« Ce sont des termes magnifiques ». C’est ainsi que Laure Prouvost réagit face aux 225 termes du Vocabulaire des océans, réunis par la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) du ministère de la Culture. Des termes appartenant souvent au registre scientifique, qui l’interpellent par leur puissance poétique tout autant qu’ils l’inquiètent par leur signification. Des termes qui entrent aussi en résonance par rapport à ses créations.
Elle est l’une des artistes les plus reconnues de la scène contemporaine internationale. Formée au Central Saint Martins et au Goldsmiths College de Londres, Laure Prouvost vit et travaille aujourd’hui entre la France, la Belgique et la Grande-Bretagne. Ses œuvres explorent des thèmes tels que l’interconnexion entre l’humain, l’environnement, la faune et la flore. Elle est actuellement présente au Mucem avec l’exposition « Au fort, les âmes sont » jusqu’au 28 septembre 2025 et à la chapelle du Centre de la Vieille Charité à Marseille avec l’installation « Mère we sea ». Une ambassadrice de choix pour incarner les mots de la biodiversité du Vocabulaire de l’océan. *
Vos œuvres lient le visuel au sonore, notamment dans votre installation « Mère we sea » présentée actuellement à la chapelle du Centre de la Vieille Charité à Marseille. Quand on parle de « biophonie sous-marine », qui évoque les modes de communication entre les espèces marines, notamment à travers les sons, à quoi pensez-vous ?
La « biophonie sous-marine », pour moi qui ai beaucoup travaillé sur les fréquences sonores, c’est la beauté d’un langage sans mots, toute une communication non dite, évoquant des langages insoupçonnés, une véritable symphonie. C’est aussi la beauté des sens, un espace où tout est fluide, liquide. J’ai pu filmer sous l’eau et ce qui est incroyable, c’est la rapidité des sons. On a installé des enceintes sous-marines et on entendait absolument tout sur de nombreux kilomètres. Pour moi, la biophonie sous-marine ne traverse pas les espaces, elle les « transverse » : c’est un langage qui casse les frontières, un mot qui transgresse les frontières du langage. L’humain, ici, n’est pas prédominant, mais peut-être qu’un jour aurons-nous appris à traduire, à comprendre ce langage. Je sais qu’un travail scientifique a été mené sur les sons émis par les baleines, leur cohérence, le système qu’ils mettent en place. La biophonie sous-marine, c’est un peu l’expression de ce langage – un langage que l’humain ne peut pénétrer.
Et si vous deviez traduire cette biophonie sous-marine en œuvre artistique ?
Pour l’exposition de Marseille, nous avons travaillé sur des fréquences en lien avec l’espace, avec une ambition : permettre au visiteur de s’immerger dans une autre réalité, où nos repères ont disparu. Il serait beau d’établir une connexion pour rendre l’humain plus empathique envers le monde marin. Ce monde, c’est celui de nos origines. Comment pouvons-nous revivre cela, se reconnecter avec le début de notre vie, être sensibles à ce monde marin, ne plus avoir avec lui un rapport de domination, le manger ou l’extraire ? L’art peut créer des moments très forts, où cette utopie est réalisable. De fait, aujourd’hui, l’urgence est de recréer l’empathie, de reconstituer l’attention en vue de changer nos habitudes.
Vous créez dans vos œuvres des interconnexions, comment peut-on penser le terme « espèce clé de voûte », un terme métaphorique définissant les impacts de la disparition d’une espèce sur le fonctionnement d’écosystèmes ?
Le terme « espèce clé de voûte » est très beau. La clé de voûte permet aux différents éléments d'un édifice de tenir ensemble. On a comme envie de faire des jeux de mots autour. J’aurais même plutôt envie de le dessiner ! C’est un terme très imagé : on enlève cette pierre, à la fois centrale et unique, et tout s’effondre. « L’espèce clé de voûte », c’est aussi la clé de nous, la clé de vous. Il faudrait dessiner le terme « espèce clé de voûte » comme une sorte de portail qu’il faut protéger, qu’il faut entretenir, qu’il ne faut pas laisser tomber en ruine.
« L’avifaune marine » est un espace marin servant de lieu de reproduction et de source nourricière. Un terme dont la signification est proche de vos créations, notamment en lien avec la mère. Que vous évoque ce terme ?
En ce moment, je travaille beaucoup autour de la migration des oiseaux. Je réalise une grande structure sur ce thème qui sera exposée à l’aéroport J.F. Kennedy à New-York. J’ai beaucoup regardé ces oiseaux. Ce qui me touche dans le terme « avifaune marine », c’est l’hybridation : l’oiseau devient poisson et le poisson devient oiseau. Entre l’air et la mer, les histoires s’entremêlent. L’un peut survivre dans les deux espaces, et cela est extraordinaire. Comment l’un peut vivre avec l’autre ? Ces oiseaux survivent grâce à la mer. C’est une sorte de chaîne d’entraide. Bien sûr, l’un va mourir pour l’autre et en même temps cette mort entretient la survie. « L’avifaune marine », c’est un échange entre deux mondes. Ces deux mots plongent l’un dans l’autre. Il nous montre qu’on aura toujours besoin de l’eau, c’est fondamental. Ce qui est expulsé de l’eau revient dans l’eau. L’eau est la clé de voûte, pour revenir sur le terme précédent. Toute cette vie qui sort de l’eau, sans elle, n’existerait pas.
Laure Prouvost expose actuellement au Mucem avec « Au fort, les âmes sont » jusqu’au 28 septembre 2025 et à la chapelle du Centre de la Vieille Charité à Marseille avec l’installation « Mère we sea » jusqu’au 11 janvier 2026.
Vocabulaire des océans : mieux comprendre les enjeux de la mer
Dans le cadre de l’Année de la Mer, initiative nationale qui s’inscrit dans les pas de la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, l’un des plus grands rendez-vous internationaux de 2025 sur la protection de l’environnement, le recueil publié par la DGLFLF, qui réunit 225 termes et définitions en français, est publié autour des mondes marins : fonds et littoraux, biodiversité marine, pollution et dégradation des mers et des océans, ressources, pêche et surpêche et énergies marines.
« Biophonie sous-marine », « neige marine » ou encore « anoxie », les mots réunis par la DGLFLF définissent, décrivent, préviennent et alertent sur l’état de l’océan, les causes et les conséquences de sa dégradation. La démarche s’inscrit ainsi dans une dynamique de sensibilisation, de promotion et d’action pour un avenir maritime durable. Selon la délégation, « ce recueil multilingue se propose de mettre la vitalité de la langue, des langues, à son service, grâce à un lexique à même de cerner les enjeux de la situation ». Un recueil qui permet de comprendre et d’inscrire l’océan dans notre langue, pour ne pas oublier l’urgente nécessité de la préserver.
Ces termes sont déclinés, à partir de l’anglais, en sept langues latines et leurs variantes, grâce aux partenaires de la délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture, membres du réseau de terminologie dans les langues latines REALITER.
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