Ni figé ni passé, le PCI nourrit la création contemporaine
Fête carnavalesque, concours de poésie, danse d’épées ou rituels réinventés, loin d’être un vestige, le patrimoine culturel immatériel nourrit les imaginaires contemporains.
Sur les planches de la Chapelle du Verbe Incarné à Avignon (Provence-Alpes-Côte d'Azur), Chantal Loïal a fait rimer carnaval et festival cet été. Dans son dernier spectacle Moun Bakannal, la danseuse et chorégraphe a rendu hommage à plusieurs carnavals, de Dunkerque à la Martinique, en passant par la Guyane. Partie observer ces fêtes là où elles s’expriment avec le plus de force, sa compagnie Difé Kako a rapporté sons, rythmes et danses pour en faire un spectacle à part.
Depuis trente ans, la compagnie tisse des formes contemporaines à partir du patrimoine culturel immatériel (PCI), montrant que ce dernier est un réservoir de gestes, de récits, de formes à réinventer. À l’instar de Chantal Loïal, nombreux sont celles et ceux qui participent à cette revitalisation artistique nourrie par le patrimoine culturel immatériel.
Les Jeux floraux s’adaptent au 21e siècle
À Toulouse, les Jeux floraux, fondés au 14ᵉ siècle, ont été inclus à l’Inventaire national du PCI en 2022, soit sept siècles après leur naissance. Loin d’être des vestiges figés, ces concours de poésie participent à la revitalisation de cet art. « Nous sommes dans une continuité inscrite dans le passé. Dans les concours, on est très plastique. On conserve le sonnet, la villanelle mais on s’est ouvert à d’autres formes poétiques comme le slam. On incite les jeunes poètes à adosser leurs poèmes à d’autres supports créatifs comme une photo ou un dessin », explique Philippe Dazet-Brun, secrétaire de l’Académie des Jeux floraux. Il imagine même aller plus loin, en récompensant un jour des courts métrages. « C’est un souhait très personnel. J’aime beaucoup Cocteau. Quand Cocteau filme Orphée, on est dans la poésie filmée. »
Au-delà du concours, l’Académie agit aussi pour la transmission du goût de la poésie, à une époque où celle-ci peut paraître désuète aux plus jeunes. En 2013, une convention avec le rectorat de Toulouse a permis d’impliquer les professeurs dans l’apprentissage de la poésie à l’école. Depuis, des classes entières participent aux Jeux floraux.
Dans le Gard, une invention ancrée dans le territoire
À côté de ces filiations anciennes, d’autres pratiques patrimoniales ont été inventées, comme à Montaren-et-Saint-Médiers, dans le Gard (Occitanie). Ici, depuis 2008, la Fête du Pois chiche ou Cese de Montaren, imaginée de toutes pièces par ses habitants, réunit chaque mois de mai près de dix mille personnes autour d’un récit collectif joyeusement absurde. « Cet événement est né d’un tissu associatif dense autour de la musique et du théâtre populaire. Les initiateurs ont voulu lui donner sa propre mythologie, avec des repères liés au territoire, terroir et au paysage local. L’ambition était de fédérer les énergies artistiques locales autour d’un événement festif avec une vraie programmation », explique l’anthropologue Anaïs Vaillant.
Inscrite à l’Inventaire national du PCI en 2022, la fête renouvelle sans cesse ses formes. « Les organisateurs ont souhaité patrimonialiser et sauvegarder la fête, mais aussi affirmer sa capacité à évoluer. Elle peut ainsi changer de lieu, ses rituels peuvent bouger mais l’esprit même de la fête, à la fois collectif, joyeux, inclusif, fondé sur le bénévolat, doit pouvoir être protégé et perpétué. »
À Dunkerque, la danse d’épées se renouvelle
À Dunkerque (Hauts-de-France), la danse d’épées illustre cette même plasticité. Connue en Flandre depuis le 14e siècle, cette danse ritualisée a été remise au goût du jour au début des années 1990 par un groupe de Dunkerquois passionnés. L’association In de Kring a même réussi à faire inclure la danse d’épée de Dunkerque à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en 2021.
Bien qu’ancrée dans une tradition ancienne, cette pratique n’a cessé de se renouveler. Depuis peu, une nouvelle figure chorégraphique est inventée chaque saison, souvent inspirée des danses d’Anvers ou d’Angleterre. Une chorégraphie pour enfants a aussi vu le jour. « Ça nous occupe un an de trouver l’air, le pas, la musique. C’est du spectacle vivant », conclut Robin Herlez, membre de In de Kring.
Ces créations viennent ainsi bousculer la conception du patrimoine et traduisent une volonté de renouveler ce qui se transmet en adaptant les formes aux publics et aux énergies du moment. Sauvegarder ce patrimoine culturel est d’autant plus essentiel qu’il ne fige pas le passé, mais le documente pour que cet héritage collectif continue d’inspirer les imaginaires futurs.
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