencer par des formes familiales très ouvertes (« ce soir spectacle de marionnettes à 19h dans la salle des fêtes ! »). Notre pari – réussi – a été d’accompagner les populations, années après années, en leur faisant fréquenter l’art contemporain, sans qu’elles s’en doutent vraiment. Aujourd’hui, le public n’est pas intimidé par un théâtre de marionnettes, d’ombres ou d’objets pourvu de grandes exigences artistiques et de propos dramaturgiques pointus et contemporains, comme, par exemple, la question du genre, celle des réfugiés, celle de l’environnement. » Et grâce à une convention passée avec L’Echalier, l’Hectare développe des résidences d’équipes artistiques en milieu rural, et se rend ainsi toujours au plus proche des habitants.
Le label est aussi la marque d’une reconnaissance dont les effets ne tardent pas à se faire sentir : « Il y a huit ans, j’appelais les Maisons de la Culture, les Centres dramatiques nationaux et les Scènes nationales pour leur proposer sans succès de participer à un festival de marionnettes. Aujourd’hui, ils viennent tous à notre biennale, qui aura lieu en janvier et février 2023 à Vendôme et sur toute la région Centre-Val de Loire. »
Nouvelle Aquitaine : Un travail « multipartenarial », un rayonnement local, régional et international
« Je m’étais rendu compte combien cet art est créatif, explique Jackie Challa, autrefois professeure de Lettres passionnée de théâtre, aujourd’hui directrice de l’Espace Jéliote, en Haut Béarn . Étonnamment innovant dans ses formes, dans ses thématiques, dans l’utilisation de l’espace, dans les variations d’échelle… L’animation met la question de la vie et de la mort au centre de cet art. La manipulation y apporte la question du pouvoir. Et il y a la dimension esthétique, qui donne une place de choix aux arts visuels. Bref, à l’évidence, cet art n’est pas un art mineur. Il fallait le soutenir, afin qu’il prenne toute la place qui lui revient sur l’ensemble des scènes nationales. »
Le projet d’une inflexion de la programmation de Jéliote était lancé. « Il a fallu sensibiliser notre public aux codes spécifiques de cet art, et aussi à ceux du théâtre d’objets. Nous avons mis en place un mois de novembre consacré aux marionnettes. On vient y découvrir les formes très variées des nouvelles créations. » En 2010, l’Espace reçoit le label Scène conventionnée, « ce qui nous a valu quelques moyens de production. Nous avons décidé d’accompagner deux artistes pendant trois ou quatre saisons. Un suivi renouvelé pour certains (Angélique Friant, Pier Porcheron, Fanny Bérard…), comme Elise Vigneron que nous suivons depuis sa sortie de l’école de Charleville-Mézières. »
Une très belle réussite qui n’aurait pas vu le jour sans un esprit collectif : « Nous menons un travail partenarial depuis plus de 20 ans avec la communauté de communes du Haut-Béarn, le conseil départemental, la région et l’Etat, précise Jackie Challa. Avec le label, chacun s’engage davantage. Nous avons pu ainsi remettre à niveau nos effectifs, dans la nécessité où nous étions de disposer de ressources humaines cohérentes avec notre projet. »
L’Espace Jéliote est au centre d’un grand territoire rural où tournent ses spectacles. Mais cette toile d’araignée locale s’étend au-delà de la région : elle est aussi nationale et transfrontalière : Bayonne, Bordeaux, Toulouse, Saragosse. « Dans le cadre de nos missions d’accompagnement à l’international, nous menons par exemple un projet de création et d’EAC avec Juan Perez Escala, artiste d’origine argentine, et le Centre international de la marionnette de Tolosa, à 200 km de chez nous, en pays Basque espagnol. »
« Côté formation, le label nous permet d’être identifié par les Conservatoires de région. Nous signons prochainement une convention cadre avec ceux de Pau et de Bayonne. Reste l’accompagnement à la production, qu’à mon sens il nous faudra développer, car trop d’artistes ont de beaux projets pour lesquels ils ne parviennent pas à boucler un budget... »
Ile-de-France : Un Centre national atypique au cœur de Paris
Le Mouffetard, c’est, à l’origine, un groupe de marionnettistes passionnés qui crée dans les années 80 la Semaine de la marionnette à Paris. En 1992, la semaine, sous la direction de Lucile Bodson, se transforme en saison, c’est-à-dire en théâtre permanent… mais sans lieu. L’un des enjeux est alors, pour les marionnettistes, de jouer à Paris pour y être proche de la presse, des programmateurs et du bassin de population de la région. Pour relever ce défi permanent, Lucile Bodson puis Isabelle Bertola, l’actuelle directrice, organisent une programmation, pour chaque saison, en partenariat avec les théâtres publics parisiens.
Il faudra attendre 2013 pour que la Ville de Paris propose la salle du théâtre Mouffetard aux marionnettistes. « Le nomadisme nous a permis de tisser un réseau solide et chaleureux de partenariats, nous explique Isabelle Bertola, que, du reste, nous activons toujours, pour recevoir des spectacles sur de grands plateaux. Ce long nomadisme explique aussi que nous ne soyons pas une salle pluridisciplinaire, à la différence de tous les autres CNMa, et pour cause : la pluridisciplinarité, c’est nous qui l’apportions à nos partenaires.
« Malgré tout, ce nomadisme avait ces limites : nous restions peu visibles, sinon du cercle étroit des amateurs. Et notre programmation ne pouvait guère inclure de jeunes artistes émergents. Au Mouffetard, nous veillons de près, en effet, à cette émergence, en suivant les promotions des écoles, et en insérant dans notre programmation, les années paires, le festival Scènes ouvertes à l’insolite , qui lui est dédié. Avec certains artistes rencontrés grâce au festival, nous allons plus loin en nous engageant, par préachat, sur leur nouvelle création, ce qui leur permet de trouver d’autres appuis.
« Par ailleurs, les années impaires, notre Biennale internationale des arts de la marionnette met à l’honneur des artistes de référence internationale. Pour l’atelier et l’aspect formation, qui sont d’autres éléments importants de notre développement, inscrits au cahier des charges du label, nous sommes, là encore, en partenariat. Le Théâtre aux mains nues nous donne accès à son atelier et nous lui donnons accès à notre plateau. Notre offre de formation est commune. Le Théâtre aux mains nues est aussi collaborateur du festival dédié aux artistes émergents. »
Ici, la reconnaissance institutionnelle vient saluer aussi les trésors d’ingéniosité, de patience et de courage qu’aura déployé l’équipe du Mouffetard depuis trente ans. Il lui faudra, dans un proche avenir, trouver un site mieux adapté, qui lui permettra d’inscrire ses plateaux, son atelier et son centre de ressources dans un même lieu. Il y disposera d’une scène aux dimensions adéquates à toutes les formes artistiques. Il y trouvera de la place pour ses propres bureaux (ce n’est pas encore le cas !), pour un foyer des artistes, pour y accueillir plus de résidences de création et pour s’impliquer davantage dans la production comme dans l’Éducation artistique et culturelle. Un beau développement digne de lui, de Paris et de sa région !
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