La revendication par l'État de biens culturels appartenant au domaine public
Lorsque l’État a acquis la certitude, ou au moins l’intime conviction, qu’un bien appartient au domaine public, il peut en demander la restitution auprès des détenteurs et, le cas échéant, intenter une action en revendication devant les juridictions judiciaires. À plusieurs reprises, celles-ci ont ordonné la restitution des biens litigieux dont l’appartenance au domaine public ou la qualification d’archive publique ne posait pas de difficulté sérieuse.
La revendication d'archives publiques
Pour un cas ancien
En l’espèce, la Cour de Nancy a affirmé l’appartenance au domaine public des archives de nature publique, n’étant pas nécessaire qu’elles aient été versées aux services de l’Etat.
- Cour de Nancy - 16 mai 1896 - Duresne c. État (DP. 1896 II 411)
Extrait : " Que c’est à bon droit que le tribunal a décidé que les archives de l’État font partie du domaine public inaliénable et imprescriptible. Qu’il n’est pas nécessaire, pour que ce caractère leur soit imprimé, que les documents considérés comme archives, aient, à un moment donné, été classés dans un dépôt public de l’État. Qu’il suffit que, par leur nature ou par leur origine, ces documents puissent être considérés comme faisant partie du domaine public. "
Des archives du maréchal Pétain
En l’espèce, les juridictions judiciaires ont constaté que des archives du maréchal Pétain dont la propriété était revendiquée par l’État constituaient des archives publiques et ont ordonné leur restitution.
- Cour d'appel de Paris - 16 décembre 2015 - n° 14/07084
- Cour de cassation - 22 février 2017 - n°16/12922
Extraits : " Mais attendu que l’arrêt retient, à bon droit, que le caractère public d’une archive de l’État est déterminé par le constat qu’elle procède de l’activité de celui-ci dans sa mission de service public, de sorte que la nature préparatoire ou inachevée du document est indifférente " (attendu 4)
" Et attendu, d’abord, qu’après avoir constaté que certains documents émanaient de Philippe Pétain, alors chef de l’État français, la Cour d’appel a exactement décidé, abstraction faite des motifs surabondants portant sur la valeur historique de ces écrits, qu’ils avaient la qualité d’archives publiques ".
Des archives du général François de Chasseloup-Laubat
En l’espèce, le ministère chargé de la défense a intenté une action en revendication des archives du général François de Chasseloup-Laubat d’abord devant les juridictions administratives puis devant les juridictions judiciaires, déclarées seules compétentes pour statuer de telles actions par le Tribunal des conflits. Ces dernières ont constaté le caractère public des archives litigieuses, qu’elles soient des originales ou des copies, et ordonné la restitution de la totalité des documents au ministère chargé de la défense.
- Tribunal des conflits - 9 juillet 2012 - n°C3857
Extrait : " Considérant que si les archives publiques appartiennent au domaine public et sont régies par les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, reconnus antérieurement par une jurisprudence établie, et désormais consacrés par les dispositions ci-dessus rappelées, l’action en revendication de telles archives […] relève de la compétence du juge judiciaire, sous réserve d’une éventuelle question préjudicielle posée au juge administratif en cas de difficulté sérieuse portant sur la détermination du caractère public desdites archives ; " - Cour de cassation - 21 octobre 2015 - n°14/19807
Extrait : " Alors que constituent des archives publiques les documents qui procèdent de l'activité de l'État ; que les archives publiques font partie du domaine public mobilier de l'Etat ; que la qualification d'archives publiques, qui dépend exclusivement des conditions de production des documents, est d'ordre public et que l'État ne peut valablement y renoncer ;" - Cour d'appel de Paris - 28 mars 2017 - n°15/23576
Extrait : " Il est constant que les documents revendiqués par le ministère de la défense sont dans leur majorité des doubles ou des copies des originaux de plans, dessins, croquis, cartes, notices manuscrites dont les experts […] indiquent qu’ils ont été exécutés sous les ordres du général Chasseloup-Laubat dans l’exercice de ses fonctions […]. "
" Certes, le général de Chasseloup-Laubat, se conformant à ses obligations, a remis les documents originaux qu’il détenait aux services des archives de l’époque, lors de son départ de l’armée en 1817. Mais pour autant le caractère de copie ou de double des documents en cause est indifférent et n’est en rien susceptible de leur faire perdre leur nature d’archives publiques. " - Cour de cassation - 21 juin 2018 - n°17/19751
La revendication d'oeuvres ou d'objets d'art
Le tableau "Saint-Jean-Baptiste dans le désert désignant la croix de la passion" de Raphaël
En l’espèce, la Cour de cassation a constaté que le tableau Saint Jean-Baptiste dans le désert désignant la croix de la passion, attribué au peintre Raphaël, dépendait de la liste civile de la Couronne et était, par conséquent, inaliénable et imprescriptible. Le juge judiciaire a ordonné à l’acquéreur de bonne foi de le restituer à la liste civile.
- Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, criminelle, commerciale et de droit public. An 1841, Paris, 1841
- Cour de cassation - 10 août 1841 - Cousin c. de Maillé et la liste civile (D. 1851 T17 68-69)
Extrait : " Attendu que c’est une maxime fondamentale en France que les biens qui composent la dotation de la Couronne sont inaliénables et imprescriptibles de leur nature ; Que cette maxime, constitutive de l’ancienne monarchie, a été consacrée de nouveau par le sénatus-consulte du 30 janvier 1810, par la loi du 8 novembre 1814, par celle du 2 mars 1832, qui ont décrété les listes civiles de l’empereur Napoléon, de Louis XVIII et du roi régnant. Attendu que ces lois ont déclaré que les diamans, perles, pierreries, statues, tableaux, pierres gravées et autres monumens des arts, qui se trouvent dans les palais du roi, font partie de la dotation de la Couronne ; d’où il suit que ces objets sont, comme tous les biens qui la composent, frappés de la même inaliénabilité et la même imprescriptibilité. ".
Le tableau "Saint-Sébastien soigné par sainte Irène" d'Eugène Delacroix
En l’espèce, la Cour de Lyon a considéré que le tableau Saint-Sébastien soigné par sainte Irène, signé du peintre Eugène Delacroix, qui avait été déposé par l’État dans l’église de Nantua puis vendu par la fabrique, appartenait au domaine public de l’État et a ordonné qu’il retourne dans l’église où il avait été affecté.
- Cour de Lyon - 19 décembre 1873 - Commune de Nantua c. Conseil de fabrique et Brame (DP. 1876 II 89)
Extraits : " que le tableau donné par l’État avait été acheté avec les fonds mis chaque année à la disposition du ministre pour l’acquisition d’objets d’art, qui constituent une véritable richesse nationale inaliénable et imprescriptible, comme tout ce qui fait partie du domaine de l’État » ; « que si dans un intérêt public et pour propager le goût des beaux-arts, le ministre gratifie souvent les départements, les communes, les musées ou les églises, des tableaux et statues achetés ainsi avec les fonds du Trésor, il ne leur confère pas le droit qu’il n’a pas lui-même de les aliéner et de les jeter dans le commerce " ;
Un bureau "Louis XVI"
En l’espèce, le Tribunal de grande instance de Paris a constaté que le canapé Louis XVI litigieux, volé en 2002 au ministère de l’éducation nationale où il était en dépôt, figurait dans un inventaire annexe du Mobilier national et appartenait au domaine public de l’État et il a, par conséquent, ordonné sa restitution.
- Tribunal de grande instance de Paris - 6 janvier 2015 - n°14/01319
Extrait : " Le bien d’une personne publique étant inaliénable et imprescriptible, il y a lieu de faire droit à la demande et de condamner M. X et la société Y à restituer le bureau Louis XVI objet de l’inventaire dans le mois de la signification de la décision ".
Un vase "Boizot"
En l’espèce, le Tribunal de grande instance de Limoges a constaté que le vase dit « Boizot » attribué à Solon faisait partie des collections nationales sous la garde de l’établissement public Cité de la Céramique-Sèvres & Limoges et a ordonné sa restitution.
