Créé il y a dix ans par le ministère de la Culture avec le soutien de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI), le programme 1 immeuble 1 œuvre invite l’art dans des lieux inhabituels comme des immeubles de logements, des espaces de travail ou des espaces situés aux abords des constructions. Ce dispositif s’inscrit ainsi dans la politique ministérielle de soutien à la création artistique et de diffusion des arts visuels auprès du public le plus large. Depuis 2015, près de mille œuvres ont été acquises et le nombre de promoteurs participants est passé de 13 à 96 sociétés, parmi lesquelles des bailleurs sociaux.
Tous les deux ans, le prix 1 immeuble 1 œuvre distingue des réalisations exemplaires de ce programme artistique. Les lauréats repartent avec un trophée spécial dont le designer est choisi à l’issue d’un appel à candidatures. Cette année, c’est le duo dach&zephir, composé de Florian Dach et Dimitri Zephir, qui a été retenu pour réaliser des « Petites architectures » qui forment un paysage de microarchitectures imaginaires. Ces trophées rendent hommage aux matériaux de construction issus du monde du bâtiment.
Trois lauréats ont été récompensés cette année par le comité artistique qui a examiné plus de 280 œuvres : Paisaia de Koralie Carmen Flores, Objet 10 d'Hugo Servanin et Le Secret de Nathalie Talec. A l’occasion du dixième anniversaire du programme, un prix du public a également été décerné ; parmi six œuvres préalablement désignées. Au terme de deux semaines de vote, l’œuvre choisie par les internautes est le Figuier de Barbarie de Laurent Perbos, une sculpture commandée par Belin Promotion et installée à Toulouse (Occitanie).
Objet 10, une œuvre singulière au milieu des tours de La Défense
Avec Hugo Servanin, Le Déjeuner sur l’herbe s’attable au milieu des tours de La Défense. C’est au cœur du quartier d’affaires que l’artiste a installé Objet 10, une œuvre composée de trois céramiques en grés émaillé de 7x7 mètres chacune inspirée de l’œuvre de Manet, dans le cadre d’une commande pour l’aménagement de la tour CB21 par Covivio. Le chef d’œuvre impressionniste du XIXe siècle a été revisité et traité par une intelligence artificielle qui a été poussée dans ses limites de calcul, jusqu'à l'aberration statistique, produisant des univers abstraits. Avec son studio, l’artiste a nourri l’IA avec des images de corps, de paysages ou encore de peintures pour transformer la peinture. « L'ordinateur s’est mis très vite à créer des images abstraites avec des corps dissous dans le paysage, le ciel, les arbres et les couleurs ont changé », explique Hugo Servanin. La séquence originelle a ainsi été traduite en images abstraites ensuite reproduites sur les fresques.
Le Déjeuner sur l’herbe, qui représente une scène de pique-nique dans un cadre champêtre, n’a pas été choisie au hasard. « Philosophiquement, ce tableau faisait sens par rapport à mon projet, reprend Hugo Servanin. J’ai essayé de tendre vers la même dynamique à savoir représenter la symbiose entre l'humain et la nature. » Les tours environnantes ont aussi particulièrement inspiré l’artiste, diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, le quartier de la Défense évoquant pour lui de grands serveurs informatiques. « C’est un endroit où l’on transforme les choses de la vie en données statistiques. Je trouvais intéressant d'avoir ce quartier qui ressemble à un ordinateur et qui se comporte comme un ordinateur, un lien entre la forme et la fonction du lieu. »
Placé dans un jardin, Objet 10 se fond dans le paysage et se veut discret jusqu’à devenir quasiment un élément du quotidien. Là encore, il s’agit d’une volonté de l’artiste. « Beaucoup d'installations à La Défense sont très visibles donc j'ai un peu pris le contrepied. J'aime l’idée que mes installations dans l'espace public soient quelque chose que l’on vient chercher plutôt que quelque chose qui s'impose à nous. On peut passer complètement à côté de ces ornementations du quotidien ou, au contraire, prendre le temps de les décortiquer et de construire une réflexion. »
Paisaia, un bas-relief inspiré du paysage basque
Un bas-relief en bois de près de huit mètres de long qui semble accompagner les résidents de l’immeuble où il est installé. Paisaia – paysage en basque – œuvre commandée dans le cadre de la construction d’une résidence de logements par le promoteur AFC Promotion, est signée Koralie Carmen Flores, qui a suivi en parallèle une formation d’architecte.
