Après le succès de l’édition 2022 consacrée aux 20 ans de la loi musées, la nouvelle édition des Rencontres des musées de France, organisée le 5 décembre au musée d’Orsay par le service des musées de France du ministère de la Culture, portait sur un thème très attendu : la transition écologique. « Dans un contexte où le réchauffement climatique vient bouleverser tous nos repères, cette journée a été conçue comme un retour sur les actions concrètes menées par les musées autour d’un enjeu central : concilier la sobriété énergétique et le rayonnement des collections », annonce en ouverture Christelle Creff, cheffe du service des musées de France.
Face à cet enjeu, les musées disposent désormais d’un document stratégique de premier plan conçu par le ministère de la Culture : le Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture. « L’intérêt de ce guide, souligne Karine Duquesnoy, haute fonctionnaire à la transition écologique et au développement durable au ministère de la Culture, est de traiter des différentes problématiques de façon transversale, avec une attention accrue, s’agissant des musées, sur les questions d’éco-conception des expositions, de mobilité des publics, de sobriété énergétique, et de formation ». Le guide est ainsi assorti de nombreux objectifs chiffrés parmi lesquels le fait que « chaque structure culturelle dispose d’un bilan ou d’un référentiel carbone à l’horizon 2025 ».
Et ce n’est pas tout : les musées disposent également d’un outil substantiel qui permet de relayer leurs actions dans le domaine du développement durable. « Sustain, le groupe de travail de l'ICOM dédié au développement durable, pérennise l’action des musées dans ce domaine », se félicite Émilie Girard, présidente d’ICOM France, la section française du Conseil international des musées, qui cite également un cycle de webinaires organisé récemment et le succès d’audience remporté l’an dernier par une soirée sur le thème « Vers de nouvelles normes de conservation ».
Musée d’Orsay, une démarche écoresponsable
« Le musée d’Orsay place la démarche écoresponsable au cœur de ses actions », assure d’emblée Virginie Donzeaud, son administratrice générale adjointe. Une affirmation que vient confirmer la diversité d’actions mises en place par le musée face aux enjeux de sobriété et d’économie circulaire. Qu’on en juge : éco-conception des expositions (« avec une mutualisation des scénographies et un questionnement en amont sur le transport en incitant nos transporteurs à utiliser des carburants neutres »), renforcement des « clauses environnementales dans les marchés publics », investissement sur des solutions nouvelles innovantes, formation sur la sobriété énergétique, rencontres avec des acteurs du secteur, comme l’activiste Camille Étienne… « Avoir de grandes ambitions, ça signifie aussi multiplier les actions modestes », résume Virginie Donzeaud.
À la suite des résultats d’un bilan carbone qui a révélé « sans surprise » que « le bâtiment de l’établissement était le plus grand poste de consommation d’énergie », le musée concentre aujourd’hui ses efforts sur la verrière, un spectaculaire geste architectural datant du XIXe siècle, aujourd’hui grand consommateur d’énergie. « Retravailler les enjeux climatiques de la verrière passe dans un premier temps par la mise en place de points de comptage sur l’ensemble de sa surface ». Pour mener à bien ce chantier, le musée dispose d’un atout maître, celui de « la modernité » du système de gestion centrale installé à l’époque de l’ouverture du musée. « Il s’agit en somme de le remettre au goût du jour », explique Virginie Donzeaud. Avec déjà de beaux résultats : « À la fin de l’hiver dernier, nous avons réduit notre consommation de 18% par rapport à l’hiver précédent ».
Musées de Reims, un plan de transition écologique consolidé
Signe de l’importance d’un chantier faisant l’objet d’une « synergie à l’échelle de la ville », le maire de Reims, Arnaud Robinet, était présent à l’occasion de la rencontre. « La transition écologique est transversale, souligne-t-il. Dès 2020, le programme « Reims nature » nous a permis d’infuser cette ambition dans toutes les politiques de la ville, en particulier la politique culturelle. Nous avons mis en place la sobriété énergétique dans toutes nos salles de spectacle avec à la clé une réduction de 20% de la facture ». Cette ambition n’aurait pas pu trouver plus bel ancrage au sein d’une direction des affaires culturelles déjà tout acquise à la cause environnementale. « Tout a commencé pendant le confinement, dit Stefano Arnaldi, directeur de la culture et des patrimoines, les chefs d’établissements ont souhaité qu’un groupe de travail sur le développement durable soit constitué et que des actions soient mises en place dès la réouverture des lieux culturels ».
Avec pas moins de six implantations – le musée des Beaux-Arts, le musée Saint-Remi, le musée de la Reddition, le musée du fort de la Pompelle, la chapelle Foujita, et le musée Le Vergeur – les musées de Reims sont en effet « en première ligne », selon Stefano Arnaldi. « Les musées sont un terrain d’expérimentation pour la déclinaison des objectifs de la transition écologique », confirme Georges Magnier, leur directeur. La première étape a été d’afficher cette ambition écologique à travers la campagne « Les musées se mettent au vert », avant un « engagement actif dans la démarche écologique avec la mise en place de groupes de travail relatifs aux visiteurs, aux éco-gestes, aux pratiques métiers ». Un engagement qui prend aujourd’hui la forme d’un « Plan de transition écologique pour les musées » adossé à une série d’objectifs : « optimiser les achats, limiter les déplacements, imaginer une compensation carbone des prêts d’œuvres, du stockage numérique… ». Plus que tout, il faut « internaliser la démarche, associer, capitaliser, rester curieux ».