- Tribunal de grande instance de Limoges - 29 octobre 2015 - n° 13/00383
Extraits : " Il ressort des pièces versées aux débats que le base Boizot actuellement détenu par M.X, fabriqué par la Manufacture de Sèvres, fait partie des collections du Musée national de la Céramique de Sèvres et plus précisément d’nn ensemble composé de deux vases portant le numéro d’inventaire 7693 sur le registre du Musée National de la Céramique […] Par voie de conséquence, M.X devra restituer le vase Boizot attribué à Solon qu’elle détient à l’Établissement public Cité de la Céramique-Sèvres & Limoges ".
Une statuette dite "Bembé"
En l’espèce, les juridictions administratives ont considéré que ne constitue pas une faute de l’administration susceptible d’engager la responsabilité de l’État le fait d’avoir revendiqué la propriété d’une statuette dite « Bembé » appartenant aux collections nationales et volée au musée de l’Homme, sans pour autant porter l’affaire devant les tribunaux.
- Tribunal administratif de Paris - 13 décembre 2012 - N°1109371/7-1
Extrait : " Considérant que par ailleurs il résulte de l’instruction que les responsables du musée de l’Homme puis du musée du quai Branly ont engagé diverses démarches, à compter de 1984, afin d’obtenir par voie amiable de M. […] la restitution de la statuette Bembé qu’ils estimaient, au vu du faisceau de présomptions susmentionné, appartenir aux collections de l’État ; […] qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’État d’opter pour la mise en œuvre d’une procédure judiciaire ; que la voie de la négociation ayant ainsi été privilégiée d’un commun accord, M. […] ne saurait faire grief à l’État de ne pas avoir exercé à son encontre une action en justice tendant à la restitution de la statuette ; qu’en s’abstenant d’exercer une telle action, l’État n’a ainsi commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de M. […] ; qu’en tout état de cause, l’absence d’exercice d’une telle action est sans lien avec le préjudice dont le requérant se prévaut, tiré de l’impossibilité de vendre son bien et d’en retirer une contrepartie financière sur le marché international ". - Cour administrative d'appel de Paris - 8 décembre 2015 - n°13PA00567
Extrait : " […] la seule circonstance que ces institutions n’aient pas introduit d’action judiciaire aux fins de restitution de ce bien, qui n’a pas été officiellement déclaré comme volé, n’est pas par elle-même constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État, de l’établissement public du musée du Quai Branly, du Muséum national d’histoire naturelle et du musée de l’Homme […] ".
Un canapé du prince Murat
En l’espèce, le Tribunal de grande instance de Paris a constaté qu’un canapé du prince Joachim Murat, dont la propriété était revendiquée par l’État, constituait un bien appartenant à son domaine public et a ordonné sa restitution. L’État avait prouvé que le canapé était inscrit sur l’inventaire du Mobilier national depuis 1871, qu’il avait été classé au titre des monuments historiques par arrêté du 15 mai 1909, à une époque où seuls les biens appartenant à des personnes publiques pouvaient bénéficier de cette protection, et qu’il portait une étiquette établissant sa provenance, ne laissant place à aucun doute quant à l’identité du canapé classé au titre des monuments historiques.
- Tribunal de grande instance de Paris - 10 janvier 2017 - n°15/08424
Extraits : " le classement du salon composé de trois canapés époque Empire par l’arrêté du 15 mai 1909 établit donc que le canapé dont la revendication est sollicitée se trouvait dans le domaine public de l’État […]. Sans s’attarder en effet sur l’origine de la propriété du canapé, il suffit de constater que les défendeurs n’établissent pas que le canapé visé par l’arrêté le 15 mai 1909 comme étant un monument historique ne correspond pas au canapé litigieux. […] Il sera, en conséquence fait droit à la demande de revendication de l’État du canapé qui n’a pas fait l’objet d’une décision de déclassement. "
La revendication d'ouvrages appartenant aux collections des bibliothèques publiques
Un autographe de Molière
En l’espèce, le directeur de la Bibliothèque royale revendiquait un manuscrit comprenant un autographe de Molière. Après avoir constaté que le manuscrit provenait de la Bibliothèque royale, le Tribunal civil de la Seine a rejeté la requête en considérant qu’il ne comportait « ni estampille, ni caractère propre à le faire reconnaître, même à le faire supposer dépendant du domaine de la Bibliothèque royale ». La Cour de Paris a infirmé ce jugement en considérant que les collections de la Bibliothèque royale étaient inaliénables et imprescriptibles et que l’appartenance du manuscrit à ses collections était incontestable. Elle a ainsi ordonné la restitution du manuscrit.
