« Qui chevauche si tard dans la nuit dans le vent ?
C’est le père avec son enfant.
(…)
Mon fil, pourquoi caches-tu ton visage d’effroi ?
Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
Le Roi des Aulnes avec couronne et traîne ?
Mon fils, c’est une traînée de brouillard. »
Ce poème de Goethe, « Le Roi des Aulnes », aura marqué des générations d’enfants allemands. Il pointe vers cette terre faite à la fois d’innocence et d’inquiétude, une terre dont il faut « ramener les étoiles », comme l’écrivait Mahmoud Darwich, et que le Printemps des Poètes se propose d’explorer cette année, pendant quinze jours consacrés à l’enfance.
Thème magnifique pour une saison de poésie, où pointent l’émerveillement et les grandes peurs. Enfances de liberté, enfances des cauchemars, enfance dont on tente toujours et encore de pallier, de combler l’arrachement. Enfance des jouets, des polichinelles et des poupées, mais aussi des rats en cage comme dans « Le joujou du pauvre » de Baudelaire, ou des plus noirs desseins dans « L’Enfant » des Orientales de Hugo :
À Chio, île martyre de l’indépendance grecque,
« Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
(…)
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? Fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles. »
Pendant 15 jours, en France métropolitaine et en outre-mer, à Berlin, au lycée français de Hong Kong, à la Maison Internationale de la Poésie à Bruxelles, au Maroc, en Pologne, en Roumanie, à l’Institut Français de Dakar, à Byblos, à Luxembourg, le public sera invité à revenir sur ce temps depuis lequel « les souvenirs m’observent », pour reprendre le très beau titre de Tomas Transtromer, qui sera mis à l’honneur par l’Institut culturel suédois. Cette terre qui nous incite, comme le fait François Cheng dans un poème composé spécialement pour le Printemps des Poètes, à retrouver « une seconde enfance », à retrouver un rapport libre à la langue. Comme le faisait Nazım Hikmet, « en passant par le boulevard Saint-Michel et à la poursuite d’Istanbul » :
« Ouvrons très grands nos yeux pleins de soleil et de vent sur le monde
Et que Colin et Maillard, les maudits, ne puissent nous rattraper. »
[extrait de « Il neige dans la nuit »]
Le Printemps des Poètes, en quatorze éditions, s’est imposé comme un rendez-vous très attendu, une fête de la langue et des lettres. Mon ministère, par l’intermédiaire du Centre national du Livre, est fier de lui apporter son soutien.
Nombreux sont ceux qui se souviennent du succès du lancement de son édition précédente au métro Auber l’année dernière, avec de grands comédiens comme complices principaux. Après Juliette Binoche, c’est Robin Renucci cette année qui accorde son parrainage au Printemps des Poètes. Cher Robin, je sais le souci que vous avez de transmettre, et vous savez combien je suis heureux de vous avoir confié la direction des Tréteaux de France.
Poésie sur l’enfance, à laquelle vous consacrez une anthologie aux éditions Bruno Doucey, mais aussi poésie pour l’enfance : en effet, c’est l’occasion cette année, pour le Printemps des Poètes, de mettre en valeur le travail remarquable des éditeurs spécialisés dans la littérature de jeunesse, qui œuvrent à sensibiliser les plus jeunes à l’art poétique, en le tirant des codes et des contraintes scolaires. Vous avez été soucieux, cher Jean-Pierre Siméon, de mettre en lumière le renouvellement en profondeur du répertoire de poésie pour la jeunesse, grâce notamment aux éditeurs qui s’y sont impliqués.
Le Printemps des Poètes 2012, c’est aussi le quatrième concours Andrée Chedid - à laquelle sera dédiée une soirée hommage à l’Oratoire du Louvre - du poème chanté, dont le jury cette année sera présidé par Christian Olivier, des Têtes Raides, avec à la clef un concert à l’Alhambra ; c’est aussi le premier festival Ciné Poème, avec la ville de Bezons, où se croiseront poésie et court-métrage. Ce sont les « Villes » et « villages en poésie », une appellation qui vient honorer les municipalités qui ont inscrit la poésie dans leur action culturelle, comme Saint-Brice-en-Coglès en Ille-et-Vilaine et Montpellier ; le concours Pierre-Jean Jouve de composition musicale, avec le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon ; des parcours poétiques, des cafés poésies, des nuits de la poésie, et ce dans toute la France.
Le Printemps des poètes, c’est aussi une formidable expression de la vivacité de la langue française. C’est donc bien naturellement qu’il passera le relais le mois prochain à la Semaine de la langue française, organisée pour mon ministère par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, et qui sera parrainée cette année par la Comédie-Française : cette passation aura lieu au Musée du Quai Branly, avec le concert poétique intitulé « À l’impossible on est tenu ». Le Printemps des Poètes et la Semaine de la langue française, c’est aussi le concours de poésie sur les « dix mots », avec le partenariat de TV5 Monde, dont je salue une fois de plus l’action remarquable pour la promotion de la langue française dans le monde.
Je tiens à remercier à mon tour tous les partenaires qui ont tenu à s’associer à cette manifestation hors pair à laquelle mon ministère est très attaché, comme il l’est de manière générale à soutenir la création littéraire. À ce titre, je suis particulièrement heureux de vous annoncer la « recréation » du Grand prix national de poésie. Il n’avait pas été remis depuis 1998. Il sera remis en mars avant le Salon du Livre, par un jury présidé par Silvia Baron Supervielle, qui comprend Aline Bergé, Christian Bobin, Muriel Bonicel, Florent Georgesco, Hélène Henry, Michel Lafon, Gérard Macé, Daniel Mesguich, Bruno Racine et Salah Stétié.
Je vous remercie.