Tout au long de son parcours, l’artiste a mis au point un système logographique, comme un alphabet aux lettres sous forme d’images – des idéogrammes – empruntées à différentes cultures et mouvements picturaux : l’Art déco, les papel picado mexicains, le katazome japonais ou encore les azulejos portugais. Des inspirations que l’on retrouve, pour certaines, dans Paisaia. Chaque idéogramme va transmettre une émotion, une notion ou un concept que Koralie Carmen Flores assemble comme on écrit un récit. « Mon travail repose sur le dialogue entre les dessins créés par la nature comme la phyllotaxie – la manière dont sont implantés les feuilles et pétales autour d'un axe – et le savoir-faire de l'homme dans l'artisanat ou l'architecture. »
Paisaia suit ce système logographique avec un dessin symétrique qui s’inspire de la richesse géographique du Pays basque, entre terre, mer et montagne. « J'ai voulu créer ce panorama qui rappelle le paysage très varié de la région et cette végétation naturelle très foisonnante. » L’artiste y a notamment inséré des palmiers. « C’est une plante qui me fascine et qui ponctue beaucoup le paysage, que ce soit dans les villes et les villages, les ronds-points, les espaces publics ou les jardins privés. Ce n'est pas naturel qu'il soit ici mais il s’y plaît bien. »
Le bas-relief a été installé l’an dernier dans cette immeuble biarrot et a remporté l’un des trois prix 1 immeuble 1 œuvre. Une manière, pour Koralie Carmen Flores, de mettre l’art dans le quotidien, hors des galeries et musées. « C'est comme une pause sensorielle, une parenthèse dans le quotidien des personnes. C'est aussi montrer que l'art peut être accessible à tous : quand les personnes qui ont l'impression que l'art n'est pas pour elles voient de l'art sur leur passage, elles sont touchées et cela leur ouvre des perspectives. »
Le Secret un « îlot d'apaisement » au cœur de la ville
Le Secret est une sculpture figurative, monumentale et inédite qui a été installée en septembre 2024 dans le jardin de la résidence des Cerisiers à Bobigny par le promoteur Seqens. Cette œuvre d’un blanc soyeux s’inscrit dans la lignée d’une collaboration débutée il y a plus de dix ans par Nathalie Talec avec les ateliers de la Manufacture de Sèvres. En 2012, l’artiste cherche à réaliser une série d’autoportraits en biscuit de porcelaine, se tourne vers les réserves de la Manufacture et découvre le buste d'Adrienne, fille du sculpteur Édouard Houssin, qu’elle va prendre pour modèle. Elle décide de modifier son regard et de lui fermer les yeux, comme pour dessiner de nouvelles visions du monde. « Je voulais apporter une idée de douceur, d’introspection avec ce côté aveuglé mais innocent et naïf qui émerge de ce visage juvénile d'une grande pureté. C'est aussi une manière de parler de l'enfance et de la beauté comme terrain d'expérimentation artistique. » Outre sa version en biscuit, ce buste sera également décliné en plusieurs versions monumentales dans le cadre de commandes publiques. Le modèle en biscuit de l’œuvre Le Secret a, quant à lui, été élaboré dans les ateliers du Craft (Centre de recherches sur les arts du feu et de la terre) à Limoges en 2018.
Ici, les épaules de la jeune femme sont couvertes d’or, une parure précieuse et réfléchissante qui renvoie également à la couverture de survie, comme protection physique et mentale face aux agressions du monde. « L’or permet aussi à l'objet de produire une vibration, de réfléchir son environnement et de donner un éclat précieux au sein de cette résidence. » L'œuvre, qui fait plus de trois mètres de haut, est visible de plusieurs points de vue, à la croisée des flux routiers et piétons. « Je souhaitais proposer une figure iconique et féminine qui évoque la douceur, la sérénité. L'idée était de produire une sorte d'îlot d'apaisement dans la ville, de fournir à chacun un potentiel de réconfort, de calme et de silence. »
Le Secret figure parmi les trois œuvres lauréates du prix 1 immeuble 1 œuvre. Nathalie Talec a souhaité accompagner cette installation par une rencontre avec les habitants, pour venir expliquer son travail. « Faire venir l'art à eux leur prouve que l'art n'est pas inaccessible et destiné uniquement à des initiés mais qu’il est là aussi pour apporter de la beauté. Il y a une grande curiosité chez les habitants qui se sentent privilégiés d'avoir accès à une œuvre qui leur appartient. »
Un Prix du public pour Laurent Perbos
Pour célébrer les 10 ans de la charte 1 immeuble, 1 œuvre, la ministre de la Culture a souhaité remettre en prix exceptionnel : le prix du public. Le comité artistique a donc examiné l’ensemble des œuvres installées depuis la création du programme et a présélectionné 6 œuvres qui n’avaient pas encore été récompensées. Ces œuvres ont été proposées à un vote public en ligne au mois de mai, via le site du ministère de la Culture. L’œuvre choisie par les internautes est le Figuier de Barbarie, créé en 2023 par Laurent Perbos, commandé par Belin Promotion et installé à Toulouse (Occitanie) qui évoque un cactus par l’agencement de raquettes de ping-pong.
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