- Cour de Paris - 3 janvier 1846 - Bibliothèque royale c. Sieur Charron (DP. 1846 II 212)
Extraits : " Considérant, en principe que les ouvrages, manuscrits, plans, autographes et autres objets précieux, faisant partie de la Bibliothèque royale, sont inaliénables et imprescriptibles, comme appartenant au domaine public " ; " Considérant d’ailleurs que la nature même de la pièce, revêtue de la signature de Molière, et sa transcription dans l’ouvrage de Taschereau, avec l’indication de son dépôt à la Bibliothèque du Roi, démontraient suffisamment que la possession de cette pièce n’était pas légitime »"
Un autographe de Montaigne
En l’espèce, le directeur de la Bibliothèque nationale revendiquait un autographe de Montaigne. Après avoir constaté que la lettre avait été décrite par un auteur comme appartenant aux collections de la Bibliothèque nationale, la Cour de Paris a considéré qu’elle appartenait à son domaine et a ordonné qu’elle lui soit restituée.
- Cour de Paris - 18 août 1851 - Bibliothèque nationale c. Feuillet de Conches (DP. 1852 II 96)
Extrait : " Considérant qu’en cet état, il demeure démontré qu’il y a eu au procès des présomptions graves, précises et concordantes que l’autographe de Montaigne, possédé par Feuillet, a appartenu à la Bibliothèque nationale, du domaine de laquelle il n’a pu sortir que par une soustraction, et qu’il doit dès lors être restitué à cet établissement public ".
La revendication de fragments provenant d'immeubles du domaine public
Le "fragment à l'Aigle" provenant de la cathédrale de Chartres
En l’espèce, les juridictions judiciaires ont constaté que le fragment litigieux, outre l’intérêt public particulier qu’il présentait, avait été distrait de la cathédrale de Chartres à un moment où celle-ci dépendait du domaine public de l’État. Elles ont, par conséquent, ordonné la restitution du bien à l’État.
- Tribunal de grande instance de Paris - 26 novembre 2015 - n°08/04103
Extrait : " Il est constant que les fragments détachés des édifices cultuels deviennent meubles mais continuent à appartenir au domaine public lorsqu’ils proviennent d’un édifice constituant une dépendance du domaine public et présentent un intérêt public particulier ". - Cour d'appel de Paris - 18 janvier 2018 - n°16/02315
Extrait : " Qu’ainsi, il est établi que le fragment à l’Aigle correspond à un fragment du relief extrait en 1848 par l’architecte Lassus et décret par celui-ci comme le bas-relief provenant d’un retable ; Qu’il s’ensuit que le fragment à l’Aigle, extrait en 1848 du sol de la cathédrale, a intégré à cette date le domaine public mobilier ; que l’action en revendication de l’État étant bien fondée, le jugement ordonnant sa restitution sous astreinte sera confirmé ". - Cour de cassation - 13 février 2019 - n°18/13748
Extrait : " Mais attendu, d’abord, que la protection du domaine public mobilier impose qu’il soit dérogé à l’article 2279, devenu 2276 du code civil ; qu’après avoir comparé le fragment à l’Aigle et une autre sculpture composant, ensemble, un bas-relief du jubé de la cathédrale de Chartres, démonté en 1763, l’arrêt retient que ce fragment correspond à celui extrait en 1848 du sol de la cathédrale par l’architecte Lassus, à une époque où le bâtiment relevait du domaine public de l’État ; que la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que le fragment à l’Aigle avait intégré à cette date le domaine public mobilier ".
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