Une découverte intrigante : la prédominance des empreintes d’enfants
Sur le site paléolithique moyen du Rozel, en Normandie, les fouilles ont révélé un élément aussi rare que fascinant : une très large majorité d’empreintes de pas appartiennent à des enfants et adolescents. Ces traces, identifiées sur cinq niveaux d’occupation, ont suscité de nombreuses interrogations parmi les archéologues et fouilleurs, dont Dominique Cliquet, ancien conservateur à la DRAC de Normandie, et Jérémy Duveau, doctorant en charge de l’étude.
Ce dernier avance l’hypothèse suivante : ces empreintes traduisent la composition d’un groupe restreint, de 10 à 20 individus, majoritairement composé d’enfants, avec une faible proportion d’adultes. Le site du Rozel, par son exceptionnel état de conservation et le nombre inédit de traces identifiées (plus de 3 500 poinçonnements), constitue aujourd’hui le site livrant 99 % des empreintes humaines connues pour la période du Paléolithique moyen (300 000 à 40 000 ans).
Médiation et expérimentation : quand la science s'appuie sur la réalité contemporaine
Face à cette répartition inattendue, une question centrale émerge : les enfants laissent-ils plus de traces simplement parce qu’ils marchent davantage ? Pour y répondre, une expérimentation scientifique à visée pédagogique et comparative a été mise en place dès 2021, mobilisant la médiation culturelle et la participation de divers publics, notamment scolaires.
Podomètres et groupes familiaux : premières expériences
Des groupes familiaux volontaires ont été équipés de podomètres, afin de comptabiliser le nombre de pas effectués selon divers contextes. Les données collectées intègrent des informations détaillées : âge, taille, poids, morphologie du pied... En 2022, une famille de 14 membres a été testée, portée à 18 en 2023.
Les résultats confirment que les enfants effectuent bien plus de pas que les adultes, notamment lors des périodes d’inactivité relative (pauses, repas), où ils s’adonnent spontanément à des jeux et à des déplacements répétés. Le portage des plus jeunes (3–4 ans), incapable de suivre l’allure adulte, a également été observé – un phénomène également documenté chez les chimpanzés de Fongoli, au Sénégal.
Élargir les données : vers une diversité des âges et des contextes
Pour affiner la représentativité des empreintes par classes d’âge, les chercheurs ont étendu leur protocole expérimental à un panel plus large et varié. En 2023 et 2024, les élèves de l’école primaire de Surtainville ont été mobilisés, représentant près de 100 enfants âgés de 3 à 12 ans. Puis, en 2025, ce sont les élèves du collège et lycée Gambier à Lisieux (36 adolescents de 11 à 18 ans) qui ont participé à de nouvelles expérimentations.
Trois séquences de test : déplacement, activité libre et retour
Chaque groupe a été équipé de podomètres et soumis à trois séquences distinctes :
- Marche sur un parcours accidenté jusqu’à une zone d’activité libre,
- Temps libre, propice au jeu et aux déplacements spontanés,
- Retour sur le même parcours.
Les résultats montrent que les plus jeunes enregistrent un nombre de pas bien supérieur à celui des adultes pour une distance équivalente. Ce décalage est dû à la différence de taille, influençant l’allonge du pas et donc la fréquence des foulées. Cela confirme également que les comportements d’enfants augmentent la densité d’empreintes laissées sur un site.
De l’expérimentation à l’interprétation archéologique
Ces expérimentations éclairent d’un jour nouveau les interprétations paléoanthropologiques du site du Rozel. Elles permettent de mieux moduler la représentativité des empreintes : un grand nombre de traces d’enfants n’implique pas nécessairement qu’ils étaient ultra-majoritaires dans le groupe, mais peut résulter de leur comportement locomoteur plus actif et de leur fréquence de déplacement plus élevée.
En parallèle, ces expérimentations constituent aussi un outil de médiation culturelle puissant : elles permettent de sensibiliser le jeune public à la démarche scientifique, à l’archéologie expérimentale, et à l’importance des traces pour comprendre les modes de vie de nos ancêtres.
Et après ? Poursuite des recherches et nouvelles pistes
Les travaux ne s’arrêtent pas là. De nouvelles expérimentations sont prévues, intégrant des contextes plus complexes liés à l’accès aux ressources naturelles : parcours pour la collecte de bois, d’eau, de végétaux, de matières premières pour la fabrication d’outils… Ces protocoles permettront d’élargir la compréhension des rôles sociaux et des pratiques quotidiennes selon les âges.
Les expérimentations menées entre 2021 et 2025 autour du site du Rozel illustrent toute la richesse d’une démarche scientifique ancrée dans le réel, fondée sur l’observation, l’expérimentation comparative et l’ouverture au grand public. Elles montrent que la forte présence d’empreintes d’enfants sur le site ne traduit pas uniquement une composition démographique, mais reflète aussi des comportements spécifiques liés à l’âge et aux activités quotidiennes.
Ce travail de longue haleine, porté avec rigueur et conviction par Dominique Cliquet, s’inscrit dans une volonté plus large de faire dialoguer recherche archéologique et médiation culturelle. A travers le soutien de la DRAC de Normandie, le site du Rozel devient un modèle de valorisation scientifique et pédagogique, où passé lointain et expérimentations contemporaines se répondent.
À travers cette approche, c’est une autre manière d’aborder la préhistoire qui émerge, plus vivante, plus accessible, et toujours rigoureusement documentée.
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