Il n’y a pas mieux, on le sait, qu’une bande-annonce bien ficelée pour susciter le désir autour d’un film. Il est fort à parier que Zineb Sedira s’est inspirée de ce modèle éprouvé pour présenter, avec la finesse qu’on lui connaît, « Les rêves n’ont pas de titre », l’installation qu’elle a conçue pour le Pavillon français de l’édition 2022 de la biennale d’art contemporain de Venise. Résultat : son projet – une interrogation à caractère autobiographique et politique qui prend pour point d’appui l’univers du cinéma – a suscité, lors de sa présentation à la presse, une réelle envie d’en comprendre les fondements et, bien sûr, d’en découvrir la teneur.
A partir d’éléments très étroitement imbriqués l’un dans l’autre – individu inclus dans une communauté plus vaste, la nation, n’obéissant jamais à une seule et unique définition ; célébration du cinéma ; construction d’un espace spécifique – Zineb Sedira poursuit, à travers son projet, une ambition autobiographique qui suggère « autant de possibilités que d’imaginaires ».
La question de l’autobiographie
Depuis longtemps, la question autobiographique est centrale dans le parcours artistique de Zineb Sedira. Née en France de parents algériens, installée en Angleterre, l’artiste n’aime rien tant qu’interroger ses origines et jouer avec sa géographie intime, comme l’a révélé en 2002 une de ses réalisations emblématiques : Mother Tongue. A Venise, c’est la magie du cinéma qu’elle va sonder avec un dispositif aussi poétique que politique.
Actuellement en cours de montage, le film qui va être au cœur de l’installation met en vedette les proches de l’artiste, famille au sens propre, parents en tête, autant que famille de cœur. Celle que l’on trouve à ses côtés dans la conception du projet. « Pour une telle aventure, qui joue de surcroît sur le ressort de l’amitié et de la solidarité, je voulais m’entourer de ceux avec lesquels j’ai une réelle affinité », dit-elle au sujet de ses co-commissaires, Yasmina Reggad, commissaire indépendante, autrice et artiste de performance basée à Bruxelles, et Sam Bardaouil et Till Fellrath, fondateurs de la plateforme curatoriale, artReoriented.
La question de l'identité
L’installation qui sera présentée au Pavillon français de la biennale de Venise mettra également en lumière l’influence que les premières productions post-coloniales ont exercé sur les imaginaires et le désir d’émancipation qui sous-tend les projets de cette époque. « Les coproductions cinématographiques des années 1960 et 1970 entre Alger, la France et l’Italie, que l’on peut aussi voir comme un clin d’œil à la Mostra de Venise, sont le point de départ du projet », souligne Zineb Sedira dans la salle du cinéma Jean-Vigo, à Gennevilliers, où, adolescente, elle dévorait les films d’auteurs.
« Beaucoup de gens l’ignorent mais de nombreux films ont été financés par l’Algérie et réalisés par des réalisateurs aussi prestigieux que Luchino Visconti, Ettore Scola, ou encore Costa-Gavras…, observe l’artiste. Pendant cette période de grands bouleversements, les affinités étaient culturelles et intellectuelles autant que politiques, et de nombreux artistes et réalisateurs avaient ce désir de travailler ensemble ».
La question du dispositif
Au cœur de la vaste installation cinématographique imaginée par Zineb Sedira – mêlant photographies, sons, sculptures et collages aux images animées – figure donc le film, Les rêves n’ont pas de titre, qui donne son titre au projet. Yasmina Reggad fait remonter le désir de Zineb Sedira d’inscrire plus fortement le cinéma dans son travail à l’exposition L’espace d’un instant, que lui a consacrée le Jeu de Paume en 2019. Et en particulier à une installation, Way of Life, laquelle recréait un salon : « Le public qui entrait dans ce salon était en quelque sorte déjà convié à l’intérieur de l’écran ». « L’étape de recherche est extrêmement importante dans la pratique artistique de Zineb, poursuit Yasmina Reggad, elle se fonde sur des intuitions artistiques, intellectuelles, et sur des rencontres ». Un travail que matérialise aujourd’hui le triptyque de journaux qui accompagne le projet en amont de l’installation : le premier, Alger, a été publié en octobre, le second, Paris, sera dévoilé d’ici quelques semaines, et le troisième, Venise, sortira au moment de la Biennale. « Je voulais quelque chose qui soit de l’ordre de l’invitation avec des contributeurs différents à chaque fois et rappeler ces journaux militants des années 60 et 70 » indique Zineb Sedira.
« Il y aura un parallélisme très fort entre ce qu’on lira dans les journaux et l’expérience telle qu’on pourra la vivre dans le pavillon. Dans les deux cas, on retrouve cette idée du partage et de la solidarité, celle, aussi, d’ouvrir sur l’international et l’universel à partir du personnel et de l’individuel », assure Sam Bardaouil. « Le pavillon sera un lieu chaleureux, plein d’empathie, confirme Till Fellrath, « il y aura également une bonne dose d’humour ». « Ces journaux jouent sur la mise en abyme autant que sur le partage de connaissances. En Italie, nous avons découvert des lieux incroyables. Par exemple, le jour où nous avons visité l’atelier d’Ettore Scola à Cinecitta, un film était en cours de production. Nous avions l’impression d’être un peu tout le temps dans un film », s’enthousiasme Yasmina Reggad.
Zineb Sedira à la biennale de Venise
Le Pavillon français est produit par l’Institut français, en partenariat avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et le ministère de la Culture. Il est situé au sein des Giardini et a été construit en 1912 par l’architecte italien Faust Finzi. L’exposition de Zineb Sedira sera présentée du 23 avril au 27 novembre 2022.
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