Cette acquisition montre combien les politiques publiques jouent un rôle important pour retrouver et protéger des objets anciens, souvent dispersés avec le temps. Pour acheter ces œuvres, qui sont souvent mises en vente aux enchères, l’État utilise une loi spéciale, datant de 1921 et mise à jour en 2000, qui lui permet d’acheter en priorité ces objets. Cette opération, menée avec l’expertise de la Conservation régionale des monuments historiques (CRMH) de la DRAC Centre-Val de Loire et le concours scientifique du musée de Cluny (musée national du Moyen Âge), illustre l’engagement continu de l’État en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine religieux régional.
Une œuvre médiévale remarquable
La statue représente sainte Catherine selon l’iconographie consacrée par la « Légende dorée » : debout, couronnée en tant que fille de roi, les cheveux dénoués tombant librement sur ses épaules, en signe de virginité. Elle tient dans sa main gauche la roue dentée, attribut de son supplice ; sa main droite, aujourd’hui brisée, portait très probablement l’épée de sa décollation, orientée vers le sol. La Légende dorée fut l'ouvrage le plus lu et le plus diffusé au Moyen Âge, juste après la Bible. Cette encyclopédie de la vie chrétienne doit d'ailleurs son titre actuel à son succès, les tranches dorées étant précisément réservées aux livres les plus importants de l'époque.
Datée des premières années du XVe siècle, cette sculpture conserve des traces précieuses de polychromie, notamment un décor végétal en relief, évoquant les motifs de « brocarts appliqués » si caractéristiques de la fin du XVe siècle. Ce détail, d’une rare précocité, fait l’objet d’une attention particulière : la statue sera prochainement transférée au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), pour une étude technique et une restauration confiée à un professionnel spécialisé.
Une origine artistique ancrée dans le Berry
Les premières analyses stylistiques suggèrent une origine berrichonne pour cette œuvre, et plus précisément un lien probable avec l’entourage artistique du prince Jean de France, duc de Berry (1340–1416), grand mécène des arts à la cour de France. La statue partage en effet plusieurs traits avec une représentation de sainte Catherine figurant dans les lancettes de la verrière de la chapelle d’Aligret, au sein même de la cathédrale de Bourges.
Cette chapelle fut fondée en 1404 par Simon Aligret, médecin du duc, chanoine des cathédrales de Bourges et de Paris, ainsi que de la Sainte-Chapelle de Bourges. L’hypothèse d’un atelier actif autour de ces commanditaires princiers et ecclésiastiques renforce l’intérêt historique de la pièce acquise.
Aucune autre statue de sainte Catherine datant de cette période et provenant du milieu berruyer n’a encore été identifiée à ce jour, ce qui confère à l’œuvre une rareté patrimoniale notable. La popularité de sainte Catherine dans l’entourage du duc de Berry est cependant bien attestée : elle apparaît fréquemment dans les enluminures et dans l’orfèvrerie des cours princières, et figure comme sainte de prédilection de ses deux épouses successives, Jeanne d’Armagnac et Jeanne de Boulogne.
Une mise en valeur au sein de la cathédrale de Bourges
Après sa restauration, la statue de sainte Catherine rejoindra la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, chef-d’œuvre de l’art gothique inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle y trouvera une place de choix parmi les œuvres médiévales conservées in situ, et contribuera à enrichir le parcours artistique et spirituel proposé aux visiteurs. Par ailleurs, la Conservation régionale des monuments historiques de la DRAC Centre-Val de Loire a confié à Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques, la réalisation d’un diagnostic approfondi afin d’optimiser la présentation des sculptures conservées sur ce site.
Un acte fort pour la mémoire artistique régionale
Cette acquisition illustre le rôle stratégique joué par les politiques publiques dans la redécouverte et la conservation du patrimoine mobilier ancien, souvent dispersé au fil du temps. Par son ancrage territorial, sa valeur artistique et son intérêt historique, la statue de sainte Catherine constitue un jalon essentiel dans la connaissance de la sculpture gothique tardive en Centre-Val de Loire et dans l’histoire artistique du duché de Berry.
Des recherches complémentaires permettront sans nul doute d’éclairer davantage son contexte de création et de préciser son insertion dans le réseau complexe des commanditaires, ateliers et influences qui ont marqué l’âge d’or de l’art berruyer autour de 1400.
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