Muséum d’Orléans : le développement durable au musée, engagement ou militantisme ?
« Entre engagement et militantisme, où faut-il positionner le curseur en matière d’éco-responsabilité ? », interroge Laure Danilo, conservatrice du muséum d’Orléans pour la biodiversité et l’environnement. Exactement à mi-chemin, semble répondre la conservatrice qui, à la tête d’une institution « qui doit donner la possibilité à chacun de comprendre le monde qui l’entoure » et « compte dans ses rangs des profils spontanément engagés sur les questions d’éco-responsabilité », ne cesse d ‘ouvrir des pistes de réflexion et d’engager de nouveaux chantiers. « La façon dont on expose a un impact direct sur l’effet qu’on veut produire sur le visiteur. Ainsi, pour illustrer le phénomène d’érosion de la biodiversité, le muséum a présenté des espèces qui se portaient mieux en vis-à-vis d’espèces qui se portaient moins bien », dit-elle. De même, ajoute-t-elle, « nous pensons les expositions autrement, notamment autour de la question de la modularité ou du recyclage des matériaux ».
Cet engagement passe aussi par un grand nombre d’actions modestes, qui s’avèrent capitales. « Dans l’espace café du musée, les distributeurs offrent des produits sains et éthiques. Dans notre boutique, il n’y a ni sac, ni emballage cadeau ». L’enjeu aujourd’hui – alors que l’établissement s’apprête à mettre en place son bilan carbone – est de « travailler en interne pour aller vers l’externe, d’œuvrer à une culture commune, d’avoir des relais, des vigies et de rester ferme ». « Les enjeux environnementaux ne sont pas une option », conclut Laure Danilo.
Musée et centre d’art de Digne-les-Bains, le développement durable entre tourisme vert et rayonnement territorial
S’il est un établissement pionnier en matière d’engagement écoresponsable, c’est bien le musée Gassendi de Digne-les-Bains. Tout commence en 1994 quand « Mémoire de la terre », l’invitation lancée par le musée aux artistes de travailler sur l’environnement, s’avère être, selon sa directrice Nadine Gomez, « une expérimentation aussi fructueuse que fondatrice ». C’est de là que naît l’idée de constituer une collection d’art en montagne : confiées à des artistes de renom – Andy Goldsworthy, Herman de Vries, Joan Fontcuberta, Paul-Armand Gette ou encore Richard Nonas, pour ne citer qu’eux – les œuvres se déploient ensuite sur le territoire de l’UNESCO Géoparc de Haute-Provence, véritable « vivier de créativité en plein cœur d’un désert du pierre ».
Au départ, « l’objectif était de rapprocher l’art du public, la transition écologique n’était qu’un effet induit de l’action ». Mais quel meilleur exemple qu’un musée qui décentralise hors-les-murs, « dans une réserve naturelle, emblématique d’un territoire écologique », une partie de sa collection ? « Notre projet s’est avéré être dans l’air du temps, poursuit la directrice. Ce qui au départ semblait être un handicap s’est révélé être une force : nous emmenons la culture dans un territoire éloigné de la culture. Qui plus est, nous donnons une entière liberté aux artistes, avec cette ambition de lier de façon nouvelle la création artistique et les grands espaces délaissés ». « Ambulo », l’application qui réunit aujourd’hui le musée et le Centre d’art informel de recherche sur la nature (CAIRN), rappelle que « la marche dans les sentiers fait partie prenante du dispositif ». Le promeneur, accompagné, acquiert « un point de vue pédestre sur les choses ». « Tous les artistes ont en commun d’avoir une sensibilité écologique profonde. Ils questionnent notre rapport à la permanence, au ressenti. Ils sont les porteurs les plus actifs de la transition écologique », conclut Nadine Gomez.
Se penser au sein de la biodiversité
Avant de donner la parole au naturaliste Bruno David, grand témoin de cette rencontre, Christelle Creff souligne que le mandat de celui-ci à la tête du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, « a été marqué par des engagements forts en matière d’éco-responsabilité ». C’est le moins que l’on puisse dire. Collections, recherche, diffusion… le scientifique n’a eu de cesse de « faire cohabiter les activités avec une démarche écologiquement responsable ». Des preuves ? « 96% des animaux de l’exposition Félins présentée actuellement viennent des collections du musée »… « Invité à l’étranger, j’ai préféré enregistrer des capsules vidéos chaque fois que j’ai considéré que la plus value de ma présence ne justifiait pas un déplacement… « La consommation d’énergie de chaque site est contrôlée »… Cet engagement fort est au service d’une « prise de conscience citoyenne », dit-il. « Nos expositions doivent être en phase avec les nouvelles attentes du public. Nous ne devons pas être prescripteurs mais sensibilisateurs. Nous ne devons pas être anxiogènes mais séduire par la beauté », préconise le naturaliste. Parmi les autres axes privilégiés, citons l’engagement des citoyens à travers ces expériences de science participative que sont « Vigie nature, Vigie ciel, Vigie mer », la publication de manifestes qui traitent de sujets de société, ou encore l’enregistrement de podcasts, à l’instar de la série « Bestioles » avec France Inter, la formation des entreprises dans le domaine de la biodiversité et de l’environnement. « L’objectif aujourd’hui est de se penser au sein de la biodiversité ». Pour cela, une seule devise : « émerveiller pour instruire ».
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