L’entrée dans la Triple Alliance en 1882, aux côtés des Allemands et des Autrichiens, oblige l’Italie à renforcer son système de défense sur la frontière alpine face à la France, devenue un ennemi potentiel. La construction d’un fort au sommet du mont Chaberton, qui domine le passage du col du Montgenèvre entre le Piémont et la vallée de la Durance, avait été évoquée dès le début du XIXème siècle. Le chantier, confié à la direction du génie du corps d’armée de Turin débute en 1892.
Cet ouvrage atypique par sa hauteur et sa physionomie est constitué d’un bâtiment rectangulaire en bois et béton, adossé à une plateforme formant un rempart naturel. Sur son toit, sont posées huit tours en béton surmontées de tourelles pivotantes, armées de canon pointés vers Briançon. Le fort abrite un poste de commandement, une infirmerie, une cuisine, des réserves, desservis par deux couloirs, à l’avant et à l’arrière. Son approvisionnement, qui lui garantit une autonomie totale de plusieurs mois en toutes saisons, est assuré par un téléphérique, l’un des premiers construits en Italie et terminé en 1910. Deux casernes, bâties en contrebas, logent officiers et hommes du rang en temps de paix. Des souterrains reliant l’ensemble et des casemates, pour entreposer explosifs et munitions, sont percés profondément sous la roche.
Culminant à plus de 3130 mètres d’altitude, le « Fort des nuages », fierté de l’armée italienne, est à cette époque, le plus haut du monde. Sa position sur une crête dominante, la portée encore limitée de l’artillerie et l’inexistence de l’aviation militaire le rendent invincible. Désigné comme un « ouvrage autonome d’action lointaine », il est en capacité de pouvoir soutenir des missions à la fois offensives et défensives. Inoccupé entre 1915 et 1918, il est réarmé à la fin des années 1920 et intégré à la ligne de fortification sur la frontière alpine, le Vallo Alpino Occidentale.
Côté français, bien que le secteur du Briançonnais soit fortifié depuis le XVIIème siècle, les habitants de la vallée et l’état-major de l’armée sont terrifiés par cette forteresse, qui se construit sous leurs yeux. Mais les progrès de la technologie militaire, fulgurants durant le premier conflit mondial, et la remarquable campagne de renseignement menée par l’armée française apportent une solution pour le neutraliser. Le 21 juin 1940, dans la débâcle générale, l’armée des Alpes remporte une brillante victoire grâce à la 6ème batterie du 1er groupe du 154ème régiment d’artillerie de position (RAP) sous les ordres du lieutenant André Miguet. Une journée suffit à mettre hors d’usage, avec les tirs précis de l’obusier Schneider de 280 mm, six des huit tours de la batterie du Chaberton.
En 1947, en vertu du traité de Paris, l’ouvrage devient français : le général de Gaulle, alors président du gouvernement provisoire, a insisté pour que les anciennes bases offensives de l’ennemi reviennent à la France. Son démantèlement est organisé en 1957. Des projets de réhabilitation (station météorologique, refuge d’altitude) sont envisagés dans les années 1950 mais aucun d’eux n’aboutira.
L’ouvrage du mont Chaberton, comprenant la batterie avec le glacis, le mur de soutènement et ses arcs de décharge, la station d’arrivée du téléphérique, le local de chargement, la caserne des officiers et la caserne des troupes, le poste de garde, les galeries souterraines, le chemin d’accès vers le sommet du mont Chaberton depuis le poste de garde ainsi que les vestiges du réseau de barbelés sur supports cimentés, est inscrit au titre des monuments historiques par arrêté du préfet de région du 4 février 2021.
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