Ils sont parfois millénaires, parfois plus contemporains. Certains ont traversé les temps, hérités de nos ancêtres et transmis à nos descendants par l’écrit ou la parole. Les exemples de patrimoine culturel immatériel sont nombreux et riches : traditions et expressions orales, pratiques sociales, rituels, événements festifs, savoir-faire traditionnel…
La sauvegarde de ce patrimoine vivant représente un certain maintien de la diversité culturelle et encourage également le dialogue interculturel et le respect d’autres modes de vie. En France, il prend des formes multiples puisqu’on compte plus de 520 pratiques à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel – piloté par le ministère de la Culture -dont 23 sur les Listes de l’Unesco. Parmi eux, quatre font appel à différents domaines comme l’artisanat, la fête ou les arts du spectacle, en métropole comme en Outre-mer.
La perle de verre, de Toutânkhamon à Coco Chanel
À l’origine précieuse et rare, elle a aussi bien conquis le pharaon égyptien Toutânkhamon, qui l’a emportée dans son tombeau, que la créatrice de mode Coco Chanel. Sa fabrication repose sur un savoir-faire ancestral, reconnu depuis 2020 comme un art dans le monde entier. « Le verre a été inventé au IIe millénaire avant notre ère, probablement par hasard, au Proche-Orient », raconte Pascal Guégan, membre historique de l’Association des perliers d’art de France (APAF) et co-auteur du dossier d’inscription à l’Unesco. Aujourd’hui parure de mode ou objet d’art, la perle de verre s’est démocratisée sous l’Empire romain après avoir brillé chez les Gaulois qui portaient aussi des bracelets de verre polychromes, ou encore chez les Parisiennes des Années folles, amatrices de longs sautoirs de perles nacrées.
Qu’elles soient pleines ou creuses, les perles sont fabriquées une à une à la main à l’aide d’un chalumeau et peuvent être décorées à la guise des artisans. « Plus on y consacre du temps, plus on peut y ajouter une décoration sophistiquée : on la façonne, on la dépolit, on la travaille à froid, on lui applique des points, des torsades, des murrines… » énumère Pascal Guégan. Une nécessité aujourd’hui d’imposer sa « patte » pour se différencier d’une production en série étrangère. « La fabrication française des perles de verre s’est effondrée à la fin du XXe siècle, au moment où les pays émergents l’ont reprise à leur compte, avec des prix défiant toute concurrence », poursuit-il. Sa pratique a failli tomber dans l’oubli mais connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. De plus en plus de passionnés franchissent la porte d’ateliers pour apprendre à leur tour la maîtrise d’un matériau - le verre - et d’un élément - le feu.
Le fest-noz, véritable institution bretonne
En Bretagne, le fest-noz - ou « fête de nuit » - a intégré la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2012 et sa réputation dépasse les frontières régionales. « Quand on demande aux touristes et aux Bretons ce que représente la Bretagne, ils répondent presque tous le “fest-noz” en premier », explique Stefañ Julou, coordinateur de l’association Tamm-Kreiz dont le rôle est de diffuser, d’observer et d’aider à l’organisation de fest-noz.
Ces rassemblements festifs sont avant tout basés sur la pratique collective de danses traditionnelles bretonnes. « À la fin du Moyen-Âge, on pratiquait déjà des danses en ronde ou en chaîne avec des pas qui se répètent indéfiniment, explique Vincent Morel, conservateur et animateur de réseau Haute-Bretagne pour l’association Dastum, dont la mission est de collecter et de transmettre le patrimoine oral de Bretagne. On retrouve aussi des familles de danses plus récentes “à figure” apparues au XIXe siècle, qui se pratiquent par quatre ou par huit, et enfin, de couples. La plupart du temps, un seul fest-noz comporte l’ensemble de ces danses. »
L’annulation de ces fêtes pendant la crise sanitaire a rappelé la fragilité de ce patrimoine vivant, qui ne tient qu’à un fil : celui tissé par les associations, artistes et techniciens. « Le regard du grand public change. Le fest-noz n’est pas une simple fête folklorique locale. Il comporte une valeur universelle et patrimoniale reconnue par l’Unesco », conclut Vincent Morel, qui a participé à l’élaboration du dossier d’inscription. Plus d’un millier de fest-noz sont organisés chaque année dans la région. On en trouve également dans les départements limitrophes et même en Île-de-France.
L’envoûtant parfum de fleurs du Pays de Grasse
Rose, jasmin, tubéreuse… L’association de ces fleurs séduit les amateurs de parfum, dont les habitants du Pays de Grasse ont longtemps détenu le secret de fabrication. Quelle est l’histoire qui se cache derrière un flacon de parfum ? Pour le savoir, direction la Côte d’Azur, à la découverte de ses champs de fleurs. Leur culture, la connaissance des matières premières naturelles, leur transformation, mais aussi l'art de composer le parfum sont autant de savoir-faire inscrits à l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel.
