Sur les côtes normandes, on les appelle les boiseux, ceux qui travaillent le bois. Dans les chantiers de Saint-Vaast-la-Hougue et de Port-en-Bessin, des maîtres-charpentiers et leurs apprentis perpétuent cet art délicat, à la croisée de l’ébénisterie et de l’architecture navale. Dans les ateliers de Tatihou ou Blainville-sur-Mer, les coques prennent forme sur les planchers d’épure.
Les charpentiers mobilisent un regard d’architecte : œil exercé, sens des volumes, capacité à visualiser les courbes complexes… La construction à franc-bord, dominante en Normandie depuis la seconde moitié du 15e siècle, façonne les navires de pêche comme les unités de plaisance. Les charpentiers choisissent les essences de bois selon l’usage : chêne ou orme de futaie pour les quilles, bois de haie pour les pièces torses.
De la construction à la réparation
Depuis les années 1990, avec la baisse des commandes publiques et la crise du secteur halieutique, la construction neuve a cédé la place à la restauration, notamment de bateaux du patrimoine classés. À Cherbourg, le Jacques-Louise illustre cette bascule. Ce chalutier de 1959 a été sauvé par une association puis cédé pour un euro symbolique à la municipalité. Classé Monument historique, il sera restauré pendant trois ans avec le soutien du ministère de la Culture et du Département de la Manche. Ce projet, comme d’autres, redonne souffle aux chantiers.
Vers un regroupement professionnel ?
Le lycée Edmond-Doucet de Cherbourg forme chaque année de jeunes charpentiers attirés par le métier. Toutefois, cette vitalité peine à garantir un avenir économique durable. Le moindre déséquilibre, comme une saison de pêche difficile ou la hausse du prix du bois, fragilise tout l’écosystème. Les charpentiers dénoncent la disparition des haies bocagères, la coupe sauvage et l’export massif de chênes. Ils pointent aussi les risques d’uniformisation des pratiques si tous passent par une même formation.
Face à ces menaces, certains réclament la création d’un regroupement professionnel pour faciliter les échanges et renforcer la reconnaissance du métier. L’art de la charpenterie de marine de Normandie a été incluse à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en 2024, faisant suite à celui de Saint-Pierre et Miquelon (2024), de Bretagne (2022), du Nord (2022) et de la Martinique (2017).
Restauration du cordier "Les deux amis", bateau traditionnel de Normandie construit au chantier Barbanchon et Doucet a Cherbourg en 1949, et de la "Pilotine N1" pour le musée maritime de Dunkerque. Port-en-Bessin, 10 février 2025.
Crédits : Justin Picaud/MC/Sipa Press
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