Traitement des espaces collectifs
- Un paysagisme urbain
Les espaces collectifs sont conçus sur le principe d’un paysagisme urbain qui intègre des éléments marquants de la ville traditionnelle auxquels se conjuguent des références historicistes locales, préservées ou restituées, qui établissent ainsi une continuité spatiale et temporelle avec l’environnement et le passé des lieux.
La déclivité naturelle du terrain a permis d’étager les espaces sur deux niveaux.
Le premier, sur le plateau, à l’est, surplombe le second, en contrebas, à l’ouest.
1 - Premier niveau
L’agencement spatial, très étudié met en scène au point culminant, à l’est, une grande esplanade appelée Place Paul Cézanne qui s’étire et se déploie face au bâtiment A et dont la forme générale s’inscrit en écho à celle du terrain. Elle constitue le lieu de rassemblement de la vie sociale de la cité. En cela, elle peut être qualifiée d’agora[2] sur laquelle s’ouvrent, à l’ouest, les boutiques du centre commercial aménagées au rez-de-chaussée du bâtiment E.
Elle donne accès par trois passages-préaux aménagés au rez-de-chaussée du bâtiment A à une terrasse-belvédère appelée Terrasse Sainte-Victoire, exclusivement conçue pour réserver aux résidents une vue privilégiée sur le panorama de la montagne Sainte-Victoire.
Au nord-ouest de la place Paul Cézanne, se greffe l’enclave privée d’Henri Beisson.
2 - Le maintien de la bastide Beisson
La bastide fait partie intégrante du panorama visuel du programme jusqu’en 1967.
Servitude contraignante lors de l’élaboration du plan de masse, elle est à l’achèvement du programme, en 1961, un élément de décor singulier menacé. La bastide, construction emblématique de la campagne aixoise, est en rupture totale d’échelle et littéralement écrasée par la modernité éclatante des bâtiments qui l’encerclent et la privent de toute intimité. Volontairement condamnée, elle disparaît dans le courant de l’année 1967, remplacée par un bâtiment moderne qui abrite une crèche[3].
3 - Deuxième niveau
La configuration en retours d’équerres des immeubles délimitent quatre places : trois, aux ambiances et dimensions variées appelées Place aux Herbes, Place du Moulin et Place de la Cascade, disposées en enfilade le long de la Place Paul Cézanne.
La quatrième appelée Place de la Fontaine, de plan rectangulaire irrégulier, autonome et excentré au nord-ouest du programme, s’affiche comme un espace intimiste, presque introverti, protégé par la disposition en U des bâtiments K, L et M. La fontaine qui l’agrémente rappelle la conception des places traditionnelles du centre-ville historique.
- Traitements décoratifs des sols
Ces décors conçus selon le principe moderne de l’Abstraction géométrique[4] sont réalisés avec des matériaux traditionnels et régionaux, variés : galets et graviers de la Durance, dalles de pierre de Fontvieille. Leurs mises en œuvre permettent de jouer sur les variations de textures : les dalles de pierres polies reflètent la lumière, les galets et les graviers l’accrochent.
Les pavements en pierre présentent des décors fondés sur le motif du losange (place aux Herbes), du triangle (place du Moulin) ou expriment des compositions savantes centrées sur les formes élémentaires du carré et du rectangle, disposées selon une orthogonalité dissymétrique (place de la Cascade, place de la Fontaine, terrasse Sainte-Victoire).
Ces principes de compositions s’inspirent du Néo-Plasticisme des membres du mouvement hollandais De Stijl et affichent une parenté avec l’œuvre picturale de Piet Mondrian.
Les galets, omniprésents, sont utilisés sous forme de mosaïques qui jouent sur l’alternance de motifs triangulaires et de cercles concentriques. Un matériau remis au goût du jour dans les années 1930-1950 par l’architecte Jean-Charles Moreux, et également utilisé par Fernand Pouillon dans les aménagements collectifs des Deux Cents Logements.