La transmission est assurée par toute une chaîne de professionnels : cultivateurs, greffeurs, cueilleurs, courtiers, techniciens d’atelier, distillateurs, chimistes, souffleurs de verre, laborantins et parfumeurs… Et qui remonte au Moyen-Âge. « La ville de Grasse était l’une des capitales des tanneurs jusqu’au XVIe siècle », raconte Jean-Pierre Leleux, ancien maire de la commune et actuel président de l’association Patrimoine vivant du Pays de Grasse. Les artisans parfumaient leurs cuirs bruts – notamment les gants, très à la mode – pour les désodoriser, avant de les exporter en Italie. Les parfumeurs se sont ensuite rassemblés dans une véritable profession et ont perfectionné, au XIXe siècle, des procédés de techniques d’extraction. « Grasse est ainsi devenue le berceau de la parfumerie occidentale », poursuit Jean-Pierre Leleux.
La culture des plantes à parfum connaît ensuite son apogée dans la première moitié du XXe siècle : près de 2 000 hectares sont alors cultivés dans le Pays de Grasse, le jasmin en tête (800 hectares), suivi des roses (700 ha), des tubéreuses (65 ha) et des nombreuses cultures d’orangers, de violettes, de verveine et de menthe. Un savoir-faire fragilisé par la mondialisation et la production industrielle d’extraits synthétiques. Résultat : toutes espèces confondues, la culture locale des plantes à parfum se limite aujourd’hui à 40 hectares. La fleur grassoise n’en reste pas moins une composante de l’ADN de ses habitants qui se réunissent tout au long de l’année pour la célébrer.
Le gwoka, composant de l’identité guadeloupéenne
Impossible d’évoquer l’identité guadeloupéenne sans parler du gwoka, cette expression artistique qui allie danse traditionnelle, chant responsorial en créole guadeloupéen et rythmes joués aux tambours. Pratiqué à l’origine par les enfants d’esclaves, le gwoka s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la société guadeloupéenne et son chant, son rythme et sa danse sont inscrits depuis 2014 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
C’est en cercle, en extérieur, que l’alchimie se crée. Les danseurs entrent à tour de rôle à l’intérieur de ce cercle, face aux tambours, les spectateurs frappent des mains et chantent en rythme. Ils attendent de ressentir l’émotion partagée par le chanteur, et de voir la capacité du danseur à établir un contact avec le joueur de tambour (makè), soliste, lui aussi. Ainsi, plusieurs milliers de personnes se retrouvent lors de soirées festives, organisées généralement les week-end, durant lesquelles chacun est invité à montrer ses talents d’improvisation.
Introduit à partir du XVIIe siècle par les Africains déportés et mis en esclavage en Guadeloupe, cette pratique s’est ensuite étendue à la petite paysannerie. À partir des années 1970, dans le contexte de mouvements nationalistes, les intellectuels, étudiants et lycéens s’en emparent et la démocratisent à l’ensemble de la société guadeloupéenne. Aujourd’hui, le gwoka accompagne les moments de communion des Guadeloupéens comme certains rituels, religieux ou non, pour honorer la mémoire des défunts, des rassemblements populaires comme les carnavals et même des manifestations, qu’elles soient politiques ou sociales. Plus de 150 associations de gwoka existent en Guadeloupe et en France métropolitaine.
Avec Tocatì, les jeux et sports anciens sauvegardés
« À ton tour », telle est la formule que tout joueur adresse à son adversaire pour continuer la partie et ce, partout dans le monde. Pour éviter que les jeux et sports traditionnels, parfois méconnus, ne tombent dans l’oubli, l’Unesco a sélectionné en 2022 un programme, baptisé Tocatì (« à ton tour » en italien), visant leur sauvegarde dans plusieurs pays : France, Italie, Belgique, Croatie, et Chypre. Objectifs : identifier ces pratiques et les documenter afin de mieux les partager.
Depuis vingt ans, les associations et institutions locales sont les garants de cette transmission. C’est le cas par exemple de la Fédération des amis de la lutte et des sports athlétiques bretons (FALSAB) qui intervient en France auprès des scolaires, comme lors de rassemblements festifs. Son but : faire découvrir ce patrimoine vivant au grand public avec, au programme jeu de quille, lancer de poids, bazh yod (qui consiste à arracher un bâton des mains d'un adversaire), lancer de bottes de paille ou tir à la corde… « Si on ne s’active pas pour perpétuer ces traditions, elles vont disparaître », explique Luc Appéré, administrateur de la FALSAB, qui a participé à l’élaboration du programme Tocatì.
En France, d’autres associations implantées en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie défendent ces jeux issus d’une tradition populaire. « Avant l’apparition de la télévision et d’internet, les gens se rencontraient beaucoup plus dans les cafés pour jouer. Encore aujourd’hui, le jeu est l’une des seules possibilités de croiser au même endroit un postier, un agriculteur et un caviste réunis autour de la table », estime Luc Appéré. À Vérone, le « Tocatì - Festival International des Jeux dans les Rues » remet au goût du jour, chaque année, ces jeux oubliés. Il permet aux joueurs du monde entier de s’affronter. Alors : que le meilleur gagne !
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