Cette enquête sur les représentations liées à l’architecture est, comme vous le soulignez dans l’introduction de l’ouvrage, inédite. En quoi votre démarche est-elle innovante ?
Notre analyse repose en grande partie sur une enquête quantitative : nous avons interrogé un échantillon représentatif des Français sur leurs connaissances en matière d’architecture. Celles-ci n’avaient, jusqu’à présent, fait l’objet que de rares études, assez limitées dans leur finalité scientifique.
Autre nouveauté, nous avons utilisé un procédé relativement original pour faire réagir les personnes interrogées, en leur soumettant sept photographies de bâtiments représentant des types différents : l’abbaye de Cadouin pour le patrimoine, le stade olympique de Pékin pour le contemporain à caractère monumental, une simple zone pavillonnaire, un bâtiment iconique d’Amsterdam pour une architecture quotidienne d’avant-garde, le Pont de l’Europe pour une réalisation relevant de technique , la maison sur la cascade de Franck Llyod Wright et le bâtiment du Bauhaus de Walter Gropius, deux œuvres emblématiques de l'architecture moderne.
Vous avez choisi d’aborder la culture architecturale des Français au travers du triple prisme des architectes, des médiateurs et du grand public. Qu’a apporté cette dialectique à l’étude ?
Elle nous a permis d’étudier la manière dont se fabrique la perception de l’architecture en France, en considérant les différents types d’acteurs qui peuvent y contribuer, sans se limiter au point de vue du grand public. Les premiers à participer à la fabrique de notre perception de l'architecture, ce sont les architectes eux-mêmes. Il était important de recueillir leur point de vue. A l'autre bout de la chaîne, nous avons les médiateurs, qui sont chargés de faire connaître l’architecture aux Français ; ce sont les intermédiaires entre la profession et le grand public.
Entre les deux, nous avons les Français. Ces derniers portent un regard bien à eux sur les réalisations architecturales, que nous avons voulu analyser. Et à vrai dire, certains des résultats obtenus nous ont surpris !
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?
Les Français connaissent plutôt bien le patrimoine – ce qui n’a rien de réellement surprenant au vu de l’histoire des politiques patrimoniales en France. En revanche, ils ne savent quasiment rien de l’architecture contemporaine, qui est jugée de façon immédiate, mais ne fait jamais ou rarement l’objet d’un véritable questionnement critique quant à sa signification, aux matériaux qui la composent…
L’architecture moderne, qui est pourtant un mouvement artistique et sociétal capital, est, elle aussi, largement méconnue, car elle est associée à des représentations de l’architecture qui ne sont pas aimées des Français – je pense notamment aux grands ensembles de logements sociaux. Pourtant l’architecture moderne possède une complexité, une diversité qui, une fois connues, sont plutôt appréciées. Par exemple, l’image que les Français préfèrent, parmi les photos présentées, c’est la maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright, qui est un des précurseurs du mouvement moderne. Ce qui tend à montrer que lorsque l’on se situe au-delà des stéréotypes, on appréhende autrement l'architecture.
Comment l'expliquez-vous ?
Ce qu'on découvre, c'est toute l’importance de l’école et de l’enseignement dans le domaine de l'architecture. Ce motif resurgit dès que l’on aborde la question avec les Français. Ces derniers connaissent Le Corbusier, Vauban et le baron Haussmann, car ces personnages sont associés à des transformations importantes du territoire français et font l’objet d’un enseignement académique qui, pour superficiel qu'il soit, a néanmoins le mérite d'exister.
Vous confrontez également le point de vue de jeunes candidats aux écoles d’architecture à celui d’architectes diplômés. Qu’est-ce que cela nous apprend sur l’apport de la formation supérieure en architecture ?
Nous avons choisi, dans un premier temps, de nous intéresser à la formation des jeunes architectes afin d’identifier l’origine de ce fameux fossé entre experts et profanes. Et en comparant candidats et architectes en début de carrière, nous avons pu voir la mutation qui s’opérait chez ces jeunes gens : en entrant, ils en savent un petit peu plus que la moyenne des Français du fait de leur fréquentation des musées ou de leurs voyages, mais, à la fin de leurs études, ce sont devenus de réels experts.
Cette formation nous est apparue comme un monde assez clos, très autoréférencé qui, en définitive, évolue dans une relative ignorance de ce que peuvent penser les Français en matière d’architecture. Pourtant ces jeunes étudiants seront amenés, en tant que futurs architectes, à se confronter au regard du public. C'est pourquoi une sensibilisation qui mettrait l’accent, au sein de cette formation, sur l’importance de faire connaître l’architecture au plus grand nombre serait sans doute très avantageuse. Les étudiants travaillent sur la création, sur le projet, et beaucoup moins sur la place de l’architecture dans la société.
L’étude souligne l’importance que revêt la médiation pour changer les représentations communes de l’architecture, trop stéréotypées. Quelles formes pourrait prendre cette médiation ? Quels seraient ses enjeux ? Qu’apporterait une culture architecturale plus étendue aux Français ?
Aujourd’hui, le grand public est constamment sollicité pour donner son avis sur différents types de grands projets architecturaux, sans avoir forcément tous les codes pour les formuler. Une meilleure connaissance de l’architecture serait donc susceptible de rendre plus satisfaisante cette forme de participation et de conscience citoyenne.
De façon plus générale, cette meilleure connaissance devrait pouvoir fertiliser ce que j’appellerai le "paradoxe de l'architecture" : élément incontournable de notre cadre de vie, elle comporte des finalités culturelles, éducatives et pratiques fortes mais elle est produite par une élite en décalage avec les aspirations populaires et elle ne suscite pas un intérêt chez le plus grand nombre.
Les médiateurs défendent cette idée que l’architecture est un enjeu civique. Ils ont déployé pour tous les publics – et notamment les publics scolaires – des dispositifs originaux pour mieux faire connaître l’architecture : des expositions, des visites de villes, de quartiers, des ateliers de création… Il y a tout un arsenal de pédagogie très intéressant qui a été développé.
Dirigé par Guy Tapie, La culture architecturale des Français est co-édité par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et les Presses de Sciences Po, 22 €.
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