Un patrimoine vivant façonné par la mer
Au fil des millénaires, les populations vivant près du littoral ont noué un lien étroit, inévitable, incontournable avec la mer. À l'occasion de l'Année de la mer, retour sur ce patrimoine composé de savoir-faire, de rituels, d’expressions orales, dont la survie dépend aujourd’hui d’un engagement collectif.
Telles les vagues qui sculptent les rochers, la mer façonne ceux qui vivent près de ses côtes. Gestes, rituels, récits, savoir-faire : dans leur relation quotidienne à l’environnement marin, les communautés littorales bâtissent un patrimoine vivant. Construire une coque de mémoire, interpréter les courants, bénir la mer et les bateaux… qu’ils soient liés à la navigation, à la pêche, à la construction navale ou aux fêtes portuaires, ces savoir-faire constituent un héritage précieux que des acteurs s’efforcent aujourd’hui de préserver face aux nombreux défis.
Charpenterie de marine : traditions en quête d’usages
Artisans de la mer, les charpentiers de marine perpétuent des gestes anciens sur tous les littoraux français, malgré la baisse de la demande et des débouchés professionnels pour des embarcations de ce type. « Deux techniques dominent encore : la construction à clin, héritage probable nordique dont les premières attestations iconographiques datent du 11e siècle, et la construction à franc-bord, typique de la Méditerranée qui remonte au haut Moyen-Âge. Les outils, les gestes, le vocabulaire varient d’un littoral à l’autre, chaque territoire porte une identité propre », explique Anne-Sophie Rieth. Docteure en histoire des techniques, elle coordonne depuis 2019 un inventaire du PCI lié à la charpenterie de marine, littoral par littoral, pour lister toutes ces pratiques et les menaces qui pèsent sur elles. « En Bretagne et Normandie, certains chantiers ont encore un usage professionnel. Dans le Nord ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, la perte d’usage est plus marquée », observe-t-elle. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les doris de pêche côtière survivent essentiellement grâce à l’association Les Zigotos qui les construit et les restaure. Ailleurs, la construction neuve recule au profit de la restauration. « On l’a vu avec Notre-Dame : certains savoir-faire ancestraux sont encore essentiels aujourd’hui. La charpenterie de marine ne s’apprend pas dans un livre mais dans les ateliers. Le savoir-faire passe par le corps, le toucher, l’oreille. Sans usage, une partie de ce patrimoine menace de disparaître », souligne Anne-Sophie Rieth. Pour elle, il faut recréer des usages et croiser les dynamiques entre chantiers, chercheurs, professionnels ou acteurs du patrimoine et du tourisme pour ne pas perdre tout ce pan de notre identité.
La yole : de la pêche à la course
Plus au sud, dans la mer des Caraïbes, la yole martiniquaise, longtemps utilisée pour la pêche côtière, a su se renouveler pour se placer au cœur du plus grand événement culturel de l’île : le Tour des yoles rondes. Façonnée sans plan, héritée de savoirs amérindiens, africains et européens, la yole incarne une mémoire technique transmise depuis le 17ᵉ siècle. « C’est un patrimoine exceptionnel, à la fois technique et humain. La yole véhicule des valeurs comme la solidarité, la rigueur, l’engagement collectif », explique Édouard Tinaugus, de l’association La yole de Martinique patrimoine de l’humanité (LYMPH).
Depuis sa reconnaissance comme patrimoine culturel immatériel, en 2017, la pratique a rajeuni. « Cela a permis de promouvoir et de préserver ce patrimoine exceptionnel, de valoriser la transmission et d’avoir des sponsors pour les associations de yole », précise-t-il.
Un patrimoine également fluvial au fil de la Loire
Ce patrimoine vivant maritime ne s’arrête pas aux plages. Plus en amont, sur les rives de la Loire, l’eau douce façonne aussi des savoir-faire précieux. Virginie Serna, conservatrice générale du patrimoine à la mission de l'Inventaire général du patrimoine culturel au ministère de la Culture, parle d’un « attachement presque physique » au fleuve. La navigation fluviale y a fait émerger des pratiques : bateaux à fond plat, lecture de la rivière, vocabulaire spécifique.
Mais là aussi, les fragilités s’accumulent : dérèglement climatique, disparition des cales, perte de biodiversité… Depuis 2023, associations, navigantes et navigants, chercheurs et archéologues ont lancé un travail d’inventaire en vue de la reconnaissance des savoir-faire nautiques ligériens au patrimoine immatériel. Ce PCI couvre les pratiques de la navigation en Loire, de la construction de bateaux adaptés au fleuve, de la pêche traditionnelle, et recense les moments de partage et de fête. « Cet inventaire permet à chacun de prendre conscience du trésor qu’il a entre les mains », conclut Virginie Serna. Et donc de le soigner, pour le transmettre aux générations futures.
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