Ces pavements jugés trop "somptuaires et onéreux" par le MRL pour un programme du Secteur Industrialisé, seront réalisés sous des formes simplifiées excluant notamment les mosaïques en galets, remplacées par des revêtements plus sommaires du type dalles de béton gravillonnées.
Aujourd’hui ces décors ont malheureusement tous disparu sous le goudronnage, indépendamment du fait que certaines places sont devenues des aires de stationnement (Place aux Herbes et niveau bas de la Place de la Cascade).
- Traitement végétal
L’apport de plantations d’essences variées se conjugue à la minéralité du traitement des espaces collectifs.
Ces espaces de plantations sont organisés au pied des immeubles et en bordure des voies sous la forme de massifs de haies (lauriers, fusains, genêts), d’alignements d’arbres (pins parasols, acacias, oliviers, cyprès, micocouliers, arbres de Judée, cèdres bleu, érables, prunus, mûriers…) ou par de grands aplats monochromes constitués par des talus gazonnés.
L’inscription des espaces végétalisés disposés de façon ponctuelle sur les places, se raccorde parfaitement à la géométrie du traitement moderne des pavements ; un propos illustré par le programme de la place de la Cascade.
La place Paul Cézanne est bordée, à l’est, d’un alignement d’acacias, à l’ouest, d’un double alignement de mûriers platanes et d’érables qui matérialise une allée de promenade interrompue au niveau du centre commercial, en face auquel sont disposés en virgule deux grands aplats gazonnés autonomes, de formes molles, animés de haies de lauriers.
Parent pauvre des programmes HLM, la variété des plantations de la Cité Beisson, attestée par des témoignages oraux, fait aujourd’hui figure d’exception.
Une deuxième étude des plantations est réalisée par le Service technique de la ville d’Aix, en 1967, après la destruction de la bastide. Les arbres existants sont figurés en jaunes, les apports prévus, en vert.
Le plan présente un remaniement de la place Paul Cézanne. La virgule disparaît, remplacée par un programme plus classique qui prévoit des espaces gazonnés plus étendus. La parcelle nouvellement intégrée est enrichie par l’apport d’arbres.
- La fluidité des circulations piétonnes
Les circulations piétonnes permettant de relier les deux niveaux et les différentes places, sont organisées par une succession de cheminements ponctués d’escaliers ou de rampes délimités en fonction des déclivités du terrain par des murs de soutènements .
L’escalier qui relie la place aux Herbes à la place du Moulin est traité de façon monumentale.
Des portiques et des passages-préaux ponctués de piliers de sections carrés sont prévus pour donner de la transparence et renforcer la fluidité des circulations en évitant le contournement des bâtiments pour rejoindre les aires de parking, les différentes places et la Terrasse Sainte-Victoire.
Aux seuils des immeubles les trottoirs sont revêtus de dalles de pierre, un détail qui accentue l’exceptionnelle qualité des aménagements piétons.
- L’ouverture à la circulation automobile et ses conséquences
Conçue à l’origine pour être un espace entièrement piéton, la place Paul Cézanne est équipée d’une voie de circulation automobile, dès 1962. Elle est ouverte au nord-est du programme[5], greffée sur l’avenue Raymond Poincaré et longe la place dans sa partie ouest jusqu’aux boutiques du centre commercial.
Progressivement prolongée, elle borde aujourd’hui l’intégralité de la place. Les parterres végétalisés et les alignements d’acacias au pied du bâtiment A ont rapidement cédé leurs places à des aires de stationnement, un phénomène que l’on retrouve aujourd’hui sur la quasi-totalité des places et des circulations piétonnes du projet initial.
- L’éclairage public
L’éclairage public est assuré par de grands candélabres à lampe fluo-ballon, disposés à intervalles réguliers le long des voies de dessertes piétonnes et automobiles. Des éclairages complémentaires sont prévus sous forme d’appliques au rez-de-chaussée des immeubles.
- L’entrée principale
L’entrée principale de la cité est située au nord, sur l’avenue Raymond Poincaré[6]. Elle est mise en scène de façon monumentale par un porche dans œuvre aménagé sous le bâtiment M dont la composition symétrique renvoie au classicisme : une voie centrale bordée de deux allées piétonnes scandées de piliers jumelés rappelant des doubles-colonnes.
- Vestige préservé
Enchâssée au cœur du programme, la place du Moulin comme son nom l’indique, met en valeur le seul vestige qui subsiste du domaine du docteur Beisson.
La volonté de préserver ce symbole du passé caractéristique de l’ancienne fonction agricole des lieux, apparaît dès le début du projet. Lors des travaux de restauration entrepris à la fin du chantier le moulin est figé dans son état de ruine.
- Vestiges restitués
L’intégralité des murs de soutènement sont érigés en gros appareils de pierre de taille aux dimensions variées, ponctués de faux arrachements qui accrochent la lumière et leurs donnent l’apparence de vestiges anciens en simulant des ruines. Une volonté manifeste d’enracinement du programme qui démontre l’intérêt profond de l’architecte pour l’histoire locale.
Ces puissants murs rappellent les ruines d’Entremont située non loin de là et semblent vouloir inscrire la cité sur le lieu mythique de la fondation de la ville d’Aix[7].
Bien que teinté de cette référence historiciste, le schéma de composition des pierres reste moderne, fondé sur l’alternance de techniques de poses variées (assises horizontales, pierres en relief ou en creux, mises en œuvre aléatoires). L’aspect esthétique fait également allusion au traitement des façades de la Cité universitaire des Gazelles de Fernand Pouillon, récemment construite (1955-1959).
- Les équipements sociaux
1 - Le centre commercial
Les boutiques du centre commercial aménagées au rez-de-chaussée du bâtiment E (une boucherie, une droguerie, une boulangerie, une papeterie et une alimentation générale) sont abritées du soleil et de la pluie par un portique formé d’une dalle de béton soutenu par de fins poteaux métalliques.
Elles approvisionnent les résidents mais profitent également aux habitants du quartier.
Le centre commercial, à l’échelle de la cité, par son positionnement stratégique sur la place principale, constitue un équipement de confort qui permet une économie de temps et affiche une grande solidarité avec la ménagère. On regrette aujourd’hui sa disparition, l’intégralité du bâtiment E est désaffectée, ce dernier devant faire l’objet d’une destruction dans le cadre de la réhabilitation en cours.
2 - L’école maternelle
Dès décembre 1961, une école maternelle est aménagée dans des bâtiments préfabriqués au nord de la place Paul Cézanne. L’école définitive appelée Maternelle des Lauves est construite à l’emplacement des parkings nord, à l’arrière du bâtiment O. Aujourd’hui, c’est le nouveau Centre socioculturel Aix-Nord (inauguré en février 2010) qui occupe ces locaux.
3 - Les aménagements ludiques
Une zone réservée aux jeux d’enfants est prévue au nord-ouest du programme, à l’arrière des bâtiments J et K, à l’emplacement initialement réservé pour la construction de l’école. Son positionnement est volontairement en retrait afin de limiter les nuisances sonores.
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[2] L’Agora dans la Grèce antique désigne la place principale de la polis (la cité), le lieu de rassemblement de l’ecclésia (l’assemblée de citoyens) où se tient, entres autres, le marché de la cité.
[3] La physionomie d’origine de la crèche a disparu derrière des adjonctions successives au volume initial.
[4] Forme d’expression artistique née au début du XXe, souvent non figurative, fondée sur l’utilisation de formes géométriques et de couleurs disposées en aplat dans un espace bidimensionnel.
[5] Un accès considéré aujourd’hui comme l’accès principal de la cité.
[6] Aujourd’hui, l’entrée se situe au point de jonction entre l’avenue Raymond Poincaré et la rue René Coty.
[7] Une démarche mémorielle qui trouve probablement son origine dans l’actualité des premières fouilles d’envergure menées sur le site d’Entremont par l’archéologue Fernand Benoit, entre 1946 et 1969, et largement diffusées par les médias régionaux de l’époque.
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